tag:blogger.com,1999:blog-18382545146578345432024-03-05T05:10:28.338+01:00Mademoiselle BouquineCapucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.comBlogger458125tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-10988825219263841452023-03-02T13:05:00.000+01:002023-03-02T13:05:43.196+01:00Le Choix d'Isabelle Hanne [Littérature]<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjiaBC1YfK4KZGWl-DhCm7SqgrQW1dVWXuErW0qMljyrCLV5LaHtUZYGRHTUeQPP1ZbD7D0Gysbtiv-ISCuyUyCwZTM-n2QyLiv8bRAcDJ6okgwL5weYO9KzbeiRuQtbGV8OO6f9KmLQSQjmOEPwqYmQejvja7KHTk04tEJsNraOrZWXGmAdrRSSjXU/s2302/LeChoix_couvHD.jpg" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="2302" data-original-width="1535" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjiaBC1YfK4KZGWl-DhCm7SqgrQW1dVWXuErW0qMljyrCLV5LaHtUZYGRHTUeQPP1ZbD7D0Gysbtiv-ISCuyUyCwZTM-n2QyLiv8bRAcDJ6okgwL5weYO9KzbeiRuQtbGV8OO6f9KmLQSQjmOEPwqYmQejvja7KHTk04tEJsNraOrZWXGmAdrRSSjXU/w133-h200/LeChoix_couvHD.jpg" width="133" /></a></div><span style="font-family: times;">Titre : Le Choix<br />Autrice : Isabelle Hanne<br />Editions : La Goutte d'Or<br />Genre : Roman<br />Date de publication : Janvier 2023Lu en : français<br />Résumé : </span><span style="background-color: white; font-size: 16px; text-align: left;"><span style="font-family: times;">Dallas, Texas, 2021. La clinique où le Dr Pavone pratique des avortements est devenue un champ de bataille. Chaque vendredi, une armée de militants pro-life se poste devant le bâtiment pour dissuader des femmes d’avorter. Parmi eux, Mark, un rire de bébé en guise de sonnerie de téléphone, fait figure de leader. Un matin, il repère une silhouette longiligne aux longues dreads qui sort de la clinique. Cette femme s’appelle Norma. Il la connaît. Il en est même fou amoureux.</span></span><span style="font-family: times;"><br /><br />----------------------------------------------------------------------</span><p></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">J'ai une relation conflictuelle avec les romans qui multiplient les points de vue. Sur le papier, excellente idée : un prisme narratif élargi, des décors plus nombreux, un panel d'émotions démultiplié... Dans les faits, c'est hélas souvent surtout synonyme d'éparpillement et d'aplatissement de la plume. Forger un personnage principal doté d'une voix propre et crédible est déjà une gageure (oui j'ai fait L j'utilise des mots compliqués), alors rares sont les auteurs qui parviennent à accomplir cette petite prouesse pour deux, trois, voire davantage encore de personnages narrateurs. Si l'on veut faire le choix de répartir les chapitres entre différents points de vue, alors il faut y aller à fond, ne serait-ce que pour des questions de clarté : chaque narrateur doit avoir ses tics de langage, son vocabulaire, son registre émotionnel bien à lui, éléments d'autant plus importants qu'on aura fatalement moins de temps/pages pour apprendre à le connaître que dans un roman "monophonique", et qu'il doit donc être d'autant plus facile à distinguer des autres.<br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Tout ce long bavardage pour signifier ceci : plus tu as de narrateurs, plus tu as de chances de te viander.<br />Ce livre ne s'est pas viandé.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Isabelle Hanne est journaliste, couvre l'actualité des Etats-Unis pour <i>Libération</i> depuis plus d'une dizaine d'années (job de rêve soit dit en passant donne les contacts Isa bref), et ça se sent. Non pas parce qu'elle écrit son roman comme un reportage - loin de là ! -, mais parce que quand elle parle d'avortement au Texas en 2021, à quelques mois de la révocation de l'amendement <i>Roe v. Wade</i>, elle <i>sait </i>de quoi elle parle. Plus que ça, elle a <i>parlé</i> avec ceux qu'elle fait parler. Aussi bien les pro-choix que les anti-choix (oui je suis idéologisée et par conséquent non je ne désignerai pas les opposants au droit à l'IVG libre et gratuite comme des "pro-choix", car ce ne sont rien d'autre que des fanatiques liberticides et misogynes merci), les soignant.e.s que les soigné.e.s, les hommes que les femmes, les précaires que les privilégiés, les politiciens que les politisés, pour un résultat brillant.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">L'un des quatre protagonistes notamment est l'un des militants anti-choix qui campent devant la clinique d'IVG tous les vendredi, alpaguant les patientes à l'entrée et tentant de les manipuler pour les faire renoncer à l'intervention, mais jamais il n'est présenté comme "juste un méchant qui est méchant car il a toujours été et sera toujours méchant", ni comme "non mais vous savez il est comme ça parce qu'il est malade mental". Son portrait, sans jamais l'excuser parce que mdr le mec est impardonnable, s'avère bien plus nuancé que cela - et je trouve cela très pertinent, parce qu'on ne vaincra jamais l'ennemi sans le comprendre. De nombreux éléments se croisent et se répondent dans la construction de Mark - le personnage en question : adopté par une famille sans tendresse, il est devenu un jeune adulte à la limite de ce qu'on pourrait qualifier d'incel, en quête de sens, sous l'influence d'un pasteur très charismatique qui lui a retourné le cerveau, et dont l'intégralité des liens sociaux dépendent de sa paroisse. Et de tout ce que j'ai pu lire, ça me paraît plutôt juste, comme typologie représentative (parmi tant d'autres) des gens qui peuvent arriver à de telles opinions. Plus juste en tout cas que l'éternel "non mais voilà ils ont toujours été comme ça on n'y peut rien".