Cogito de Victor Dixen - Chronique n°472

Titre : Cogito
Auteur : Victor Dixen
Genre : Science-fiction
Date de parution : 2019
Lu en : français
Editions : Robert Laffont (Collection R)
Nombre de pages : 544
Résumé : UN DON DU CIEL…


Roxane, dix-huit ans, a plongé dans la délinquance quand ses parents ont perdu leur emploi, remplacés par des robots.

Sa dernière chance de décrocher le Brevet d’Accès aux Corporations : un stage de programmation neuronale, une nouvelle technologie promettant de transformer n’importe qui en génie.

…OU UN PACTE AVEC LE DIABLE ?

Pour les vacances de printemps, Roxane s’envole pour les îles Fortunées, un archipel tropical futuriste entièrement dédié au cyber-bachotage.

Mais cette méthode expérimentale qui utilise l’intelligence artificielle pour « améliorer » la substance même de l’esprit humain est-elle vraiment sûre ?

En offrant son cerveau à la science, Roxane a-t-elle vendu son âme au diable ?

DEMAIN, L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE ENVAHIRA TOUTES LES STRATES DE LA SOCIÉTÉ.
L’ULTIME FRONTIÈRE SERA NOTRE CERVEAU.


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L'imagination a le pouvoir de produire un certain nombre d'émotions chez un lecteur. De l'excitation. De la désorientation. De l'émerveillement. De l'envie, de la peur, du soupçon. Une soif d'ailleurs. 

Et dans certains cas, pour les histoires les plus ambitieuses et les univers les plus complexes, l'imagination parvient à déclencher ce sentiment que les anglophones désignent par un mot assez intraduisible : le wonder
Le wonder, c'est cette inquiétude curieuse et cette curiosité inquiète, cette fascination qui ne nie pas son côté un peu excessif, cette rêverie béate d'enfant qui n'a pas tout à fait mis de côté tous ses fantasmes, ce calcul de probabilités entaché d'affects, cette lente et merveilleuse odyssée dans le monde des possibles, quels qu'ils soient.

Rares sont les livres qui savent éveiller cela.
Ceux de Victor Dixen en font partie.

Après la merveilleuse saga Phobos, l'écrivain revient avec un nouveau roman, Cogito, dont on comprend grâce à quelques petits clins d'oeil qu'il se déroule quelques décennies après l'époque de la fameuse opération Cupido - mais cette histoire-ci peut bien évidemment se lire indépendamment du reste de l'oeuvre de Dixen. 
Depuis les aventures de Léonor et du reste de l'équipage martien, le monde a bien évolué, et pas forcément dans une direction rassurante. L'intelligence artificielle a connu un essor renversant, et est désormais à même d'être programmée pour accomplir des tâches telles que le pilotage, la comptabilité, ou encore la rédaction d'ego-séries et romans spécialement conçus pour s'adapter aux goûts de chaque spectateur et lecteur.

Et forcément, recourir à un automate ou à un programme informatique, ça coûte moins cher que de se coltiner un être humain de chair et de sang, avec son salaire, ses congés payés et ses arrêts maladie. Le déploiement de l'IA ne s'est donc pas fait sans conséquences pour les travailleurs du monde entier, dont une part croissante a progressivement dégringolé le long de la pyramide social au fur et à mesure que des machines les remplaçaient à leur poste. C'est ce qu'il est arrivé aux parents de Roxane, comptables de profession, éjectés par une IA et relégués au rang d'auxiliaires de service, en charge du nettoyage dans des conditions lamentables. Pire que tout, la mère de Roxane a été victime d'un accident de voiture, renversée par l'un des rares humains qui conduisent encore leur propre véhicule. Roxane n'attend désormais plus rien de la vie. Blasée, amère, pleine de ressentiment, elle défie l'autorité et se moque bien des conséquences. A quoi bon, de toute façon ? L'unique échappatoire serait d'obtenir le plus en plus inaccessible diplôme du BAC dans l'espoir d'obtenir un emploi, mais elle est loin d'avoir les notes requises. 

