Taqawan d'Eric Plamondon - Chronique n°464

Titre : Taqawan
Auteur : Eric Plamondon
Genre : Contemporain
Editions : Quidam Editeur
Lu en : français
Nombre de pages : 196
Résumé : 
« Ici, on a tous du sang indien et quand ce n’est pas dans les veines, c’est sur les mains. »

Le 11 juin 1981, trois cents policiers de la sûreté du Québec débarquent sur la réserve de Restigouche pour s’emparer des filets des Indiens mi’gmaq. Émeutes, répression et crise d’ampleur : le pays découvre son angle mort.

Une adolescente en révolte disparaît, un agent de la faune démissionne, un vieil Indien sort du bois et une jeune enseignante française découvre l’immensité d’un territoire et toutes ses contradictions. Comme le saumon devenu taqawan remonte la rivière vers son origine, il faut aller à la source…
Histoire de luttes et de pêche, d’amour tout autant que de meurtres et de rêves brisés, Taqawan se nourrit de légendes comme de réalités, du passé et du présent, celui notamment d’un peuple millénaire bafoué dans ses droits.


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Taqawan est vraiment, vraiment un drôle de roman. 
Et je suis vraiment, vraiment contente de l'avoir découvert. 

C'est un ouvrage intrigant, sur lequel s'étale un curieux poisson souriant, sa couverture barrée d'un bandeau rouge couvert de critiques élogieuses - notamment celle d'Augustin Trapenard qui figure en bonne position sur la liste de mes êtres humains préférés de l'univers -, lauréat du prix France-Québec 2018. Son résumé promet une plongée dans un épisode douloureux de l'histoire contemporaine québécoise, mais aussi une exploration d'individualités diverses et variées, et encore un traité de biologie. 

Taqawan, c'est un peu tout ça à la fois, effectivement.
Mais c'est aussi et surtout un tout, un ensemble bien supérieur à la somme des éléments qui le composent.

Le roman s'ouvre donc en 1981, dans la réserve de Restigouche au Québec, où les Indiens Mi'gmaq qui vivent là depuis une éternité voient un jour surgir des policiers en raid, qui ont reçu pour ordre de confisquer leurs filets de pêche. La descente dégénère en émeute, puis en répression policière, et enfin en crise politique, car le drame qui se joue va bien au-delà d'une histoire de poisson et de quotas de saumons. Le problème, le véritable enjeu, c'est l'instrumentalisation de la communauté Mi'gmaq, normalement sous contrôle du gouvernement fédéral canadien, mais sur laquelle les autorités québécoises entendent exercer leur autorité par bravade et défi envers le Canada. 

En s'en prenant aux Mi'qmag, les dirigeants québécois entrent en effet sciemment dans un domaine de compétence réservé à l'Etat fédéral, manifestant par un acte politique retentissant leurs velléités. Et tant pis pour les Indiens qui trinquent.

En plein coeur du marasme (réel) évoluent les personnages du roman (fictifs), une jeune fille Indienne qui paye dans sa chair le prix de l'interventionnisme québécois, un ex-garde-chasse tiraillé entre ses engagements, un professeur imbu de lui-même ou encore une expat française, tous plus ou moins conscients des enjeux des événements qui se déroulent sous leurs yeux, tous globalement plutôt très perdus. Ensemble, ils s'expliquent, se consolent, se posent pour demeurer atterrés face à la violence de l'être humain et à la stérilité du combat qu'il est en train de mener dans la réserve.

C'est rageant. C'est touchant. C'est brillant.

Le roman, furieusement politique donc, brille par sa capacité à entremêler cette dimension-là à un aspect plus humain, ainsi qu'à tout un travail sur l'environnement, la nature, qui font eux aussi les frais des événements, et sont traités comme quantité négligeable dans une lutte qui se croit abstraite mais qui ignore les conséquences sévèrement concrètes qu'elle inflige à une communauté entière.
Taqawan est ainsi entrecoupé de foisonnantes et captivantes descriptions du décor, mais aussi de considérations sur le cycle de vie du saumon, de parenthèses techniques sur l'art de la pêche, ou d'autres intermèdes encore dont je tairai la nature pour que vous puissiez les découvrir avec la surprise et l'amusement qui furent les miens.

La plume de l'auteur est exquise, technique, précise et subtile à la fois, et capture parfaitement la violence et la cruauté de la situation sans jamais émettre de jugements péremptoires. On navigue avec elle dans cette histoire dont on ne comprend pas forcément la construction, on se plaît à comprendre petit à petit les enjeux de cet épisode historique assez méconnu - en tout cas totalement étranger à la petite Française que je suis. Le tout forme un récit à la fois politique et romanesque, digne héritier des plus grands romans du nature writing, entre le traité ethnographique et essai historique, avec toujours en filigrane une ironie décapante. C'est incomparable, c'est innovant, c'est réjouissant : en un mot, foncez !

Commentaires

  1. Je remercie monsieur Éric Plamondon auteur de Taqawan de m'avoir permit de contribuer à ce roman par des dictons et autres textes tirés de mon site Mi'kma'ki http://www.astrosante.com/traduction_nessutmasewul.html

    Merci aussi aux autres collaborateurs, Alanis Obomsawin (textes tirés du documentaire « Les événements de Restigouche »), Danielle Cyr et Marie-Bernard Young (pour l'orthographe mi'kmaw), Earle Lockerby (textes tirés de l'article « Ancient Mi'kmaq Customs; A Chaman Revelations» (The Canadian Journal of Native Studies, vol. XXIV, no 2, 2004), René Levesque (extrait de la conférence de presse du 25 juin 1981).

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