</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Quant aux autres narrateurs, c'est aussi complémentaire qu'efficace : la fille d'un sénateur ultraconservateur texan, une jeune femme afro-américaine sur le point d'avorter, redoutant d'avoir dépassé l'absurde limite de six semaines de grossesse récemment imposée par des abrutis de politiciens parmi lesquels ledit sénateur ultraconservateur texan, et le médecin chef à la clinique d'IVG devant laquelle tous les zigotos fondamentalistes harcèlent les patientes et menacent les soignants. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Le roman en lui-même est plutôt subtil, n'appuie pas sur ses sous-entendus avec de gros sabots pour qu'on remarque bien ce qui est insinué là, fait confiance à l'intelligence du lecteur et laisse à sa charge la responsabilité d'arranger certaines pièces du grand puzzle qu'est cette intrigue. Sa structure très très étasunienne, qui fait vraiment penser aux romans américains contemporains, au sens le plus noble du terme, marche très bien pour poser les enjeux avec un prologue façon "flash-forward", puis un retour en arrière et une intrigue linéaire, et enfin un épilogue qui nous fait découvrir la suite du prologue - classique mais redoutablement efficace. La plume a une chouette personnalité, le vocabulaire employé sort des sentiers battus, et on ne peut qu'apprécier la crédibilité des personnages - Leah, 17 ans, parle <i>vraiment </i>comme une ado de 2021, pas avec des simulacres de phrases truffées de "grave" et de "lol".</span></p><p style="text-align: justify;">Le tout parvient à mêler un parfait exposé politique des enjeux autour de l'IVG aux Etats-Unis à un vrai travail sur l'atmosphère qui réussit à déclencher angoisse, appréhension, attendrissement et espoir à tous les moments clés, et construit un équilibre très solide entre intrigue et pédagogie. A lire et faire lire !</p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-77414249087845838042023-02-14T18:33:00.004+01:002023-02-14T18:33:23.871+01:00Les Enfants endormis d'Anthony Passeron [Littérature]<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Titre : Les Enfants endormis<br />Auteur : Anthony Passeron<br />Editions : Globe<br />Date de parution : 2022<br />Genre : Littérature générale<br />Nombre de pages : 288</span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhcOlfxM5fJpj_kqvY8zzGdmjjZYnFDnLpJwY8sEgmve-BdSTPmjDRrH_s-4VzssfUv0rl_h8quLRhmWthYWULV1ZthXVDhosm1ZEM1AOB6fzAkMuccORlyLhpBPrXAEfi9Poaej5wwTf2AAVZDuAeEp-XUx4pp8UvvgpIrnVZrqer-C1v9qOb94VYl/s871/61302773.jpg" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="871" data-original-width="600" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhcOlfxM5fJpj_kqvY8zzGdmjjZYnFDnLpJwY8sEgmve-BdSTPmjDRrH_s-4VzssfUv0rl_h8quLRhmWthYWULV1ZthXVDhosm1ZEM1AOB6fzAkMuccORlyLhpBPrXAEfi9Poaej5wwTf2AAVZDuAeEp-XUx4pp8UvvgpIrnVZrqer-C1v9qOb94VYl/w138-h200/61302773.jpg" width="138" /></a></div><span style="font-family: times;"><div style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Résumé : </span><span style="background-color: white; color: #1e1915;">Quarante ans après la mort de son oncle Désiré, Anthony Passeron décide d'interroger le passé familial. Évoquant l'ascension de ses grands-parents devenus bouchers pendant les Trente Glorieuses, puis le fossé grandissant apparu entre eux et la génération de leurs enfants, il croise deux histoires : celle de l'apparition du sida dans une famille de l'arrière-pays niçois - la sienne - et celle de la lutte contre la maladie dans les hôpitaux français et américains.</span></div></span><p></p><span style="background-color: white; color: #1e1915;"><div style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Dans la lignée d'Annie Ernaux ou de Didier Éribon, Anthony Passeron mêle enquête sociologique et histoire intime. Dans ce roman de filiation, il évoque la solitude des familles à une époque où la méconnaissance du virus était totale, le déni écrasant, et le malade considéré comme un paria.</span></div></span><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">---------------------------------------------------------------------</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Anthony est né dans une famille où l'on a un secret. Un secret si énorme et si triste que jamais personne ne réussira à le cacher, mais que tous font d'autant plus d'efforts pour taire. Anthony sait sans savoir, connaît les noms mais pas les causes, les mots mais pas les raisons. Le secret, c'est qu'il avait un oncle, Désiré. C'était le fils aîné, un peu le préféré. Il est mort, il y a des années, d'une maladie que sa famille s'est évertuée à dissimuler et qui s'appelait le sida. Il n'est pas le seul de la famille.