Les Grandes Familles de Maurice Druon - Chronique n°470
Titre : Les Grandes Familles
Genre : Contemporain
Date de parution : 1948
Lu en : français
Lu en : français
Nombre de pages : 446
Résumé : Immense fresque de la bourgeoisie française des années quarante et cinquante, tableau impitoyable des milieux politiques et financiers de l'entre-deux-guerres, cet ouvrage de Maurice Druon a reçu le prix Goncourt, et fait partie des romans les plus célèbres de la littérature française contemporaine. Il a été salué par la critique dès sa publication, traduit dans le monde entier et porté à l'écran avec succès.
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On connaît surtout Maurice Druon pour sa fameuse saga des Rois Maudits, qui a notamment inspiré une oeuvre un peu anonyme et très confidentielle intitulée A Song Of Ice And Fire, elle-même à l'origine d'une petite série télé sans grande envergure nommée Game of Thrones. Rien que ça.
Ce que l'on sait moins, et que j'ignorais absolument totalement, c'est que Druon ne s'est pas limité à cette faramineuse entreprise : avant les rois de France du Moyen-Âge, c'est à la grande bourgeoisie de l'entre-deux-guerres qu'il s'intéresse au travers d'une grande fresque couronnée du prix Goncourt en 1948.
Oui, on part vraiment sur un CV correct.
Les Grandes Familles, puisque tel est le titre dudit roman lauréat, retrace le parcours de deux familles unies par le mariage de deux de leurs enfants : les De La Monnerie, grande lignée aristocratique dont le patriarche siège à l'Académie Française et jouit d'une immense renommée grâce à sa poésie, et les Schoulder, clan mené par ses irréductibles patriarches, solidement installé à la tête de florissantes industries.
Le tableau semble figé ainsi dans le temps pour l'éternité. Les dirigeants engoncés dans leurs certitudes, les fortunes si solides qu'elles peuvent se permettre toutes les prises de risque, les décès qui ébranlent sans faire défaillir, les femmes mises en position d'infériorité, bref, l'ordre établi.
Mais l'entre-deux-guerres bouillonne de sa furie reconstructrice, la société grogne, l'économie se chamboule, les ambitions se réveillent, et les Schoulder sont bien vite entraînés dans une fascinante et effrayante décadence, au fur et à mesure que le monde autour d'eux mute vers quelque chose d'inconnu et d'incontrôlable, que les vieilles générations se laissent dépasser par des successeurs qu'ils n'ont jamais pris le temps de former, par cupidité et jalousie, que les années défilent et emportent avec elles les vestiges d'une époque qui n'a plus sa place dans le Paris des années folles.
L'auteur s'amuse et se gausse de personnages qu'il a lui-même hissés vers des honneurs qu'ils n'ont jamais mérités, au fur et à mesure qu'il révèle leur insoutenable superficialité et leur avidité sans nom. Il les brosse à grands coups de pinceau littéraire intransigeant, leurs défauts plus éclatants que jamais, leur condamnation irréversible, leur perte fatale.
Le roman se dévore avec la même sensation délicieuse que celle qui accompagne le visionnage d'une série particulièrement savoureuse, avec force trahisons, manipulations et retournements de situation. C'est, en quelque sorte, le Dallas de l'époque, avec un peu plus de sophistication littéraire et d'inventivité dans les descriptions.
(J'assume entièrement cette comparaison.)
Plus sérieusement, le roman s'offre à la fois comme un exquis divertissement et une critique tout à fait acerbe d'une société encore contemporaine pour l'auteur, ses codes périmés et ses exigences qui ont cessé d'être tenables. A travers les patriarches grotesques et pourrissants sur pattes qu'il décrit dans son oeuvre, c'est à un ordre des choses tout entier qu'il s'attaque. Qu'on s'entende bien, Les Grandes Familles n'est pas non plus un brûlot révolutionnaire, ne serait-ce par exemple que par le rôle minoritaire qu'y tiennent les femmes - qui ont parfois de vraies intrigues propres, mais toujours liées à des histoires de mariage ou de grossesses. Le roman est ancré dans son époque, certes, mais résonne toujours très fortement par certains aspects avec la nôtre, notamment par sa critique des inégalités, des déconnexions d'avec la vie réelle, des prestiges stériles, des sphères imperméables au reste de la société.
C'est exquisément écrit, c'est drôle, c'est fluide, c'est prenant, c'est malin, c'est formidablement bien construit, bref, c'est à découvrir.
