Elle a menti pour les ailes de Francesca Serra - Chronique n°549

 Titre : Elle a menti pour les ailes
Autrice : Francesca Serra
Genre : Contemporain
Editions : Anne Carrière
Date de parution : 2020

Nombre de pages : 480
Résumé : Année scolaire 2015-2016, une station balnéaire dans le sud-est de la France. Un concours de mannequins annonce une étape de sa tournée régionale dans cette ville qui ne s’anime d’ordinaire qu’à l’arrivée des touristes en été.

Garance Sollogoub, la fille d’une professeure de danse, est d’ores et déjà donnée favorite. Elle attire l’attention d’une bande d’adolescents plus âgés, les plus populaires, ceux avec lesquels elle a toujours rêvé de traîner. Pour se faire accepter d’eux, elle va devoir consentir à quelques sacrifices. En échange, ils vont lui offrir trois choses : l’ennui, le sentiment d’appartenance et la férocité de la meute.

Quelques mois plus tard, Garance disparaît.

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Peuple.
Je le tiens.
Après des semaines d'investigation férue et féroce, voici enfin sous vos yeux ébahis la merveille des merveilles.
Mon premier coup de coeur de la rentrée littéraire.

(Je sais, c'est artificiel, la rentrée littéraire, les catégories, les coups de pub, tout ça. 
Mais force est d'admettre que c'est tout de même un petit symbole, et un sacré plaisir, que d'avoir un roman préféré en cette période censée être une grande réjouissance littéraire).

Elle a menti pour les ailes est le genre de roman qui ne s'ancre dans aucune catégorie fixe en particulier, et semble même prendre un certain plaisir à les flouer et les confondre tout en s'inspirant de ce que chacune peut avoir de meilleur à offrir. Tour à tour contemporain, très sombre, parfois franchement digne du thriller, toujours très poétique, ancré dans un certain ton teenage, Elle a menti pour les ailes allie une intrigue agrippante (oui oui, agrippante, j'insiste) à un style foudroyant, parfois très chargé mais jamais lourd, toujours pétri par un vrai souci de véracité, de sincérité et de fluidité. Il est rare (en tout cas pour mon humble personne) de tomber à ce point et si souvent en arrêt devant tant de phrases, parfois des paragraphes entiers, avec pour pensée "mais que c'est bien dit". C'est bien simple, on a souvent face à la plume de Serra ce sentiment merveilleux que parviennent parfois à susciter certain.e.s écrivain.e.s dont la plume vient gratter toutes ces perceptions un peu complexes et très importantes qu'on n'a souvent ni le temps, ni l'espace de se formuler dans le tunnel de nos expériences quotidiennes. Des romans comme celui-ci le permettent.

Et c'est vraiment précieux.

C'est un roman d'adolescents écrit par une adulte, sans que jamais n'en émerge un quelconque sentiment de décalage ou de condescendance. Au contraire, on y trouve le mariage parfait entre l'ironie et la prise de recul d'une écrivaine en capacité de porter un regard très analytique sur ses personnages, et la sincérité palpable du récit, la volonté de ce dernier de donner à voir et de rendre justice à ses protagonistes au-delà de tout cliché ou filtre de jugement. On les comprend, ces adolescents, dans leurs rites un peu ridicules comme dans leurs élans de spontanéité plus qu'attachants, dans la justesse de leurs idéaux comme dans la vanité de certains de leurs comportements. C'est doux et presque réparateur, malgré la grande brutalité de l'intrigue et le caractère mauvais de pas mal de ses personnages, pour la simple et bonne raison qu'on n'a pas l'habitude de lire pareille vision de l'adolescence, dans toute son énergie, sa justesse, ses contradictions et ses passions, avec une telle bienveillance et une telle lucidité. Quand on sort comme moi de cette période-là, on a envie de s'écrier à chaque page "voilà, exactement !" tant on trouve une espèce de jubilation à se senti ainsi compris et observé, sans que jamais le propos ne soit surexpliqué ni rationalisé à l'extrême. Francesca Serra a su se rendre véritablement écrivaine là-dessus : témoin mais pas juge, impliquée mais pas expliqueuse, accompagnante mais pas moralisante. Il y a quelque chose de rare et touchant dans le fait de sentir ainsi une écrivaine en profonde empathie avec ses personnages, capable de les décortiquer, de les éprouver et de les confronter à leurs contradictions sans jamais tomber dans le piège de la facilité en les prenant de haut. C'est un texte parcouru de violence, certes. Mais je crois que c'est avant tout une histoire réconciliatrice.

L'intrigue en elle-même se construit à coups d'allers-retours, de pistes multiples enchevêtrées les unes dans les autres, de digressions et de belles envolées, le tout à un rythme parfois inégal mais qui ne relève honnêtement même pas du défaut tant tout dans la plume de l'autrice est beau, juste et pertinent. Chaque image tombe de façon surprenante et appropriée, et apporte comme un supplément instantané d'émotion, pour un texte extrêmement évocateur parcouru de références, symboliques et autres motifs implicites qui le réhaussent d'une sincérité rare. Rien n'est artificiel, tout est construit sans être calculé, et l'histoire transmet une fougue splendide, un sens du détail en un mot exquis et une passion dévorante pour son propre sujet.

On y parle de toutes ces choses dont on parle si souvent, si vite et si mal, les réseaux sociaux, les téléphones et les amis qu'on s'y fait, les soirées et comment on les passe, la beauté et le regard qu'on y appose, les amoureux et comment on s'en remet, la popularité et ce qu'il en reste, après. C'est sans caricature et toujours pris au sérieux, ça reste tellement drôle et en même temps parfois un peu affreux, c'est parcouru de contradictions et ça en dégage une vraie beauté. C'est sombre, très, surtout vers la fin (un peu trop ?), mais ça se veut (et c'est) plein de sagesse, de profondeur et de perspective. On en sort soufflé, sacrément secoué (ça va sans dire), perturbé par ces personnages presque iconiques qu'on a appris à découvrir par tant de voix interposées (celle de la narration à la troisième personne, celles des dialogues, si piquantes, celles des SMS, commentaires et posts Facebook, si vivantes, celle des descriptions un peu moins réalistes et carrément intimistes, si enivrante). C'est un sacré vertige qu'Elle a menti pour les ailes, du genre qui malmène et qui élève. Un vertige dont on retient la grâce, surtout lorsque son regard se pose sur les petits riens, toutes les petites intentions désespérées dont on sème son quotidien, les espoirs innocents et les comportements discrets où transparaissent nos plus grands idéaux : l'amour, la communauté, et la reconnaissance.

Vraiment.
C'est un sacré bouquin.



Commentaires

  1. Très bon livre en effet je viens de le finir, jaurai juste aimé une autre fin qui ne nous demande pas autant d'imagination...

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