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Des années ont passé. Anthony a quitté l'enfance et obtenu quelques réponses. De nouveaux outils lui sont accessibles : des livres, des études, des mots, des ressources éclairantes, et puis quelques mots de proches, de connaissances, de témoins de passages. Il en tire ce livre, où il se place comme narrateur et non protagoniste - heureusement. Le piège aurait en effet été de tomber dans un "moi moi moi ma famille elle est brisée moi moi moi ça me rend triste moi moi regardez la taille de mon trauma" : rien de tout ça ici. L'auteur alterne histoire familiale, avec un angle et un ton quasi sociologiques, et récit mondial et scientifique de l'apparition, de l'évolution et de la recherche sur le virus du VIH, d'abord nommé LAD. "Petite" et "grande" histoire pourrait-on dire de façon un peu réductrice, mais il serait faux de croire que l'histoire de Désiré importe moins que celle des grands scientifiques qui ont isolé, nommé, et enfin découvert comment combattre la maladie qui l'a tué. Ces deux récits ont besoin l'un de l'autre pour prendre tout leur sens et toute leur importance. Chaque chapitre informe, nourrit et supplémente le précédent ; pour paraphraser un célèbre slogan féministe, le sida est ici raconté dans tout ce qu'il a d'intime mais aussi de politique. C'est une catastrophe pour les familles, et une énorme énigme médicale. C'est une crise, aussi bien privée que gouvernementale. C'est un traumatisme, aussi bien pour les individus et leurs proches que pour l'ensemble de la société. Et ça, avec un talent rare, Anthony Passeron a su le refléter, l'exploser, l'analyser. Il raconte l'histoire, mais aussi l'économie ; les médicaments, mais aussi les entreprises pharmaceutiques ; les scientifiques, mais aussi leurs rivalités ; l'homophobie, mais aussi la toxicophobie ; l'activisme, mais aussi les réactions des gens qui étaient très loin de tout ça, des parents, des copains. </span><span style="font-family: times;">L'ouvrage raconte aussi les enfants, aussi bien ceux qui ont assisté à la maladie qu'à ceux qui en ont été frappés, une histoire que l'on entend trop peu, et qui est ici retranscrite avec une force d'autant plus frappante qu'elle est là encore tout en retenue. Et croyez-moi, les livres qui parviennent à parler de la mort d'un enfant en étant juste, je les compte sur les doigts d'une main.</span></p><p style="text-align: justify;">C'est un livre qui se lit comme on visite un musée, tout y est clair, calme et apaisé ; ce qu'il décrit est violent, mais il ne l'est pas lui-même. C'est très beau, très triste, très juste ; ça raconte la souffrance des malades sans la mettre en scène, sans jamais verser dans l'impudeur ou le spectacle, et ça a très bien compris qu'il n'y a pas à dégainer ses gros sabots pour raconter l'horreur et la tragédie. Ca montre, encore une fois tout en subtilité, ce que l'épidémie du sida a encore de très, très actuel (on en meurt encore ; on l'attrape encore, même ici, surtout en ce moment), et plus largement, comment elle raconte le mépris des minorités, et ce que de "simples" préjugés peuvent coûter en vies, en corps, en chair.</p><p style="text-align: justify;">Je suis profondément heureuse que ce livre existe, et je sais déjà qu'il m'accompagnera longtemps. </p><p style="text-align: justify;"><br /></p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-54464481082174444182023-02-06T16:25:00.008+01:002023-02-06T17:25:55.031+01:00A Certain Hunger de Chelsea Summers [Littérature]<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Titre : A Certain Hunger<br />Autrice : Chelsea Summers<br />Editions : Faber and Faber<br />Date de publication : 2019<br />Nombre de pages : 316</span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: times;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEilPwxbSUUxVTKHUItmBqR9N4l3BibT-VJ8dY0A4dBtALdQSC96PGW8hGYbEdK_3CCUOgpUpeV0cYm3VXRZr6X9nfVQMisZaikfDQ2gTqZyeAJnbWxgvFSJQ-IlY03k6OIElUJYWXWB3s_fdLVdmr17BgHOd-4m5OiQ8RkegNUjC0fPDeqsJzIHNswf/s2409/59461416.jpg" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="2409" data-original-width="1594" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEilPwxbSUUxVTKHUItmBqR9N4l3BibT-VJ8dY0A4dBtALdQSC96PGW8hGYbEdK_3CCUOgpUpeV0cYm3VXRZr6X9nfVQMisZaikfDQ2gTqZyeAJnbWxgvFSJQ-IlY03k6OIElUJYWXWB3s_fdLVdmr17BgHOd-4m5OiQ8RkegNUjC0fPDeqsJzIHNswf/w133-h200/59461416.jpg" width="133" /></a></span></div><span style="font-family: times;"><br />Résumé : <span style="background-color: white; text-align: start;">Dorothy Daniels has always had a voracious - and adventurous - appetite. From her idyllic farm-to-table childhood (homegrown tomatoes, thick slices of freshly baked bread) to the heights of her career as a food critic (white truffles washed down with Barolo straight from the bottle) Dorothy has never been shy about indulging her exquisite tastes.</span><br style="background-color: white; box-sizing: border-box; margin: 0px; text-align: start;" /><br style="background-color: white; box-sizing: border-box; margin: 0px; text-align: start;" /><span style="background-color: white; text-align: start;">There is something inside Dorothy that makes her different from everybody else. Something she's finally ready to confess. But beware: her story just might make you wonder how </span><i style="background-color: white; box-sizing: border-box; text-align: start;">your </i><span style="background-color: white; text-align: start;">lover would taste sautéed with shallots and mushrooms and deglazed with a little red wine.</span><br /><br />--------------------------------------</span><p></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Dorothy Daniels a toujours été dotée d'un sacré appétit, aussi vorace qu'aventureux. Tout au long de enfance idyllique parfum ferme-verger-marché bio, on l'a bercée de tomates du potager et d'épaisses tranches de pain chaud. Désormais, au sommet de sa carrière de critique gastronomique, elle vit un festival de truffe blanche infusée de vin de Piémont tout frais débouché. De bout en bout de cette faste - et succulente - existence, Dorothy n'a jamais hésité à proclamer son goût pour l'excellence.