L'Idiot de Fédor Dostoïevski - Chronique n°550

 Titre : L'Idiot
Auteur : Fédor Dostoïevski
Genre : Classique
Editions : Folio
Date de parution originale : 1869
Lu en : français
Traduit par : Albert Mousset
Nombre de pages : 1024

Résumé : Le prince Mychkine arrive à Saint-Pétersbourg. Idiot de naissance parce qu'incapable d'agir, il est infiniment bon. Projeté dans un monde cupide, arriviste et passionnel, il l'illumine de son regard. Par sa générosité, tel le Christ, Lev Nicolaïevitch révélera le meilleur enfoui en chacun. La trop belle Nastassia, achetée cent mille roubles, retrouve la pureté, Gania Ivolguine le sens de l'honneur, et le sanglant Rogojine goûte, un instant, la fraternité. Dostoïevski voulait représenter l'homme positivement bon. Mais que peut-il face aux vices de la société, face à la passion ?

-----------------------------------------------------------------

Je ne sais pas vous, mais je trouve ça vraiment très marrant, l'idée de se mettre à son clavier, d'ouvrir son petit onglet et de se mettre à écrire une critique d'un énorme pavé représentant plus ou moins le sommet de la littérature russe du XIXème siècle, avec morgue et assurance.

C'est bien entendu ce que je m'apprête à (tenter de) faire, sous vos yeux (je l'espère) ébahis. Il sera encore mieux entendu qu'on part tous ensemble du principe qu'on se trouve là face un texte admirablement construit, très long, vraiment unique d'un point de vue stylistique, un peu long quand même, tout à fait passionnant, et beaucoup trop long sans que jamais ça ne soit vraiment dérangeant.

L'Idiot est un texte marquant par son génial taux d'ironie constante, sa capacité à se jouer de tout, des codes, de ses personnages, de son ton, de ses symboliques et de ses clichés, de juxtaposer en tous temps le grotesque et le grandiose. C'est parcouru d'histoires d'amour particulièrement tordues, de dîners mondains interrompus par des perturbations de toutes sortes (et toujours divertissantes), de longs dialogues torturés et particulièrement vivaces, d'analyses toujours éclairantes du comportement et des usages d'une certaine "haute classe moyenne" russe au XIXème siècle. 

Le personnage de l'Idiot (un prince du nom de Mychkine) s'avère être un formidable outil romanesque, puisqu'il agit comme un déclencheur, une forme de révélateur sur lequel vont venir se frotter (pas littéralement, fort heureusement) l'ensemble des personnages de ce petit pavé. Au début du roman, le prince débarque en effet tout juste d'une clinique suisse où il vient de passer des années à (tenter de) soigner l'épilepsie qui lui gâche la vie depuis toujours, et redécouvre ainsi d'un coup les coutumes et les codes d'une société russe qu'il n'a plus fréquentée depuis bien longtemps. Seul, pauvre et globalement assez démuni, il se tourne vers une lointaine cousine avec pour vague projet de faire valoir auprès d'elle leur parenté et se faire prendre sous son aile le temps de trouver quoi faire de sa vie. C'est ainsi qu'il rencontre des cousines, de futurs potentiels alliés, d'autres individus avec lesquels il ne trouve au contraire aucun atome crochu, et surtout, surtout, la splendide Nastassia Filippovna, dont il tombe tout de suite passionnément amoureux et qui n'aura de cesse de, on peut le dire, le torturer émotionnellement. 

C'est bien entendu très (très) bavard, et il n'est pas rare qu'on se perde un peu entre les océans de dialogues auxquels Dostoïevski nous introduit, mais on trouve toujours très vite de quoi se repérer à nouveau, qu'il s'agisse d'une scène particulièrement frappante, d'une tirade déchirante ou d'une simple pique ironique tout à fait savoureuse. L'intrigue fonctionne, avec juste ce qu'il faut de tension et juste ce qu'il faut d'évidence tragique, et laisse le lecteur avec tout juste ce qu'il faut de frustration et de mystère pour donner de l'amplitude à l'ensemble de tractations et autres péripéties auxquelles on vient d'assister.

L'atmosphère est très particulière, l'écriture très hachée, les dialogues intenses, l'action resserrée sur une durée assez restreinte, on est bien loin d'un roman contemplatif. Non, ici, ce qui intéresse Dostoïevski, ce sont les contradictions humaines, l'amour et combien on en fait n'importe quoi, la loyauté, l'honneur, l'intégrité, toutes ces valeurs qu'on brandit vite et dont on a vite fait de se détourner. C'est surtout la possibilité même du bien qui l'obsède, la façon dont toute personne pourvue d'un tant soit peu de bonté semble condamnée à être manipulée ou bien à devenir tout simplement le dindon de la farce, et l'existence même d'une possibilité de survivre à cette vaste supercherie qu'est la vie en société. C'est très cruel sans être indigeste, trop long certes mais tellement rythmé qu'on se laisse malgré tout emporter, et on en ressort un peu sonné, comme imprégné dans cette plume à la fois très particulière et très "transparente". Bref, sans doute ce qu'on peut appeler un sacré roman russe.  

Commentaires

  1. Aucune morgue dans votre critique, soyez rassurée ! J'approuve votre belle assurance, vous avez aimé ce texte, savez en parler et communiquer votre admiration, c'est tout à fait le rôle d'une bonne critique de lectrice : donner envie aux autres de lire un chef d’œuvre, même s'il est d'un abord un peu difficile, même s'il n'est pas à la mode.
    Pour ma part, je trouve très intéressant de lire l'avis de quelqu'un de jeune sur un classique que l'on rencontre peu sur les blogs de lecture, une manière de dépoussiérer les rayons oubliés de la bibliothèque et de remettre en lumière des auteurs qui le mérite !

    RépondreSupprimer
  2. qui le méritent ! Oups, quelle faute...

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Pourquoi faire un film en noir et blanc en 2021 ? [Capucinéphile]

La Disparition de Stephanie Mailer de Joël Dicker - Chronique n°426

Une Femme d'Anne Delbée - Chronique n°427

J'avoue que j'ai vécu de Pablo Neruda - Chronique n°517

À la place du cœur d'Arnaud Cathrine — Chronique n°241