Prendre la plume - La question de la légitimité [Littératurpitudes #2]
Lire, je ne fais que ça.
Critiquer ces lectures, ça me connaît également.
Mais je n'aspire pas à n'être qu'une critique, j'écris aussi des romans dont j'espère qu'ils trouveront un jour leur place en librairie. Ce qui pose une multitude de questions.
Quelle harmonie trouver entre celle qui ose critiquer les ouvrages d'autrui et celle qui s'échine à créer le roman le plus abouti possible ? Comment créer lorsque l'on a démontré en des centaines de chroniques que la perfection était inatteignable ? Comment gérer la profonde incohérence qu'il y a entre porter un regard le plus objectif et critique possible sur des oeuvres inconnues et avoir un avis forcément biaisé et affectif quant à ce que l'on écrit soi-même ? Comment écrire sans être dans la paranoïa de tomber dans des défauts qu'on justement pointés du doigt dans des critiques ?
La réponse tient sans doute dans un mot : décomplexer.
La littérature est imparfaite.
Aucun de nos écrits ne manquera de tomber dans certains écueils, c'est un fait.
Et avant tout, il faut garder à l'esprit la nature profondément subjective de la littérature, qui relève avant tout du ressenti d'un individu face à un texte et aux émotions et sensations qu'il soulève.
Personne ne peut donner de charte ou de grille d'évaluation claire pour juger du niveau d'un texte - dans le cas contraire, contactez-moi. N'importe quel extrait de roman, de pièce de théâtre, poème ou autre déclenchera un spectre de réactions aux infinies variations.
Il suffit pour s'en rendre compte de se pencher sur l'exemple de Proust, qui s'est vu refuser d'être publié par Gallimard ! Ses phrases interminables avaient à l'époque été jugées illisibles, et Gide lui-même s'était offusqué de l'image aujourd'hui célébrissime des "vertèbres sur le front" dont la Tante Léonie paraît affublée... Rien pourtant qui n'a empêché Proust de rencontrer le succès que l'on lui connaît.
Ces phrases et ces images incongrues pourront paraître aussi géniales qu'absurdes, aussi entraînantes que mortellement ennuyeuses... Et c'est bien ce qui fait le sel de la littérature, cette prise de risque de tous les instants, cette succession de paris qui forment une oeuvre, à chaque fois un défi pour le lecteur qui s'en approche.
Alors écrivez. Prenez le risque de ne pas vous poser trop de questions. Appliquez-vous, bien sûr, mettez-y du vôtre et tentez autant que possible d'éviter les défauts flagrants. Mais osez vous aventurer vers les chemins non balisés, n'ayez pas peur d'offusquer une espèce de dieu suprême des belles lettres qui vous reprocherait un blasphème. La littérature a cela de magnifique qu'elle est universelle, accessible à tous pourvu que l'on ait un stylo ou un clavier. Quoi que vous écriviez, votre production fera débat et divisera plus ou moins. Et s'il vous arrive de remettre en cause votre légitimité et d'avoir peur de ne rendre qu'un navet, dites-vous que quand bien même ce serait le cas, vous auriez déjà accompli beaucoup, et rendu un certain service à l'univers du livre en démontrant une fois de plus qu'il n'est qu'ouverture des possibles.
A vos plumes !
Merci pour cet article tout simplement génial ! Il reflète parfaitement ce que je ressens.
RépondreSupprimerMon blog, c'est plus de 400 livres chroniqués, critiqués. Des tonnes de livres sur lesquels je réfléchis, je pointe selon moi les défauts qu'ils présentent. Parfois, je n'hésite pas à dire que tel ou tel livre m'a paru mauvais, sans vouloir descendre l'auteur, mais parce que pour moi les écueils dans lequel il tombe sont trop difficiles. Je fais une croisade contre les situations stéréotypées, les clichés en tout genre qui m'horripilent lorsqu'ils sont utilisés brut, sans être travaillés.