</span></p><p style="text-align: justify;">A vrai dire, quelque chose chez Dorothy fait d'elle un être à part. Quelque chose qu'elle est enfin prête à avouer. Mais prenez garde : son histoire pourrait bien vous pousser à vous demander quel serait le goût de votre amant si vous le faisiez revenir avec un rien d'échalotes et de champignons, et une larme de vin rouge pour déglacer le tout.</p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">--------------------------------------</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;"><i>Avertissement : ce livre aborde, de façon ironique et grotesque mais assez graphique, le sujet du cannibalisme, et je l'évoquerai parfois dans ma critique. Si cela vous met mal à l'aise, ce livre n'est probablement pas pour vous, et l'article qui va suivre non plus.</i></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;"><i>Warning : this novel touches on, in quite an ironic and ludicrous, but still very graphic manner, the matter of cannibalism, and I will be evoking it in this review. If you feel uneasy regarding this topic, this book - and this article, for that matter - is probably not made for you.</i></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;"><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Certains livres ont du mal à dégager un synopsis de plus de trois mots de long, et peinent à en trouver ne serait-ce qu'un seul d'un tant soit peu original. D'autres se vendent (ou se repoussent) en une phrase. <i>A Certain Hunger </i>fait partie de ceux-là. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Il faut dire que "la confession d'une critique gastronomique cannibale", ça claque. <br />Et de fait, le roman envoie du lourd.</span></p><p style="text-align: justify;">Le plus bizarre - et le plus mémorable - avec ce bouquin, c'est qu'il donne faim. Genre, très faim. A coups de métaphores, juxtapositions, suggestions visualo-odorantes et autres analogies désarçonnantes, l'autrice - et sa tonitruante narratrice - n'y vont pas avec le dos de la cuillère, et tranchent sans pudeur dans le gras, le lourd, le trop, le flamboyant. Epices, alcools, farines, viandes, sauces, tous les aliments de cet hémisphère - et de l'autre, tant qu'à faire - sont convoqués tour à tour pour construire des images tour à tour alléchantes, ébouriffantes, saisissantes et horrifiantes, avec une inventivité, un sens de la formule et un don de la composition assez inouïs, qui portent le bouquin de bout en bout et semblent accrocher ses pages les unes aux autres tant on les dévore.</p><p style="text-align: justify;">La structure surtout de l'ouvrage me laisse béate, moi qui ai déjà du mal à faire tenir debout de simples intrigues purement linéaires : passé, destin et présent se mêlent dans un mille-feuilles aussi apparemment foutraque que véritablement harmonieux, et on voyage dans les strates de la vie de l'héroïne avec une aisance et une délectation confondantes. Jamais on n'est perdu, jamais non plus on n'a droit à de gros repères temporels lourdeaux, non, tout coule au fil de la voix amère et rieuse de l'héroïne, et on n'a guère le choix que d'être embarqué avec elle tout au long de cette vie dont on ne sait s'il faut la qualifier de naufrage ou d'épopée. De conquête en rupture, de succès en déconfiture, Dorothy aligne les coups de fourchette, de génie, de folie, dans un récit d'une intelligence folle, qui utilise la métaphore - provocatrice, mais jamais choquante, et à mes yeux, jamais de mauvais goût - du cannibalisme pour souligner les affres du jeu romantique, sexuel et conjugal auquel une certaine structure patriarcale nous confine. Tout ce que Dorothy peut faire pour elle et elle seule, rien que pour son plaisir propre, c'est manger. Jamais elle n'a pu séduire de son plein cœur, de son bon gré, corsetée qu'elle est - comme nous toutes - dans d'odieux standards de féminité performative, condamnée à jouer le rôle de la jolie fille, de la cruche, de la peste, de la virago, de la salope, de la grande dame ou de la coquette, sans jamais s'y retrouver. Tous les hommes qu'elle a aimés, elle les a combattus, malgré elle, à son corps défendant, parce que c'est ainsi que va le monde et qu'autrement elle aurait fini broyée.</p><p style="text-align: justify;">Et en fait, le seul moyen qu'elle a trouvé pour exister face à eux, l'unique vérité qu'elle puisse raconter dans l'amour, face à tous ces soupirants dont même les plus élégants recèlent un gouffre de brutalité, c'est de les manger.</p><p style="text-align: justify;">Alors, bien sûr, il ne s'agit pas de prendre cette histoire à la lettre - je doute que qui que ce soit l'ait fait -, ni même au premier degré : le cannibalisme n'est ici qu'une métaphore - pardon, mille pardons pour ce mot aussi galvaudé que "pervers narcissique" ou "millenial" - des extrémités auxquelles la socialisation genrée, la sexualisation constante et l'injonction à plaire nous poussent. Ca va loin, très loin, mais que voulez-vous, il faut parfois au moins ça pour s'assurer que le message soit sans équivoque.