Dix-Sept ans d'Eric Fottorino - Chronique n°444

Titre : Dix-Sept ans
Auteur : Eric Fottorino
Genre : Contemporain | Fiction autobiographique
Editions : Gallimard (collection Blanche)
Lu en : français
Résumé : Un dimanche de décembre, une femme livre à ses trois fils le secret qui l’étouffe. En révélant une souffrance insoupçonnée, cette mère niée par les siens depuis l’adolescence se révèle dans toute son humanité et son obstination à vivre libre, bien qu’à jamais blessée. 

Une trentaine d’années après Rochelle, Éric Fottorino apporte la pièce manquante de sa quête identitaire. À travers le portrait solaire et douloureux d’une mère inconnue, l’auteur de Korsakov et de L’homme qui m’aimait tout bas donne ici le plus personnel de ses romans.


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Elle avait dix-sept ans.
Elle avait dix-sept ans lorsqu'elle l'a eu lui. 

Et ça fait plus de cinquante ans qu'ils s'évitent et s'ignorent, sans avoir les mots pour comprendre et disséquer leur malaise. Et puis maintenant, à quoi bon, ils ont déjà épuisé la plupart de ce qu'ils avaient à partager - ce qu'ils ont en réalité manqué. 

Et pourtant.
Un jour, elle l'appelle à elle, avec ses frères. Elle parle. Enfin. Il est tard. Trop tard ? 

Elle lui raconte le manque, l'injustice, la blessure. Elle lui raconte un passé dont on a voulu lui faire croire qu'il serait un jour révolu. Elle lui raconte le regret qui ne fait que s'alourdir avec les années. Elle lui raconte qu'elle a cru pouvoir y arriver, vraiment, mais que c'était tout simplement au-dessus de ses forces.

Et lui écoute. 
Lui, c'est notre auteur et narrateur, à la fois personnage qui subit son destin et son histoire familiale sans rien pouvoir y changer, et écrivain qui a le pouvoir de réajuster la réalité au gré de sa plume, de plaquer des émotions sur le visage de sa mère, d'invoquer des souvenirs et autres symboliques, de s'émerveiller de certains hasards. C'est ce double regard, cette double perspective incarnée par une seule et même figure, qui fait la richesse de ce roman absolument splendide à tous égards. 

Splendide par son honnêteté, son aplomb qui parvient à allier pudeur et émotion bouleversante, splendide par sa plume qui sublime l'acte le plus insignifiant, splendide par son sens du récit et de l'immersion qui projette le lecteur tour à tour dans le Sud-Ouest de la France des années 60, puis dans la Nice d'aujourd'hui, en passant par bien des souvenirs d'enfance. Le décor sert la psyché du narrateur, s'adapte à ses états d'âme, et est surtout le prétexte pour livrer des confessions bouleversantes.

C'est enfin, tout bêtement, un roman splendide par ce qu'il raconte. L'acharnement à comprendre. L'envie de réparer. La croyance un peu naïve que si on arrive à poser tous les mots, absolument tous les mots, les mots justes, les mots vrais, sur ce qu'il s'est passé, alors le traumatisme s'atténuera, alors tout sera oublié, tout sera pardonné.

C'est faux, bien sûr. 
Mais c'est beau.

C'est un texte incroyablement bien construit, pensé, réfléchi, à l'impact considérable sur son lecteur. On est chahuté par la multiplicité des douleurs du narrateur : il y a la douleur première, celle du passé tenu secret, il y a la douleur du temps de l'exploration, et il y a la douleur de l'écriture même : comment rendre justice à l'histoire de sa mère, comment se faire justice soi-même par les mots, et face à qui ? Au passé ? Mais que peut le passé pour un écrivain dépossédé de sa vérité ?

Lisez Dix-Sept Ans, lisez cette histoire de cruauté transmise sur deux générations, de confusions, de jeux et d'errements avec la langue, découvrez ces images lumineuses et bouleversantes, ce parcours de mémoire qui résonnera forcément avec vous. Parce que l'on n'a certainement pas chacun vécu cette histoire, mais on a pu en ressentir des aspects, des flashs, des vibrations, qui se retrouvent ici exacerbés et sublimés.
Et wow. C'est incroyable.

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