Deux Sœurs de David Foenkinos - Chronique n°461

Titre : Deux Soeurs
Auteur : David Foenkinos
Genre : Contemporain
Editions : Gallimard (collection Blanche)
Lu en : français
Nombre de pages : 178
Résumé : Du jour au lendemain, Étienne décide de quitter Mathilde, et l’univers de la jeune femme s’effondre. Comment ne pas sombrer devant ce vide aussi soudain qu’inacceptable ? Quel avenir composer avec le fantôme d’un amour disparu ? Dévastée, Mathilde est recueillie par sa sœur Agathe dans le petit appartement qu’elle occupe avec son mari Frédéric et leur fille Lili. De nouveaux liens se tissent progressivement au sein de ce huis clos familial, où chacun peine de plus en plus à trouver un équilibre. Il suffira d’un rien pour que tout bascule… 

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J'aime David Foenkinos. De tout mon coeur. Extrêmement non-objectivement. 

Cet amour a commencé avec - et est en grande partie dû à - Charlotte, qui m'a saisie et bouleversée il y a déjà plus de quatre ans de cela - gloups, le temps file -, et s'est poursuivi avec le temps, les mots, les interviews, et même une rencontre assez fantastique en chair et en os, l'année dernière.

Et voici venu le dernier paru de l'écrivain, Deux Sœurs, un titre volontairement simple et intrigant, un regard insondable de la part du reflet de la jeune femme sur le bandeau, et cette magistrale couverture de la collection Blanche à laquelle je voue toujours une fascination irrationnelle (non, je ne me refais pas).
Ca commence bien.

Deux Sœurs, c'est l'histoire de Mathilde, une Parisienne bien sous tous rapports, prof de français passionnée par son métier, fiancée à Etienne, avec qui elle file le parfait amour depuis plus de cinq ans. Projets de mariages, rapports humains riches avec ses élèves, vie tranquille et paisible. Circulez, y a rien à voir.

Tout ça, ça ne nous intéresse pas, nous autres lecteurs de romans. Nous, ce qu'on veut, c'est du conflit.
Et le conflit survient.

Le conflit s'appelle Iris, il revient tout juste d'une expatriation de cinq ans en Australie, et surtout, il a vécu une histoire d'amour aussi passionnelle qu'inoubliable avec Etienne avant que celui-ci ne rencontre Mathilde.
Iris est de retour. Iris s'impose. Etienne n'a jamais pu oublier Iris. 
Alors ce qui devait arriver arriva. 
Etienne s'en va.
Et Mathilde demeure, seule avec les lambeaux de la vie qu'elle avait cru pouvoir construire pour son couple.

Une rupture, ça chamboule. Bien sûr. 
Mais parfois, ça chamboule vraiment beaucoup.
Comme c'est le cas pour Mathilde.

En l'espace de quelques heures, ce n'est pas uniquement une relation qu'elle perd, c'est un équilibre, un projet d'avenir - voire un plan sur la comète -, un regard qu'elle posait sur elle-même, une compagnie, une vibration qui lui assurait que quoi qu'il arrive, elle serait et demeurerait aimée. 
Désormais, elle n'a plus rien, si ce n'est la solitude d'un appartement qu'elle va de toute façon devoir quitter, le vide des soirées à combler seule, et le désœuvrement d'une existence qu'elle n'est plus capable de porter de ses seuls bras. 

Il lui reste un pilier, une source de réconfort qui s'offre à elle, quand bien même elle l'a un peu négligée avec les années. Agathe, sa grande sœur, qui vit avec son mari et sa toute petite fille Lili dans un petit appartement, et qui lui offre le gîte et le couvert, le temps qu'elle reprenne pied. Mathilde s'installe, évidemment qu'elle s'installe, elle n'a de toute façon plus le choix, et puis après tout, la famille, c'est la famille.
Petit à petit, des routines s'instaurent, des dynamiques de pouvoir aussi. Mathilde se fait à un nouvel ordre des choses, et se forge une place dans la vie de famille de sa sœur, entre tante bienveillante, baby-sitter de secours, et squatteuse un peu amorphe. Un équilibre qui ne saurait s'éterniser...

On connaissait David Foenkinos dans des registres intimistes, délicats, poétiques, élégiaques et ironiques, on l'a même vu explorer l'enquête avec Le Mystère Henri Pick, et on le découvre désormais verser dans un ton bien plus sombre et glaçant que ce qu'il révèle habituellement. C'est un renouvellement audacieux, surprenant, et surtout tout à fait réussi.

L'écrivain prend un plaisir non dissimulé à brosser les traits de ses personnages, mettant ainsi en place les éléments déclencheurs d'une histoire dont on sait qu'elle se muera tôt ou tard en tragédie, avant de donner un grand coup dans la machine dramatique pour la laisser ébranler la mécanique des rouages du destin. 
(Avouez ça rend bien comme image)

On tourne les pages avec fébrilité et impatience d'en découdre, d'autant plus que le récit est fractionné en de très courts chapitres, ce qui pousse à l'extrême le vice bien connu du "encore un chapitre, encore un de plus, juste un...", et résultera pour vous en un engloutissement vorace du roman, d'une traite, comme cela a été le cas pour votre humble servante. La plume de Foenkinos est comme toujours vive, joueuse, fluide, et on se laisse très vite prendre au jeu des portraits, des descriptions, des situations dont on devine très bien comment elles vont dégénérer. 

Le résultat s'avère quelque peu confus à démêler : il est indéniable que l'on suit le récit avec un plaisir non dissimulé, et que chaque page tournée ne fait qu'accroître le désir du lecteur de parvenir au dénouement de cette sacrée histoire. Cependant, à trop vouloir tirer la corde du roman noir, du tragique, des sentiments sombres, tortueux et inavouables, force est d'avouer que Foenkinos verse parfois du côté du caricatural. Sans rien dévoiler de l'intrigue, disons simplement que certains points de bascule s'opèrent bien brutalement, certains comportements s'apparentent quelque peu à des facilités dans la mesure où ils paraissent tout de même très surprenants de la part de personnages dont la personnalité ne laissait pas transparaître quoi que ce soit de relié à de tels actes. Le roman est en réalité bien court pour un récit d'une telle intensité et d'une telle violence, et sa progression peut paraître à plus d'un titre accidentée.

Deux options s'offrent alors au lecteur, l'une aussi légitime que l'autre : regretter ce manque de subtilité et cette volonté presque grossière de pousser le récit vers les confins du supportable en termes d'horreur et de tension relationnelle, ou choisir d'y voir une parodie volontaire, une sorte d'exercice de la part de l'écrivain en somme, qui s'amuserait à s'emparer d'un genre bien connu, le thriller psychologique intimiste, pour le manipuler à son gré et en faire un texte qui pourrait presque en devenir drôle tant il exploite à fond le registre, jusqu'à en trouver les limites. En l'absence du principal concerné, je m'abstiendrai de tout jugement définitif, et ne peux donc conclure qu'en réaffirmant le plaisir de lecture qu'a malgré tout été Deux Sœurs, quand bien même on peut s'accorder à trouver le fond du récit un peu inconsistant, et s'interroger sur ce qui subsiste de cette histoire de déceptions jalouses et de remords acides une fois le point final posé. 

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