La Maison aux Esprits d'Isabel Allende - Chronique n°479

Titre : La Maison aux Esprits
Autrice : Isabel Allende
Genre : Contemporain | Historique
Editions : Le Livre de Poche
Lu en : français
Date de parution : 1982
Résumé : Une grande saga familiale dans une contrée qui ressemble à s'y méprendre au Chili. Entre les différentes générations, entre la branche des maîtres et celle des bâtards, entre le patriarche, les femmes de la maison, les domestiques, les paysans du domaine, se nouent et se dénouent des relations marquées par l'absolu de l'amour, la familiarité de la mort, la folie douce ou bestiale des uns et des autres, qui reflètent et résument les vicissitudes d'un pays passé en quelques décennies des rythmes ruraux et des traditions paysannes aux affrontements fratricides et à la férocité des tyrannies modernes.

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Certaines familles se résument en quelques phrases seulement, à coups de formules usuelles et de bonheurs convenus. D'autres, pour déployer leurs innombrables turpitudes et autres détresses inimaginables, ont bien besoin de plus de 500 pages pour se raconter. C'est le cas des Trueba del Valle, dont l'histoire sans commune mesure occupe sur quatre générations ce roman fascinant. A travers les parcours de quatre femmes aux prénoms cousins (Nivea, Clara, Blanca et Alba), toutes mères et filles les unes des autres, Isabel Allende décrit l'évolution d'un pays jamais nommé mais transparent à chaque instant, le sien, le Chili. Le roman est dense, touffu, en un mot, il se mérite. Chaque dizaine de pages voit s'enchaîner une nouvelle somme considérable d'événements, chaque centaine est carrément l'occasion de passer plus d'une décennie d'action, et le livre complet couvre aussi bien les transformations politiques du Chili que ses bouleversements sociaux et autres dynamiques profondes diverses et variées.

Reprenons donc du début : La Maison aux Esprits, c'est avant tout l'histoire de Severo et Nivea Del Valle, de leur fille Clara, de leur gendre Esteban, et de la descendance de ces derniers. Pris dans les embrouilles et galères de leur siècle, qu'il s'agisse d'une guerre, d'une maladie ou d'un accident, les personnages se démènent, font avec leurs handicaps et leurs facultés plus ou moins surnaturelles, et parviennent toujours à relancer l'intrigue vers de nouveaux rebondissements saisissants. Les Trueba del Valle traversent une première guerre mondiale, une seconde, plusieurs crises économiques et désastres naturelles, et enfin et surtout le coup d'Etat que l'on sait être celui de 1973, suivi de la dictature de Pinochet. Ces pierres blanches historiques, loin de se restreindre à de simples repères ou prétextes narratifs, viennent véritablement scander et refléter la condition des protagonistes, notamment des femmes qui parviennent à chaque fois à s'émanciper un peu plus, à triompher contre toute attente, à sauver la face malgré l'adversité.

On loue souvent Isabel Allende pour ses héroïnes fortes et sa prose plus généralement largement concentrée sur la force des femmes, et si c'est effectivement le cas ici avec des héroïnes toutes plus marquantes les unes que les autres - mention spéciale à Clara qui rentre dans mon panthéon personnel des figures fictives les plus hautes en couleur -, elle maintient un parfait équilibre entre ces portraits féminins et leurs partenaires (ou adversaires, c'est selon) masculins, avec lesquels elles entretiennent des relations tour à tour passionnelles, conflictuelles, absolues, indifférentes ou encore belliqueuses. On pense notamment à Esteban Trueba, anti-héros s'il en est, d'abord présenté comme mou et passif, puis combatif et têtu, ou encore dur, aveugle, inflexible, surprenant, égoïste, violent, puissant. Rarement a-t-on suivi une telle brute, et rarement aura-t-on eu autant de curiosité pour son sort. 

Le roman est à la fois confortable, familier, parcouru d'un certain nombre de balises et autres pauses narratives qui permettent de se sentir à l'aise dans l'histoire, mais il parvient aussi à bousculer quelque peu son lecteur, notamment avec les pouvoirs divinatoires de Clara, les touches d'irréel parsemées au fil des pages, les hyperboles qui sont ici monnaie courante, ou encore les drames que l'on ne s'attend pas à voir venir et qui viennent irrémédiablement bouleverser ce dont on s'imaginait qu'il s'agirait de la suite. Il faut clairement s'habituer aux allers-retours fréquents de l'autrice dans sa chronologie, aux annonces, aux prédictions, aux symboliques constantes, aux phrases chargées de significations, aux sous-entendus politiques, mais quand on prend le temps de s'immerger, de savourer, de comprendre, c'est un bonheur total, un pur plaisir littéraire. 

On compare enfin énormément ce roman à Cent Ans de Solitude de Garcia Marquez, que j'ai justement lu en début d'année. C'est vrai, notamment pour tout l'aspect "saga familiale imbibée de réalisme magique", mais à une différence près. Là où, il faut l'admettre, Cent Ans de Solitude suscite un certain ennui, La Maison aux Esprits est un incroyable, formidable, inoubliable bouillon de passions, de secrets et de tensions, une épopée incomparable aux accents grandiloquents, le tout sur fond de péripéties grandioses. 

Commentaires

  1. Au vu de ta chronique, je pense vraiment que je pourrais être tentée :D

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