Mais quand j'écris, je sens peser sur moi le regard de la critique que je suis. Quand ce sont mes nouvelles, je n'éprouve pas vraiment de problème, parce que je ne lis pas souvent de nouvelles... mais dès que vient une nouvelle idée de roman, un nouveau projet, tout change. Je sens que ce que j'écris tombe parfois dans ce que je reproche, je m'auto-incendie, et critique en mon for intérieur mon projet sans prendre de pincettes. C'est le cas avec le roman que je suis en train d'écrire, qui raconte une part important de moi. Je le trouve mièvre, nunuche( tout ce que je déteste ). En plus, je me sens coupable d'écrire du YA, alors qu'on m'a toujours répété que ce n'était pas de la littérature.
Mais pourtant chaque jour je prends mon stylo et je noircis les pages. J'ignore mon " inner editor ", comme ils disent au NaNo. L'écriture vient d'abord, la correction, les révisions pour traquer tous les défauts viendront après. Là je traquerai les défauts, j'aurais un regard plus objectif.
Ce que je retiens de mon combat quotidien pour écrire, pour assouvir ce besoin vital pour moi, c'est que qu'importe la hiérarchisation des genres, qu'importe le regard des autres ou votre propre regard. Ce que vous écrivez, c'est un nouveau monde qui s'ajoute aux multitudes d'autres déjà crées. C'est votre participation.
Rappelez vous cette belle citation de Haig " Il n'y a qu'un seul genre de littérature : le livre ".
Encore une fois, merci pour cet article, et désolée si mes propos étaient un peu décousus ( ce qui m'arrive assez souvent quand je réagis sous le coup de l'émotion ;) )
On est complètement d'accord - et ne t'inquiète pas haha, tu es tout sauf décousue avec un fil directeur pareil !
SupprimerIl n'y a pas pire juge que soi-même pour juger son propre travail. Pour mon premier roman, je pouvais passer des jours à réécrire en boucle trois mêmes pages sans arriver à rien, parce que je les trouvais à chaque fois plus mièvres, faciles, ennuyeuses... Exactement, je vois que tu suis bien les conseils du NaNo :p Je le fais en ce moment, et ça aide à décomplexer et à lâcher un peu cette envie de contrôle et de perfection qui finit par te paralyser. Ne culpabilisons surtout pas, et si tu te dis qu'écrire du YA c'est nul, déjà c'est faux et tu le sais, et ensuite prends le comme un challenge : écris le roman YA dont tu penses qu'il donnera ses lettres de noblesse au genre et permettra que plus personne ne pense que le YA est à décrédibiliser !
Merci à toi pour ton commentaire, c'est une réflexion qui me passionne et qui en concerne pas mal par ici à mon avis ! Et bon courage dans tes écrits, je serai ravie d'y jeter un oeil un jour !
Très bel article, très motivant et riche de leçons ! Est-ce qu'il ne se cache pas un auteur derrière chaque grand lecteur ?
RépondreSupprimerMerci beaucoup ! Ha ça, j'en suis convaincue, il ne nous reste qu'à prendre notre courage à deux mains (le clavier d'ordi faisant office de courage) !
SupprimerOh mais que c'est juste ! J'adore, j'adhère :)
RépondreSupprimerSi tu es convaincue au point de me faire une splendide allitération en ad, alors c'est que j'ai visé juste :')
SupprimerMon style est impressionnant, n'est-ce pas ? :p
SupprimerTu as mis le doigt sur un point brulant. Même si je n'écris plus, je me suis longtemps bridé en imaginant les critiques que l'on pourrait faire à mon roman. Et en voulant sans cesse atteindre la perfection ( c'est prétentieux quand on a 18 ans), on finit par ne rien écrire. Comme le Frenhofer de Balzac qui est l'emblème de ces artistes malheureux et frustrés de ne pas créer l'oeuvre Idéale. Mais précisemment parce qu'ils ne font qu'imaginer au lieu d'agir, ce ne sont pas des artistes. Alors, oui, tu as raison il faut tenter au risque de trébucher, voire tomber. Mais il faut s'exposer aux critique.
RépondreSupprimeraha, Proust est un bon exemple! Je me souviens que Gide ( qui nous a fait faux-bond au bac hum hum) s'était plaint d'être tombé dans une tasse de camomille après avoir ''trébuché'' sur une certaine phrase beaucoup trop longue à son gout !
Ce commentaire était, au fond, inutile, je l'accorde, mais Tatie Eden est très occupée en ce moment... je n'en dis pas plus !