PS : les tomes 2 et 3 de cette trilogie ne sont manifestement pas édités. C'est un scandale. Je proteste. J'ai besoin de ma dose de drama familial. SVP Le Livre de Poche. Ne me laissez pas seule dans mon aporie littéraire.
On connaît surtout Maurice Druon pour sa fameuse saga des Rois Maudits, qui a notamment inspiré une oeuvre un peu anonyme et très confidentielle intitulée A Song Of Ice And Fire, elle-même à l'origine d'une petite série télé sans grande envergure nommée Game of Thrones. Rien que ça.
Ce que l'on sait moins, et que j'ignorais absolument totalement, c'est que Druon ne s'est pas limité à cette faramineuse entreprise : avant les rois de France du Moyen-Âge, c'est à la grande bourgeoisie de l'entre-deux-guerres qu'il s'intéresse au travers d'une grande fresque couronnée du prix Goncourt en 1948.
Oui, on part vraiment sur un CV correct.
Les Grandes Familles, puisque tel est le titre dudit roman lauréat, retrace le parcours de deux familles unies par le mariage de deux de leurs enfants : les De La Monnerie, grande lignée aristocratique dont le patriarche siège à l'Académie Française et jouit d'une immense renommée grâce à sa poésie, et les Schoulder, clan mené par ses irréductibles patriarches, solidement installé à la tête de florissantes industries.
Le tableau semble figé ainsi dans le temps pour l'éternité. Les dirigeants engoncés dans leurs certitudes, les fortunes si solides qu'elles peuvent se permettre toutes les prises de risque, les décès qui ébranlent sans faire défaillir, les femmes mises en position d'infériorité, bref, l'ordre établi.
Mais l'entre-deux-guerres bouillonne de sa furie reconstructrice, la société grogne, l'économie se chamboule, les ambitions se réveillent, et les Schoulder sont bien vite entraînés dans une fascinante et effrayante décadence, au fur et à mesure que le monde autour d'eux mute vers quelque chose d'inconnu et d'incontrôlable, que les vieilles générations se laissent dépasser par des successeurs qu'ils n'ont jamais pris le temps de former, par cupidité et jalousie, que les années défilent et emportent avec elles les vestiges d'une époque qui n'a plus sa place dans le Paris des années folles.
L'auteur s'amuse et se gausse de personnages qu'il a lui-même hissés vers des honneurs qu'ils n'ont jamais mérités, au fur et à mesure qu'il révèle leur insoutenable superficialité et leur avidité sans nom. Il les brosse à grands coups de pinceau littéraire intransigeant, leurs défauts plus éclatants que jamais, leur condamnation irréversible, leur perte fatale.
Le roman se dévore avec la même sensation délicieuse que celle qui accompagne le visionnage d'une série particulièrement savoureuse, avec force trahisons, manipulations et retournements de situation. C'est, en quelque sorte, le Dallas de l'époque, avec un peu plus de sophistication littéraire et d'inventivité dans les descriptions.
(J'assume entièrement cette comparaison.)
Plus sérieusement, le roman s'offre à la fois comme un exquis divertissement et une critique tout à fait acerbe d'une société encore contemporaine pour l'auteur, ses codes périmés et ses exigences qui ont cessé d'être tenables. A travers les patriarches grotesques et pourrissants sur pattes qu'il décrit dans son oeuvre, c'est à un ordre des choses tout entier qu'il s'attaque. Qu'on s'entende bien, Les Grandes Familles n'est pas non plus un brûlot révolutionnaire, ne serait-ce par exemple que par le rôle minoritaire qu'y tiennent les femmes - qui ont parfois de vraies intrigues propres, mais toujours liées à des histoires de mariage ou de grossesses. Le roman est ancré dans son époque, certes, mais résonne toujours très fortement par certains aspects avec la nôtre, notamment par sa critique des inégalités, des déconnexions d'avec la vie réelle, des prestiges stériles, des sphères imperméables au reste de la société.
C'est exquisément écrit, c'est drôle, c'est fluide, c'est prenant, c'est malin, c'est formidablement bien construit, bref, c'est à découvrir.
PS : les tomes 2 et 3 de cette trilogie ne sont manifestement pas édités. C'est un scandale. Je proteste. J'ai besoin de ma dose de drama familial. SVP Le Livre de Poche. Ne me laissez pas seule dans mon aporie littéraire.
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