Une solution inespérée pourrait cependant se présenter à elle, avec la possibilité de participer à un programme inédit de programmation neuronale, qui lui permettrait de décupler ses facultés intellectuelles via l'injection de neurobots. Franchement, qui refuserait une opportunité pareille ? Pas elle, en tout cas. 

Pour le meilleur et pour le pire.

Le roman, comme c'est toujours le cas avec Victor Dixen, impressionne par son caractère addictif et la qualité de l'immersion qu'il crée chez son lecteur. Avec d'un côté un sens recherché de la description, un travail poussé sur l'atmosphère et la mise en place de l'univers de Roxane, et enfin une conscience constante des enjeux du récit et de leur gravité, il est impossible de ne pas se projeter dans ce monde futuriste, de s'y croire même, de le redouter. L'auteur met un point d'honneur à projeter une vision globale de ce que serait un monde colonisé par l'IA, dans ses moindres aspects, et ces détails sont autant de preuves de la qualité de la réflexion autour du roman. Dans la diversité des métiers évoqués, des situations facilitées, des conséquences invoquées, Cogito convainc. Evidemment, par sa nature de livre, il n'offre qu'un contenu limité, mais il parvient à déclencher chez son lecteur une réflexion vertigineuse sur tout ce qu'impliquerait une incursion de l'IA à plus ou moins long terme dans son existence.

C'est le fameux wonder.

Dans le cas de Roxane, le wonder tourne évidemment vite au cauchemar, et sans trop en dévoiler, le récit parvient parfaitement à doser ses coups de théâtre, son rythme, ses tonalités. On alterne entre des passages descriptifs, d'autres exaltés, d'autres émotifs, d'autres enfin bien plus chargés en action, le tout à un rythme extrêmement fluide et entraînant, avec quelque chose de cinématographique dans la façon dont le récit se déroule. Le roman invoque une infinité d'images toujours convaincantes, que ce soit à propos de décor ou de façon plus métaphorique. En un mot : on y croit, on s'y croit. Et à partir de là, on ne peut qu'être embarqué.

Cogito développe peut-être une mythologie qui m'a personnellement un peu moins fait rêver que celle de Phobos, mais c'est sans aucun doute propre à mon atavisme personnel pour tout ce qui touche à l'espace. On peut aussi lui reprocher un côté assez prévisible dans ses révélations - qui ne se doute pas de la tournure que va prendre l'aventure de Roxane ? -, mais on peut arguer avec raison que l'intérêt du livre ne repose pas tant sur l'intrigue en elle-même que sur les problématiques que cette dernière soulève. Le personnage de Roxane est enfin celui qui manque peut-être le plus de la profondeur et de la nuance propres aux autres protagonistes, dont les secrets, turpitudes et autres compulsions révèlent toujours de nouvelles surprises... mais encore une fois, rien de très dérangeant : Roxane est une héroïne que l'on se plaît à suivre dès la première page, et ce même si son côté "rebelle blasée" peut parfois paraître un peu convenu dans la première moitié du livre. 

Le roman s'affirme donc comme une excellente découverte que je ne saurais trop recommander à qui voudrait s'aventurer dans un univers palpitant, effarant, renversant. Cogito est une incursion au goût de danger dans un monde aux enjeux si pertinents et cruels qu'il est souvent difficile de simplement tenter de se le représenter, une provocation vers l'avenir, mélange d'avertissement et d'ébahissement, et dans le même temps un récit cohérent et efficace, porté par des personnages vifs et touchants, chacun un peu cabossé à sa façon, chacun avec sa personnalité à la fois attachante et contestable. Cogito est enfin un roman conscient de son interaction avec son lecteur, et il s'amuse à le questionner, le titiller dans ses contradictions, s'emparer de ses rêves les plus intimes et enfantins pour les appliquer au premier degré et en faire émerger les paradoxes. C'est prenant, intelligent, fouillé, équilibré, bref, une nouvelle réussite de Victor Dixen. Un coup de coeur, une merveilleuse aventure, qui révèle une fois encore le talent immense de son auteur. Foncez.

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