TANTE CAPUCINE VEUT SAVOIR. Que fait Tatie Eden ? Non, sérieusement, je suis sur des charbons ardents, tu ne peux pas me faire un coup pareil !
SupprimerNon, ce n'est pas prétentieux de vouloir atteindre la perfection à 18 ans - tu me diras, j'en ai 16, c'est pire ! C'est au contraire bon signe, tu imagines si on écrivait en se disant "bon je vais essayer de faire le truc le moins nul possible" ? On n'irait nulle part ! T'as vu comment finit Claude Lantier dans l'OEuvre ? :p
Haha, Gide où étais-tu ? Enfin, je n'ai pas trop à me plaindre, OEdipe m'a finalement plutôt réussi ! Qu'en a-t-il été pour toi ?
Hâte de te recroiser par ici !
Brûle, Capucine, brûle. (tu as remarqué que je me suis calée sur le tempo de ''Fry, lechery, fry'' ? Ne me demande pas pourquoi !)
SupprimerEn parlant d'Emile Lantier, je viens de regarder ''Cézanne et moi'' qui, en substance, est intéressant car quoi de plus puissamment inspirant que le délitement d'une amitié si tumultueuse et créatrice, d'une amitié tout en nuances, scandée par des ruptures qui semblent se consommer pour la simple anticipation des retrouvailles ? Je m'emporte, mais rien de plus beau que l'amitié ! Mais malheureusement l'intention a, je pense, été mal traduite. Le resserement de la crise autour de la publication de L'Oeuvre,
est plutôt pertinent, mais les flash back sont peu clairs, et certaines fois, j'avais l'impression de regarder une succession d'anecdotes et de références entendues plutôt qu'un vrai film avec une intrigue. C'est plaisant quand on est passionné, mais l'intérêt du film en lui même va décroissant.
enfin breeeef, Oedipe m'a très bien réussi finalement ( j'ai eu 20 ^^ et suis passée à rien du 20 en philo :p) tout en me donnant des sueurs froides car je n'ai lu l'oeuvre que 2 fois haha. J'ai préféré le JFM :p
Ah oui et Congrats pour Sciences Po ! Tu le mérites teeeeellement !
Merci pour Sciences Po ! Qu'est-ce que tu vas faire alors, toi, l'an prochain ?
SupprimerEt cette façon que tu as de me faire mariner est proprement INTOLERABLE. Je proteste.
J'ai vu Cézanne et moi à sa sortie en salles, et je suis d'accord pour dire qu'il manque d'une certaine façon de... substance ? J'aurais aimé plus de fluidité, de cohérence dans la narration, alors que le film tombe souvent comme tu le dis dans l'anecdotique. On retiendra quand même les superbes performances de Guillaume Canet et Guillaume Gallienne !
J'ai eu une chance assez monstrueuse pour OEdipe, puisque j'avais déjà eu la question sur Tirésias en DS : un petit 19 qui fait plaisir haha ! J'aurais aussi adoré avoir LFM, avec un roman aussi foisonnant, on aurait eu à n'en pas douter pleiiiin de choses à dire !
Ah moi c'est l'inverse. J'avais eu la question sur l'identité en DS, mais rien sur Tiré.
SupprimerEn ce moment je lis l'Iliade pour ma rentrée en hypokhâgnes, eh bien je suis heureuse d'avoir étudié quelques pièces de Sophocle, ça facilite grandement la lecture !
Bon, ta plainte a touché droit mon coeur. Je te conseille vivement de faire un tour sur l'âme des mots...
Apprendre à décomplexer, en effet ce qu'il faut faire ^^ être un lecteur et avoir un blog nous permet d'avoir un peu de recul sur nos propres expériences d'écriture, mais c'est vrai qu'on ne pourra jamais être objectif là-dessus... et tant pis ! ça me démange d'écrire, en ce moment ^^
RépondreSupprimerJ'espère que tu trouveras le petit pic d'inspiration qui te poussera à prendre la plume, avec ton talent ça donnera un résultat explosif :D Oui, indéniablement, l'activité de critique peut parfois être un frein mais elle fait quand même bien prendre conscience de ce qu'est un roman et de ce que pourrait être un excellent roman...
