Pas Pleurer de Lydie Salvayre - Chronique n°447

Titre : Pas Pleurer
Autrice : Lydie Salvayre
Editions : Seuil
Genre : Contemporaine
Lu en : français
Nombre de pages : 280
Résumé : 
Deux voix entrelacées. Celle, révoltée, de Georges Bernanos, témoin direct de la guerre civile espagnole, qui dénonce la terreur exercée par les nationalistes avec la bénédiction de l’Église catholique contre les "mauvais pauvres". Son pamphlet, Les Grands cimetières sous la lune, fera bientôt scandale. Celle, roborative, de Montse, mère de la narratrice et "mauvaise pauvre", qui, soixante-dix ans après les événements, a tout gommé de sa mémoire, hormis les jours radieux de l'insurrection libertaire par laquelle s'ouvrit la guerre de 36 dans certaines régions d'Espagne, des jours que l'adolescente qu'elle était vécut dans la candeur et l'allégresse dans son village de Haute Catalogne.

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Montse a 90 ans. Elle en a vécu, des choses, elle en a vu, des horreurs.
C'est peut-être pour cela que sa mémoire a décidé de démissionner. Les souvenirs n'ont plus grand sens, la chronologie non plus. 

Mais il reste à Montse un souvenir, particulièrement vivace, coriace, obsédant même.
Celui d'un été. L'été 1936.
Montse a seize ans. Elle vit dans une Espagne qui se déchire. Et elle est amoureuse. 

C'est le récit de ces quelques mois de bonheur absolu et de détresse profonde que Montse entreprend de faire à sa fille, notre écrivaine, qui tente de son côté de redonner du corps à ce récit désaccordé, de reconstituer une suite logique à toutes ces réminiscences éparpillées. 
Et ça marche. 

Ca marche, parce qu'elle sait faire s'éveiller les fantômes et les invoquer à ses côtés. 
Il y a les rouges noirs, les rouges staliniens, les nationaux et les franquistes, tous ces camps qui, bien au-delà d'une simple haine, ne rêvent que d'anéantir les autres pour s'imposer, il y a tous ces gens qui restent plantés entre deux, tous ceux qui prennent parti corps et âme, tous ceux qui n'ont rien compris à la tragédie qui se jouait dans leur pays. 
Il y a l'horreur, la violence, les débats politiques, les morts, mais il y a aussi la vie toute bête et toute simple, les repas et les disputes familiales et les jeunes filles de seize ans qui tombent amoureuses au mauvais moment. 

Il y a aussi un autre drôle de personnage invoqué par la narratrice, un certain Bernanos, qui se retrouve curieusement mêlé au récit de Montse. Salvayre raconte l'indignation de l'écrivain, ses mois à dénoncer les événements d'Espagne, la rédaction des Grands cimetières sous la Lune. C'est plus que galvaudé de le dire, mais c'est indéniable : les deux récits se croisent et se répondent étonnamment bien : l'une vit les tensions politiques de la façon la plus concrète et la plus personnelle qui soit, avec ses drames familiaux et amoureux, l'autre les analyse, les écrit, les pense, les dissèque et les théorise. 

La langue et l'écriture de l'autrice sont sans aucun doute les deux éléments qui font tout le sel du roman. Salvayre passe d'un registre à l'autre avec une aisance déconcertante, mais une maîtrise constante : tantôt elle jongle avec la langue chaotique de sa mère, sorte de "françespagnol" complètement incontrôlé, tantôt elle revient à une narration plus classique mais toujours très fluide, tantôt elle se prend elle-même au jeu de s'imaginer ce que pouvait être la vie dans cette Espagne qu'elle n'a pas connue, et se pique à composer des dialogues vivants et des descriptions saisissantes. 

Le roman peut déconcerter dans ses premières dizaines de pages, mais s'avère très vite plus que convaincant, et constitue un panorama aussi touchant qu'original et riche de la guerre civile espagnole. En partant d'un point de vue très particulier et d'un autre complètement romanesque, l'autrice parvient à créer une histoire attachante, réfléchie et parfaitement rythmée, et surtout un texte qui gagne en puissance tout au long du récit pour aboutir à un final absolument déchirant dont, je crois, je ne me suis pas encore tout à fait remise. Une belle lecture !

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