</p><p style="text-align: justify;">Le plus chouette, je crois, c'est que le livre reste drôle de bout en bout, s'amuse lui-même de son sujet, de sa propre confession - son acide narratrice la première. Loin de se prendre au sérieux, Dorothy se rit des autres, mais surtout d'elle-même. De toute façon, elle n'a rien à perdre, et elle nous le fait sentir. Captivante, repoussante et bizarrement attachante, elle mène son récit comme une danse, une danse qui lui ressemble, foutraque, méchante et très marrante, avec une liberté, une audace et un sens de l'excès qui, qu'on se le dise, font naître quelque chose de très, très jubilatoire et de très, très cathartique chez un lecteur aussi éberlué que fasciné. Et elle le sait, Dorothy, qu'elle nous choque. Elle le sait, et le plus fort, c'est qu'elle s'en moque.</p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">------------------------------------------------------------------------------</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Some books you struggle finding a </span><span style="font-family: times;">remotely interesting more-than-three-words-long </span><span style="font-family: times;">synopsis of. And some books you barely have to say once sentence about that they're already deep within - or far away from - a reader's hands. <i>A Certain Hunger </i>is part of the latter category.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">After all, you must admit that the pitch "confession of a cannibalistic food critic" has quite a powerful ring to it.</span></p><p style="text-align: justify;">The weirdest - and most memorable thing - about this book is that it makes you hungry. Like, really hungry. Bombarding you with metaphors, juxtapositions, disconcerting analogies, visual illusions and odorous juxtapositions, the book is a sensory marvel, a fluttering experience, with an author - and a thundering narrator - able to dig directly deep in the flesh, celebrating, mixing and convoking everything greasy, meaty, smelly, fatty and hearty that makes our lives and plates. Spices, alcohols, meats, sauces, every kind of food in this hemisphere - and the other one, while you are at it - is summoned to build images in turn delectable, horrifying, appetizing, surprizing, and frankly disgusting, with quite an unbelievable inventivity, talent for punchlines and composition gift.</p><p style="text-align: justify;">The structure of the book itself leaves me completely flabbergasted, as an unable-to-make-a-singular-linear-story-hold-itself-together kind of writer myself. Past, present and future memories mingle in an astonishing harmony, allowing the reader to travel among the stratas of the protagonist's life without ever getting lost, distracted or confused. From conquest to loss, success to collapse, Dorothy aligns victories, orgies and prodigies with an astounding intelligence, using the provocative - though, in my opinion, never tasteless - metaphor of cannibalism to convey a powerful discourse on performative femininity and the agony of the seduction game in this *patricarcal society*. Every man Dorothy has dated, she has had to fight against - not because she wanted to, but simply because in this world, it is merely impossible for a woman to love a man by herself, for herself, according to her own terms, with the face, demeanor and attitude she built for herself.</p><p style="text-align: justify;">And yes, the only way she found to exist against and in front of them, the only truth she can summon in her relationships, with all these equally elegant yet cruel men, is to kill and eat them.</p><p style="text-align: justify;">Of course, we should in no way take this story to the letter - honestly, if someone did, I'd be worried for them. Cannibalism is here - sorry for this quite tiresome and self-evident point - a mere metaphor for the extremities to which patriarcal standards and constant sexualisation push us women. It is far, far-stretched, but oh well, sometimes you need at least this amount of provocation to ensure your entire audience got your point.</p><p style="text-align: justify;">The greatest thing about this book, I think, is that it remains consistently funny, plays with its own plot, makes fun of itself - so does the narrator. Dorothy mocks others, of course, but also and especially the ridiculous way she sometimes had to lie to get away with her actions. She has nothing left to lose anyway, and she makes that point very clear to us. Captivating, disgusting, alluring, mischevious and hilarious, this ferocious piece of a woman provides us with a profoundly exhilarating and kind of cathartic story, leaving its reader just as startled as they will feel fascinated, almost against their best intent, by this criminal mind. Dorothy knows how revolting she is. She knows that, and the best thing about it is that she doesn't care a bit.