SupprimerCet article donne envie d'écrire :)
RépondreSupprimerJ'ai une idée d'histoire mais je ne sais pas trop comment m'y prendre pour mettre sur papier mes idées. Mais c'est vrai que décomplexé ça permet d'écrire vraiment ce que l'on pense.
Mon mantra, ce serait : lance-toi, tu n'as rien à perdre ! Au pire, ce sera moyen, et tu pourras recommencer, changer d'histoire, l'améliorer... C'est difficile à accepter, mais on fait des erreurs de toute façon, et le meilleure façon de les réduire, c'est d'essayer !
SupprimerJ'adhère totalement. Quelle surprise.
RépondreSupprimerMoi de toute façon, quand je commence à lire quelque chose dans le coin je reste bloquée! haha
Malheureusement, mon blocage est trop ancré alors je ne peux pas te dire "bon, grâce à toi je me remets à écrire aujourd'hui!" ^^
Oooooh tu es beaucoup trop gentille petite enfant <3
SupprimerJe comprends ton blocage, j'essaye de mettre toutes mes peurs sur le côté quand j'écris en me disant que je le fais pour moi, mais c'est quand même FICHTREMENT énervant de se trouver bon à rien en permanence.
Un jour on y arrivera.
Un jour TU y arriveras.
(c'était pas beau ça ?)
Je suis bien d’accord avec vous. Je suis très contente que l’on soit de moins en moins soumis à la doxa des critiques et j’aime parcourir les sites de lecteurs indépendants et Babelio pour recueillir des avis qui peuvent m’aider à choisir un livre. De plus, beaucoup de copinage entre les journalistes-auteurs-critiques (souvent un même homme porte les 3 casquettes) pousse tel ou tel livre de façon artificielle. Comme le disait Virginia Woolf, un livre n’a pas besoin de béquilles, il tient debout tout seul. Quand un livre est bombardé dans tous les médias, je m’en méfie d’ailleurs, j’attends confirmation par un bon libraire ou par les lecteurs de qui je me sens proche. Je n’achète jamais un livre par snobisme (surtout pas les prix qui se sont multipliés ces dernières années pour que toutes les maisons d’édition soient servies avant la clôture des comptes en décembre…) Beaucoup de bons libraires indépendants passionnés font très bien leur boulot de conseillers par ailleurs et s’adaptent à la sensibilité de chacun. Pour moi un bon livre est un livre que je corne, que je relis, qui illustre un propos qui m’intéresse, ou encore mieux qui m’entraîne sur des sujets totalement à l’opposé de ce qui habituellement m’intéresse grâce à la beauté de la langue ou si l’auteur a un talent de conteur.
RépondreSupprimerComme certains l’ont rappelé certains romans dits classiques aujourd’hui étaient des romans de gare à leur parution. Nul n’est capable de dire ce qui restera et ce qui ne restera pas. Mais chacun doit choisir en fonction de son seul jugement sans se laisser influencer par tel ou tel mouvement de mode.
De plus nos goûts évoluent. Plus nous lisons, plus nous devenons exigeants et curieux. Nous ne lisons pas le même type de livre selon que l’on ait le moral au beau fixe ou pas, en été ou en hiver.
Une chose est sûre : personne ne doit se priver de lecture.
Totalement d’accord avec vous. Je me pose souvent la question de la légitimité. Je me pose également les sempiternelles questions : Comment émerge l’écriture ? Comment la définir pour qu’elle soit la plus accomplie possible ?
RépondreSupprimerLa question de l’écriture juste est également une question qui me taraude et je me pose toujours la question : Comment arriver à une écriture juste et qu’est ce qui fait qu’un texte sonne juste ou pas ?
Je crois que la justesse d’un propos est un thème qui me hante puisque je ne cesse de traquer ce qui sonne juste et ce qui sonne faux dans un roman. Sachant que Mrs Dalloway de V. Woolf est un roman qui m’a beaucoup marqué, il y a finalement une certaine cohérence dans mon propos puisque ce livre illustre ce décalage permanent qui existe entre nos actes et nos pensées. L’écriture me donne peut-être l’illusion de réduire cet écart et donc la justesse du propos est une question qui me travaille.
Je découvre votre site aujourd’hui et j’y reviendrai !