Laissez-nous la nuit de Pauline Claviere - Chronique n°554
Titre : Laissez-nous la nuit
Autrice : Pauline Claviere
Genre : Contemporain
Editions : Grasset
Date de parution : 2020
Nombre de pages : 587
Lu en : français
Résumé : Pour Max Nedelec, la cinquantaine, patron d'une imprimerie en difficulté, tout bascule un matin d'avril , quand des policiers viennent sonner à sa porte. C'est le printemps, une douce lumière embrasse son jardin. Un bordereau perdu, des dettes non honorées, beaucoup de malchance et un peu de triche. La justice frappe, impitoyable. Max Nedelec quitte le tribunal et ne rentrera pas chez lui.
Vingt-quatre mois de prison ferme : il s'enfonce dans la nuit. Là-bas, le bruit des grilles qui s'ouvrent et se ferment marquent les heures ; là-bas, on vit à deux dans 9 mètres carrés ; là-bas, les hommes changent de nom et se déforment. Bienvenue aux âmes perdues et retrouvées.
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C'est toujours chouette de lire un premier roman, surtout un gros pavé comme ça, on a de quoi faire de vraies découvertes, se confronter à des plumes, des voix, des thématiques nouvelles.
C'est toujours chouette aussi, parce que c'est là qu'on est le plus pris au dépourvu parfois, qu'on se laisse surprendre, qu'on voit ses attentes vraiment détournées.
Laissez-nous la nuit a été, à ce titre, une jolie découverte, surtout étant donné qu'il s'agit du premier roman d'une journaliste. Attention, je vais partir dans de (très) larges généralisations, mais de la part des journalistes écrivains, on a souvent droit à des romans très lissés, avec une façon d'écrire parfois très fonctionnelle, des personnages réduits à des types et des thématiques très conventionnelles. Rien de tout ça ici : Pauline Claviere s'indigne, s'émeut, s'énerve, et emporte ses lecteurs avec elle dans un long texte bouillonnant où la thématique de l'incarcération a été étudiée avec soin et exigence, où l'intrigue possède de nombreuses et riches ramifications, et les personnages sont décrits avec minutie et une certaine intelligence sociologique.
Le roman avait donc tout pour me plaire, mais voilà, il s'agit là d'un texte qui a les défauts de ses qualités (je sais, c'est terriblement galvaudé comme formule, promis, c'est à peu près justifié, enfin, je crois). En gros, à force de trop vouloir tout dire d'un coup, de vouloir marquer l'esprit du lecteur, et peut-être l'époque aussi, le roman erre, se répète, en fait trop, perd en intensité et en puissance à force de multiplier les descriptions, analyses, ressassements et autres boucles mentales psychologisantes. Certains passages, parfois séparés de quelques pages ou quelques chapitres seulement, se ressemblent de façon confondante, certains constats du début du roman sont les miroirs des conclusions auxquelles l'histoire aboutit, et force est d'admettre qu'on a souvent le sentiment de traîner, voire de piétiner, dans une intrigue dont les enjeux sont clairement posés dès ses tous premiers instants, et qu'on ne verra guère évoluer dans son développement. Le propos de Pauline Clavière est fort, juste, mais malheureusement affaibli dans son exécution par la façon dont elle le ressasse et peine à le renouveler. Le texte n'est pas non plus aidé par sa longueur, près de 600 pages, avec un rythme qui pèche : le début, in medias res, est marquant, brutal même, mais il perd vite de sa poigne et de sa pertinence au fur et à mesure qu'il retombe vers quelque chose de plus lourd. La première moitié du récit est notamment vraiment longue, avec des personnages-concept qui existent davantage par les longues descriptions que l'autrice en fait plutôt que par leur chair, leur esprit, leurs idées, le tout n'étant pas aidé par une action qui ne démarre jamais franchement.
Le roman souffre enfin d'une difficulté au niveau de son point de vue : on est censé partir du personnage central de Nedelec comme repère, appui et protagoniste, mais l'autrice le campe dans un rôle d'observateur, de témoin très passif et finalement assez inaccessible qui le rend très distant pour le lecteur.
Laissez-nous la nuit est donc un texte ambitieux dans son propos, porteur d'une vraie qualité, d'un travail, d'un engagement, mais qui reste malheureusement bien trop dans l'analyse, le concept et la théorie, sans jamais vraiment s'engager sur le terrain de l'émotion. La détresse, la colère et la combativité des personnages restent très abstraites, impalpables, et il nous est difficile d'oublier en tant que lecteur qu'on est face à des pages de papier, et rarement, hélas, se laisse-t-on porter par ce récit ambitieux mais trop désincarné. Une jolie tentative, et une autrice douée qui a certainement de belles choses à offrir, mais un premier roman encore perfectible.
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