</p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;"><br /></span></p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-655991074362507272023-02-02T14:10:00.002+01:002023-02-02T14:10:13.306+01:00Elles d'Alba de Céspedes [Littérature]<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Titre : Elles<br />Autrice : Alba de Céspedes<br />Genre : Littérature générale<br />Editions : Gallimard (collection Du monde entier)<br />Traduit de l'italien par : Juliette Bertrand<br />Date de publication originale : 1949 (ressortie française en 2022)<br />Nombre de pages : 609<br />Résumé : <span style="background-color: white; color: #222222; letter-spacing: 0.5px; text-align: left;"></span></span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: times;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhAJ-Ox5qLn2-BwYl-Fbsy1JFHPohbi01DUCM1PtoJbHzJUg__WS1-18vPHSZb6-XsX0BvYLuCZjiCpXQuv3tp_vdFkOeKpldyrjpXCoOLBI2WHlNDnLNDbI4WmH5aFTN60Mv2_O-gI886v9JfkA-V_YM-YUMQvGbR04ZcFKrxokUGwMXxoplS5KocJ/s872/9782072941795_1_75.jpg" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="872" data-original-width="600" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhAJ-Ox5qLn2-BwYl-Fbsy1JFHPohbi01DUCM1PtoJbHzJUg__WS1-18vPHSZb6-XsX0BvYLuCZjiCpXQuv3tp_vdFkOeKpldyrjpXCoOLBI2WHlNDnLNDbI4WmH5aFTN60Mv2_O-gI886v9JfkA-V_YM-YUMQvGbR04ZcFKrxokUGwMXxoplS5KocJ/w138-h200/9782072941795_1_75.jpg" width="138" /></a></span></div><span style="font-family: times;">Alessandra passe le début de son enfance à Rome, dans une famille modeste. Sa mère, pianiste de talent, a renoncé à son ambition de concertiste pour donner des leçons. Éprise d'un autre homme, elle veut quitter un mari vulgaire mais celui-ci l'en empêche. La jeune fille, envoyée par son père dans un village des Abruzzes dans l'espoir qu'elle se glisse dans le moule imposé par la tradition, grandit en refusant farouchement d'adhérer à ce modèle. Au début de la Seconde Guerre mondiale, elle rentre dans la capitale, déterminée à étudier <span class="showResume" id="js-showResume" style="background-color: white; box-sizing: border-box; color: #222222; display: inline; letter-spacing: 0.5px; text-align: left;">et à exprimer sa personnalité. Elle y rencontre Francesco, un professeur antifasciste. Pensant trouver un homme capable de voir en elle une égale, elle l'épouse. L'espoir d'Alessandra est immense, et sa déception sera à la mesure de ses attentes. Avec en toile de fond la montée du fascisme, la guerre et la lutte résistante, Alba de Céspedes compose une grande fresque intime et puissante. À travers une plongée dans la psyché féminine d'une impressionnante modernité émerge la prise de conscience d'une femme qui, dans un monde dominé par les hommes, parvient à transformer la résignation en rébellion.</span></span><p></p><p style="text-align: justify;">-------------------------------------------------------------------------------</p><p style="text-align: justify;">Ce livre et moi avons vécu une longue aventure ensemble, dans la mesure où il appartient à la municipalité de Paris, que je le recèle sous emprunt prolongé depuis cinq mois - en toute légalité toutefois vis-à-vis de la médiathèque, je suis pas un sauvage moi - et que j'ai pour lui et lui seul dérogé à mon cycle habituel de non-lecture, insistance puis abandon de mes livres de bibliothèque. (Cycle bien connu qui consiste à choisir un livre, ne pas le lire, étendre son prêt, ne pas le lire, céder face à l'évidence de l'improbabilité de toute lecture future éventuelle dudit ouvrage, et enfin procéder à sa logique et piteuse restitution.)</p><p style="text-align: justify;">Pourquoi ai-je persisté à garder ce livre à mes côtés malgré ma flagrante incapacité à l'ouvrir ? Parce que j'avais senti un truc en le parcourant. Une mélodie, une mélancolie, quelque chose de doux, de fort et de très troublant, dès les toutes premières lignes de ce récit en forme de confession, et même de confidence.</p><p style="text-align: justify;">Car Alessandra ne rougit pas de qui elle est, ni de ce qu'elle a fait. Ce n'est pas un récit de honte, mais d'humilité. Elle voudrait simplement expliquer. Que ce soit écrit, là, en entier. Que si un jour quelqu'un, pour une fois, voulait la comprendre, et connaître la raison de ses actes, de ses élans, de ses pensées, ça lui soit accessible. Parce que personne ne s'intéresse jamais à ce qui peut bien habiter l'esprit des femmes, et qu'à défaut de se rendre importante, Alessandra peut au moins se rendre justice.</p><p style="text-align: justify;">Alessandra est l'enfant d'après, la remplaçante, on n'a jamais cherché à le lui cacher. Avant elle, il y a eu Alessandro - à quoi bon faire semblant, on change une lettre et ça repart -, petit garçon prodige, d'autant plus adulé par ses parents endeuillés qu'il n'a jamais eu l'occasion de les décevoir et qu'une noyade accidentelle l'a emporté bien avant qu'il ait pu démontrer n'importe lequel des dons qu'ils s'entêtent à lui attribuer depuis le drame. Dans l'ombre de ce petit fantôme qu'elle ne dépassera jamais vraiment, et dont elle a souvent l'impression qu'il l'habite et la contrôle, Sandra se tait, écoute, assiste, et n'agit pas.</p><p style="text-align: justify;">Alessandra est l'enfant timide, l'enfant sage qui rêve d'amour sans jamais oser imaginer que ça la concernera un jour. Et puis Alessandra grandit, la vie la surprend, la brime, le pays bascule, et elle, contrainte à la passivité mais pas à l'ignorance, se construit tant bien que mal, entre tabous, devoirs, espoirs et nuits sans bruit.</p><p style="text-align: justify;">Les années défilent, les corps se délient - mais pas les langues -, et page après page, Alessandra décortique tous les non-dits qui ont abîmé nos adolescences de jeunes filles, tout ce qu'on aurait eu besoin de crier et qu'on n'a même pas toujours eu la possibilité d'écrire. C'est très simple, très beau, aucune prétention derrière ce récit, aucune fausse modestie non plus. Juste une jeune femme qui se raconte et qui peut prendre toute la place qu'elle veut - 600 pages, pour commencer, ce ne sera pas de trop.