I'm your man de Maria Schrader [Cinéma]

Titre : I'm your man
Réalisé par : Maria Schrader
Date de sortie : 2022
Genre : Science-fiction
Durée : 1h45

Synopsis : 
Alma, brillante scientifique, se révèle être une parfaite candidate pour se prêter à une expérience : pendant trois semaines, elle doit vivre avec Tom, un robot à l’apparence humaine parfaite, spécialement programmé pour correspondre à sa définition de l’homme idéal. Son existence ne doit servir qu’un seul but : rendre Alma heureuse.

------------------------------------------------------------------------------

Alma, anthropologue de renom, est choisie comme testeuse experte par une entreprise qui vient de développer des robots androïdes programmés de bout en bout pour devenir l'âme sœur de l'humain qui leur sera associé. A force de questionnaires, d'entretiens et d'examens, la firme apprend tout ce qu'il y a à savoir sur vous et vos besoins pour concevoir le programme le plus personnalisé, le plus adapté, le plus assorti à qui vous êtes et ce à quoi vous aspirez. Sceptique, Alma se rend au premier rendez-vous avec ce partenaire particulier (rires), et se retrouve franchement décontenancée, pour ne pas dire rebutée, par le caractère lisse, profondément gentil, impossible à vexer du robot qui lui fait face, Tom. Ce dernier tente de la séduire par des moyens encore très maladroits, mais qui s'affineront au fil du temps, promet-il, au grand dam d'Alma qui ne parvient à aucun instant à voir derrière tout ce miel autre chose qu'une supercherie algorithmée. Bon an mal an, l'anthropologue finit par ramener l'androïde chez elle, pour un test d'une durée de trois semaines. Mais bien qu'elle aspire, au fond, plus que tout à trouver l'amour de sa vie, bien qu'elle crève de sa solitude et ce peu importe combien de fois elle s'échinera à le nier, ou peut-être même à cause de ça précisément, elle se braque dès que Tom semble lui apporter le moindre fragment de joie, se défie de lui, l'évite, le rejette. C'est du toc, tout ça, se dit-elle face aux innombrables attentions aimantes du robot, à son intelligence de plus en plus fine, au charme croissant duquel il imprègne son quotidien. Mais son pragmatisme, son rationalisme froid sauront-ils l'emporter sur les qualités littéralement infaillibles de Tom ?

Ce qui frappe avant tout avec le film, c'est sa finesse d'écriture, la subtilité avec laquelle il nourrit son sous-texte de multiples insinuations, de précieux sous-entendus, sans jamais avoir à tout expliciter, ce qui charge d'autant plus les dialogues de sens et d'émotion. Je pense à une scène particulièrement troublante qui retourne avec brio les rôles attendus pour tenir un propos aussi tacite que saisissant autour du consentement, ou à la réplique d'un personnage qui pourrait paraître anodine ou étonnante quand on ne s'y arrête pas, mais qui fait en réalité référence au racisme qu'il a subi toute sa vie. Le fait qu'il ne précise pas "c'est parce que je suis noir qu'on m'a dit ça" rend sa remarque encore plus marquante, encore plus amère, encore plus sincère et crédible. Et c'est tout le film qui est écrit comme ça : les choses sont là, palpables, sensibles, et c'est au spectateur non pas de remplir des lignes manquantes au scénario, mais d'ouvrir les cases soigneusement conçues par les dialogues, de soulever les trappes, d'aller fabriquer avec ses émotions à lui les émotions cachées des personnages. C'est aussi impliquant qu'émouvant, aussi valorisant que saisissant, et ça fait du film une expérience intime, personnelle : le film a besoin de nous, de notre regard attentif, de notre cœur ouvert, pour que tout soit dit, pour que toutes ses dimensions existent et s'épanouissent.

Le film vous roule dessus, gaiement et cordialement, vient broyer toutes vos vulnérabilités et tous vos espoirs et toute votre sensibilité et tout votre passé sentimental pour en tirer quelque chose d'aussi juste et universel qu'intime et vaguement secret : notre grande angoisse de la solitude, et les multiples portes de sortie artificielles qu'on peut être tenté d'emprunter pour y échapper. Sans jamais tomber dans un propos un peu stérile et réac du genre "la technologie c'est super pas bien du tout c'est très mauvais on devient tous débiles devant nos ordinateurs", le film vient appuyer avec une grande intelligence sur cette question qui nous hante un peu tous : vaut-il mieux être heureux pour de faux ou malheureux en pleine autonomie ? Vaut-il mieux un bonheur dépendant qu'un malheur autogéré ? Vaut-il mieux un paradis artificiel ou un enfer bien réel ? Mais qu'est-ce qui est seulement artificiel ? Au fond, ce robot, si on l'aime et s'il fait tout pour qu'on se sente aimé par lui, qu'importe qu'il soit vraiment ou non capable d'amour ? Dirions-nous non si l'on venait demain nous proposer de nous livrer le robot de nos rêves ? Jusqu'où peut-on aller, à quoi peut-on renoncer pour être heureux ? 

I'm your man est une profonde et totale réussite, doux et drôle et délicat et direct, avec juste ce qu'il faut de mélancolie, juste ce qu'il faut de cocasserie, juste ce qu'il faut de pauses narratives et de grands moments de tension. Il fait bien attention à laisser son histoire progresser au même rythme que la réflexion du spectateur, permettant ainsi à ce dernier d'avoir l'impression d'écrire le récit lui aussi, d'y participer au fur et à mesure qu'il songe à toutes les implications du synopsis de base, et touche du bout des doigts les multiples questions et dilemmes moraux que tout cela aborde. On se sent profondément compris, à la fois très très impuissant et très très éclairé, par l'itinéraire douloureux et si sincère de cette femme butée, très lucide par certains aspects et complètement aveuglée sur certains autres, sublimée et incarnée avec brio par une Maren Eggert absolument dinguissime. Dan Stevens, qui tient lui le rôle du robot, accomplit de son côté l'exploit de nous cueillir, de nous prendre par surprise : on est au début nous aussi un peu méfiants à son encontre, avec ses manières mécaniques et son sourire trop large pour être sincère, mais on finit par se laisser totalement happer par sa douceur sans fin, ses réflexions toutes douces, sa présence constante, le sentiment de sécurité inouï qu'il procure, et on se retrouve à verser les plus immenses larmes de sa vie durant tout le dernier quart d'heure comme le petit chaton fragile qu'on est - du moins si vous êtes comme moi, qui ai consacré environ vingt-sept minutes après la fin du générique à me vider de mes meilleurs sanglots entrecoupés de sourires béats chaque fois que je songeais à la justesse de certaines scènes du film.

Oui, on peut dire que j'ai bien aimé, oui.

Et je vous garantis que ce sera votre cas aussi si :

- vous êtes humain

- vous aimez l'amour

- vous vous sentez parfois seul

- vous connaissez des gens

- vous avez des relations avec certains gens

Filez donc, pleurez avec gaieté, et laissez-vous pétrir le coeur par cette petite pépite d'intelligence et d'ambiguïté. En plus Dan Stevens y parle allemand, espagnol ET français avec un léger adorable accent britannique qui a failli me rendre hétérosexuelle. Vous ne devez pas passer à côté de cela.


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Pourquoi faire un film en noir et blanc en 2021 ? [Capucinéphile]

J'avoue que j'ai vécu de Pablo Neruda - Chronique n°517

Une Femme d'Anne Delbée - Chronique n°427

U4 – Koridwen d'Yves Grevet — Chronique n°120

Le Choix d'Isabelle Hanne [Littérature]