Le Tombeau d'Apollinaire de Xavier-Marie Bonnot - Chronique n°506

Titre : Le Tombeau d'Apollinaire
Auteur : Xavier-Marie Bonnot
Genre : Historique
Date de parution : 2018
Editions : Belfond (collection Pointillés)
Lu en : français
Nombre de pages : 400
Résumé : Dans les tranchées de la Grande Guerre, le sergent Philippe Moreau dessine les horreurs qu’il ne peut dire. Son chef, le sous-lieutenant Guillaume de Kostrowitzky, écrit des articles, des lettres et des poèmes qu’il signe du nom de Guillaume Apollinaire. La guerre, comme une muse tragique, fascine l’auteur d’Alcools. Pour Philippe Moreau, jeune paysan de Champagne, elle est une abomination qui a détruit à jamais son village.
Blessés le même jour de mars 1916, les deux soldats sont évacués à l’arrière et se perdent de vue. Philippe Moreau va tout faire pour retrouver son lieutenant. Une quête qui l’entraîne jusqu’à Saint-Germain-des-Prés et Montparnasse, où il croise Cendrars, Picasso, Cocteau, Modigliani, Braque...

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Bon, les amis, nous sommes en présence d'un petit bijou.

Il faut admettre que lorsque l'on prend le parti de centrer son roman sur la figure d'Apollinaire, et que l'on est donc amené à citer les poèmes dudit Apollinaire de façon extensive au cours de son récit, on met tout de même toutes les chances de son côté.
Ça apporte un certain cachet, disons.
Mais ça ne fait pas tout.

Bien plus que rendre hommage à un artiste de génie, Xavier-Marie Bonnot parvient à créer son oeuvre propre, avec une atmosphère originale, une sensibilité personnelle clairement exprimée au fil de l'intrigue, un regard tendre et lucide posé sur ses personnages réels comme fictifs, et surtout, surtout, une plume foudroyante, amoureuse de la langue d'Apollinaire, de son univers, de ses amours et de ses angoisses. La narration de Bonnot à travers le personnage de Lucien convainc instantanément, se posant en écho de celle du poète, mais assez mature pour s'en détacher et offrir de nombreux moments de grâce saisissants. Il est rare de devoir poser un roman pour se laisser le temps de digérer une phrase ou un paragraphe, puis de le reprendre, relire lesdits passages, s'arrêter encore, savourer une fois de plus, mais avec Le Tombeau d'Apollinaire, ce petit jeu de délectation littéraire devient quasi constant.

Le tombeau fait d'Apollinaire le flamboyant personnage de roman dont on n'a aucun mal à croire qu'il l'était d'une certaine façon tout au long de son existence. Erratique, génial, protecteur, loyal, celui que l'on découvre avant tout comme le lieutenant de Lucien, le narrateur, et qui s'affirme petit à petit comme le poète que l'on connaît. La vision que Xavier-Marie Bonnot a de cette figure historique est lumineuse : à mi-chemin entre l'enfant malicieux et l'artiste un peu amoureux de lui-même, débordant de bonnes intentions et complètement incontrôlable, Apollinaire constitue incontestablement le cœur du roman, sans jamais non plus éclipser les trajectoires des autres personnages, à commencer par celle de Lucien qui ne démérite pas en termes de sensibilité et d'intelligence. On prend plaisir à croiser les parcours des deux hommes, entre l'étranger fou de la France qui s'est précipité de lui-même sur le front et le jeune garçon empêtré dans une guerre dont il n'a jamais voulu, et on s'attache formidablement à leur complicité si naturelle qu'on peine à croire que Lucien n'est bel et bien qu'un personnage de fiction.

Le roman dépasse bien entendu la "petite" histoire de Lucien et de ses compagnons de galère, et brosse à merveille le tableau d'une époque, d'une douleur généralisée, d'une impuissance collective que seule l'art semble à même d'apaiser. L'auteur décrit avec une intensité rare le découragement des soldats, la violence des assauts auxquels il est impossible de se préparer en dépit des mois et des mois qu'on passe à les attendre, et surtout le mélange de désillusion et de déni auquel les anciens combattants se confrontent lorsqu'ils émergent enfin de la guerre, marqués à vie par un conflit dont il est clair qu'il n'a pas servi à grand-chose d'autre qu'à honorer des intérêts politiques distants. Le tout crée une atmosphère grave sans être pesante, et il n'est pas rare que la gorge du lecteur se serre à intervalles (très) réguliers au fil de descriptions et dialogues d'autant plus poignants qu'ils n'en font pas trop. C'est un roman fabuleux, qui accomplit le petit exploit de retracer des événements et traumatismes infiniment brutaux avec une délicatesse folle, le tout en conférant à l'art et à la création leur pouvoir le plus puissant : celui de la réparation. 

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