</p><p style="text-align: justify;">Jamais on ne s'ennuie, parce qu'il n'y a que les vieux messieurs en costume pour croire qu'on s'emmerde dans la tête d'une jeune fille, qu'il ne s'y passe rien. Au contraire, ça bouillonne, observe, déduit, ça tire un sens fou de tous les rituels des femmes partout autour d'elle, ça fait écho aux gestes de nos grand-mères, tantes, mères, quand bien même 80 ans séparent les dames autour d'Alessandra et celles avec lesquelles on a grandi. Ca a si peu changé. C'est aussi triste que beau à constater.</p><p style="text-align: justify;">On hallucine devant la modernité, la justesse, la pertinence d'observations qui pourraient être celles d'une grande cousine, cette permanence de la solitude, du compromis et du recroquevillement dont Alessandra (et tant d'autres jeunes femmes après elle) est familière, et surtout l'amour, cet amour immense qui la traverse, l'emporte, la sidère, la tétanise, cet amour si mal accueilli par un homme qui ne fera jamais le moindre effort pour le comprendre - encore moins pour le mériter.</p><p style="text-align: justify;">C'est l'histoire de murs de prison, de sacrifices gratuits, de fantômes sans prénom et de maisons abandonnées. C'est l'histoire de Sandra, d'un piano, d'un pays, de plusieurs maisons, et de tout ce qu'elle n'a jamais dit. C'est magnifique, et à défaut de subtiliser une fois pour toutes ce sublime bouquin à la médiathèque d'où je l'ai soustrait, comptez bien sur moi pour aller en acheter un exemplaire.</p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-56559174603234991082022-07-08T11:00:00.004+02:002022-07-08T11:00:48.983+02:00I'm your man de Maria Schrader [Cinéma]<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgbtQmkqF8oF9qKGZ7I5xtsjdjE7LuWQM9gJsrqPA9ICtxQr9PzEeI5JUWADD_faKQIHNMaQzEYqdMQ2faOiVFkZ4XqBcTUZZ-K8IfHqFxQEbxw5loW2J7iA3MOwGE3N9gLqACDdljKALgbgSTdL-bFSPlIqebq8BR1NEDTN_qAKr86m6LQbzL7uyDD/s1600/2041994.jpg" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="1600" data-original-width="1175" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgbtQmkqF8oF9qKGZ7I5xtsjdjE7LuWQM9gJsrqPA9ICtxQr9PzEeI5JUWADD_faKQIHNMaQzEYqdMQ2faOiVFkZ4XqBcTUZZ-K8IfHqFxQEbxw5loW2J7iA3MOwGE3N9gLqACDdljKALgbgSTdL-bFSPlIqebq8BR1NEDTN_qAKr86m6LQbzL7uyDD/w147-h200/2041994.jpg" width="147" /></a></div>T<span style="font-family: times;">itre : I'm your man<br />Réalisé par : Maria Schrader<br />Date de sortie : 2022<br />Genre : Science-fiction<br />Durée : 1h45<br /><br />Synopsis : </span><span style="background-color: white; font-size: 16px; text-align: start;"><span style="color: #333333; font-family: times;">Alma, brillante scientifique, se révèle être une parfaite candidate pour se prêter à une expérience : pendant trois semaines, elle doit vivre avec Tom, un robot à l’apparence humaine parfaite, spécialement programmé pour correspondre à sa définition de l’homme idéal. Son existence ne doit servir qu’un seul but : rendre Alma heureuse.</span></span><span style="font-family: times;"><br /><br />------------------------------------------------------------------------------</span><p></p><p style="text-align: justify;">Alma, anthropologue de renom, est choisie comme testeuse experte par une entreprise qui vient de développer des robots androïdes programmés de bout en bout pour devenir l'âme sœur de l'humain qui leur sera associé. A force de questionnaires, d'entretiens et d'examens, la firme apprend tout ce qu'il y a à savoir sur vous et vos besoins pour concevoir le programme le plus personnalisé, le plus adapté, le plus assorti à qui vous êtes et ce à quoi vous aspirez. Sceptique, Alma se rend au premier rendez-vous avec ce partenaire particulier (rires), et se retrouve franchement décontenancée, pour ne pas dire rebutée, par le caractère lisse, profondément gentil, impossible à vexer du robot qui lui fait face, Tom. Ce dernier tente de la séduire par des moyens encore très maladroits, mais qui s'affineront au fil du temps, promet-il, au grand dam d'Alma qui ne parvient à aucun instant à voir derrière tout ce miel autre chose qu'une supercherie algorithmée. Bon an mal an, l'anthropologue finit par ramener l'androïde chez elle, pour un test d'une durée de trois semaines. Mais bien qu'elle aspire, au fond, plus que tout à trouver l'amour de sa vie, bien qu'elle crève de sa solitude et ce peu importe combien de fois elle s'échinera à le nier, ou peut-être même à cause de ça précisément, elle se braque dès que Tom semble lui apporter le moindre fragment de joie, se défie de lui, l'évite, le rejette. C'est du toc, tout ça, se dit-elle face aux innombrables attentions aimantes du robot, à son intelligence de plus en plus fine, au charme croissant duquel il imprègne son quotidien. Mais son pragmatisme, son rationalisme froid sauront-ils l'emporter sur les qualités littéralement infaillibles de Tom ?