Khalil de Yasmina Khadra - Chronique n°435

Titre : Khalil
Auteur : Yasmina Khadra
Genre : Littérature générale
Editions : Julliard
Lu en : français
Nombre de pages : 260
Résumé : Vendredi 13 novembre 2015. L'air est encore doux pour un soir d'hiver. Tandis que les Bleus électrisent le Stade de France, aux terrasses des brasseries parisiennes on trinque aux retrouvailles et aux rencontres heureuses. Une ceinture d'explosifs autour de la taille, Khalil attend de passer à l'acte. Il fait partie du commando qui s'apprête à ensanglanter la capitale.

Qui est Khalil ? Comment en est-il arrivé là ?
Dans ce nouveau roman, Yasmina Khadra nous livre une approche inédite du terrorisme, d'un réalisme et d'une justesse époustouflants, une plongée vertigineuse dans l'esprit d'un kamikaze qu'il suit à la trace, jusque dans ses derniers retranchements, pour nous éveiller à notre époque suspendue entre la fragile lucidité de la conscience et l'insoutenable brutalité de la folie.


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Khalil est jeune, belge, un peu perdu. 
Khalil a une famille, des amis. C'est déjà ça, mais pourtant, à ses propres yeux et aux yeux de la société, Khalil n'est rien. 

Mais c'est sur le point de changer. Bientôt, Khalil va devenir quelqu'un. 
Khalil croit avoir découvert la vérité, Khalil va le faire, c'est décidé, il s'est équipé. 
Rien ne saurait le faire changer d'avis. 
Khalil veut tuer.  

Khalil est au stade de France, on est le 13 novembre 2015. Bientôt, le sang, les cris, les notifications sur les téléphones et les portes calfeutrées. Mais pour l'instant, il n'y a que les pensées du jeune homme, et surtout, cette émotion insupportable pour nous lecteurs : son espoir. Car Khalil se croit, se sait sauvé. Khalil pense s'accomplir. 

Depuis sa parution, ce roman ne manque pas de créer une certaine appréhension, une certaine tension, et comment pourrait-il en être autrement ? Un récit de fiction dédié à un tel sujet, à un tel personnage, ne peut que diviser, apaiser comme raviver des blessures encore fraîches. Quel est le but de Yasmina Khadra, peut-on se demander ? Délivrer une vérité intransigeante, faire un essai de psychologie, ou au contraire broder une fable, s'inspirer de ? Rebondir sur, ou tenter de soigner une société malade ? Quelle doit être la vocation d'un tel ouvrage ? A quelle échelle doit-il tenter d'agir ? 

La littérature a un pouvoir, elle est le réel, surtout lorsqu'elle n'en a pas l'air. Un roman comme Khalil, bien que fictionnel, a un impact, marque les consciences. L'auteur l'a bien compris. Et c'est ce qui fait la justesse du texte.

Yasmina Khadra ne prétend rien, il invente, il imagine. Il crée un des chemins qui peut-être, ou peut-être pas, aurait pu ou pourrait mener quelqu'un le long de cette pente morbide. Il met sous les yeux de ses lecteurs des pistes, des intuitions, bref, une trajectoire humaine comme il en existe des milliards, sans jamais la banaliser, ni en faire quelque chose d'outrageusement sensationnel. Ce que vit et pense Khalil n'est pas normal, et vient profondément heurter notre sensibilité de lecteur, mais cela n'en fait pas pour autant un monstre - et c'est bien là ce qu'il y a de plus pénible à accepter. 

Khalil est l'histoire d'un homme, qui a fini au pire endroit possible, avec les pires intentions possibles, et le plus de noirceur qu'un être humain puisse concentrer. Mais ce sur quoi insiste Khadra, son plaidoyer en fait, est ce constant rappel à notre propre faillibilité, à nos points communs avec le terroriste, quand bien même cela puisse être pénible par instants pour certains. Avec sa plume dépouillée, douce et imagée, Khadra nous rappelle subtilement que Khalil a aussi une famille, deux sœurs, dont une qu'il aime plus que tout, des amis, des doutes, des égarements, des espoirs. 

Khalil n'est pas nous, il a rejeté notre communauté. Mais Khalil n'en est pas pour autant une donnée, une créature abjecte qui n'aurait rien à voir avec nous, une erreur du système. Sans complaisance, sans pardon aucun, Khadra accomplit la prouesse de nous plonger dans ce à quoi pourrait ressembler l'esprit de l'un de ceux qui basculent vers les sirènes morbides du djihadisme, pour une lecture marquante, douloureuse, splendide. Un passage en particulier me hante, tourne et retourne dans mon cerveau, une description tragique, grandiose et effrayante de la mer comme objet de tous les fantasmes et de toutes les peurs de Khalil. 


"Je n'avais d'yeux et d'ouïe que pour la chorégraphie aquatique.

La mer me sidérait avec les mystères de la mort ; je l'aimais parce qu'elle savait taire ses secrets, comme le Seigneur. Nul ne connaît son âge ; aucune science ne peut jauger sa force. Immémorable, sauvage et imprévisible, elle se mesure au temps qui passe tandis qu'elle nous renvoie à notre inconsistance de fantômes précoces en effaçant nos traces sur le sable, nos épaves sur le récif, les sillons de nos vaisseaux, l'horreur de nos naufrages. Il y a deux choses en elle qui évoquent Dieu : la communion et l'omnipotence."


C'est très dur, c'est très beau, c'est un roman que je n'oublierai pas de sitôt. Et pour cela, merci, monsieur Khadra.  

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