</p><p style="text-align: justify;">Ce qui frappe avant tout avec le film, c'est sa finesse d'écriture, la subtilité avec laquelle il nourrit son sous-texte de multiples insinuations, de précieux sous-entendus, sans jamais avoir à tout expliciter, ce qui charge d'autant plus les dialogues de sens et d'émotion. Je pense à une scène particulièrement troublante qui retourne avec brio les rôles attendus pour tenir un propos aussi tacite que saisissant autour du consentement, ou à la réplique d'un personnage qui pourrait paraître anodine ou étonnante quand on ne s'y arrête pas, mais qui fait en réalité référence au racisme qu'il a subi toute sa vie. Le fait qu'il ne précise pas "c'est parce que je suis noir qu'on m'a dit ça" rend sa remarque encore plus marquante, encore plus amère, encore plus sincère et crédible. Et c'est tout le film qui est écrit comme ça : les choses sont là, palpables, sensibles, et c'est au spectateur non pas de remplir des lignes manquantes au scénario, mais d'ouvrir les cases soigneusement conçues par les dialogues, de soulever les trappes, d'aller fabriquer avec ses émotions à lui les émotions cachées des personnages. C'est aussi impliquant qu'émouvant, aussi valorisant que saisissant, et ça fait du film une expérience intime, personnelle : le film a besoin de nous, de notre regard attentif, de notre cœur ouvert, pour que tout soit dit, pour que toutes ses dimensions existent et s'épanouissent.</p><p style="text-align: justify;">Le film vous roule dessus, gaiement et cordialement, vient broyer toutes vos vulnérabilités et tous vos espoirs et toute votre sensibilité et tout votre passé sentimental pour en tirer quelque chose d'aussi juste et universel qu'intime et vaguement secret : notre grande angoisse de la solitude, et les multiples portes de sortie artificielles qu'on peut être tenté d'emprunter pour y échapper. Sans jamais tomber dans un propos un peu stérile et réac du genre "la technologie c'est super pas bien du tout c'est très mauvais on devient tous débiles devant nos ordinateurs", le film vient appuyer avec une grande intelligence sur cette question qui nous hante un peu tous : vaut-il mieux être heureux pour de faux ou malheureux en pleine autonomie ? Vaut-il mieux un bonheur dépendant qu'un malheur autogéré ? Vaut-il mieux un paradis artificiel ou un enfer bien réel ? Mais qu'est-ce qui est seulement artificiel ? Au fond, ce robot, si on l'aime et s'il fait tout pour qu'on se sente aimé par lui, qu'importe qu'il soit vraiment ou non capable d'amour ? Dirions-nous non si l'on venait demain nous proposer de nous livrer le robot de nos rêves ? Jusqu'où peut-on aller, à quoi peut-on renoncer pour être heureux ? </p><p style="text-align: justify;"><i>I'm your man </i>est une profonde et totale réussite, doux et drôle et délicat et direct, avec juste ce qu'il faut de mélancolie, juste ce qu'il faut de cocasserie, juste ce qu'il faut de pauses narratives et de grands moments de tension. Il fait bien attention à laisser son histoire progresser au même rythme que la réflexion du spectateur, permettant ainsi à ce dernier d'avoir l'impression d'écrire le récit lui aussi, d'y participer au fur et à mesure qu'il songe à toutes les implications du synopsis de base, et touche du bout des doigts les multiples questions et dilemmes moraux que tout cela aborde. On se sent profondément compris, à la fois très très impuissant et très très éclairé, par l'itinéraire douloureux et si sincère de cette femme butée, très lucide par certains aspects et complètement aveuglée sur certains autres, sublimée et incarnée avec brio par une Maren Eggert absolument dinguissime. Dan Stevens, qui tient lui le rôle du robot, accomplit de son côté l'exploit de nous cueillir, de nous prendre par surprise : on est au début nous aussi un peu méfiants à son encontre, avec ses manières mécaniques et son sourire trop large pour être sincère, mais on finit par se laisser totalement happer par sa douceur sans fin, ses réflexions toutes douces, sa présence constante, le sentiment de sécurité inouï qu'il procure, et on se retrouve à verser les plus immenses larmes de sa vie durant tout le dernier quart d'heure comme le petit chaton fragile qu'on est - du moins si vous êtes comme moi, qui ai consacré environ vingt-sept minutes après la fin du générique à me vider de mes meilleurs sanglots entrecoupés de sourires béats chaque fois que je songeais à la justesse de certaines scènes du film.</p><p style="text-align: justify;">Oui, on peut dire que j'ai bien aimé, oui.</p><p style="text-align: justify;">Et je vous garantis que ce sera votre cas aussi si :</p><p style="text-align: justify;">- vous êtes humain</p><p style="text-align: justify;">- vous aimez l'amour</p><p style="text-align: justify;">- vous vous sentez parfois seul</p><p style="text-align: justify;">- vous connaissez des gens</p><p style="text-align: justify;">- vous avez des relations avec certains gens</p><p style="text-align: justify;">Filez donc, pleurez avec gaieté, et laissez-vous pétrir le coeur par cette petite pépite d'intelligence et d'ambiguïté. En plus Dan Stevens y parle allemand, espagnol ET français avec un léger adorable accent britannique qui a failli me rendre hétérosexuelle. Vous ne devez pas passer à côté de cela.</p><p style="text-align: justify;"><br /></p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-60728818001595851592021-12-28T07:14:00.008+01:002021-12-28T07:23:24.531+01:00Rose d'Aurélie Saada [Cinéma]<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="clear: right; float: right; font-family: times; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="1024" data-original-width="768" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/a/AVvXsEiYqnDYqwAy4-OCVVsJ_f-iUpo9T-Nnq5clyS1KjZxLcrLva-37L9Pwdpd-EZR_WG4wXYUmnxeK_rk9qhjVo60a6uPPH9DVOm-UXTvTqmEJn9r-T3eh-KrAdMsWD8_Cw89tifGMFkNv1B5rlE0Qur-bjomioPg-NjgYbREJEKD9ox0V3-nhbmWxIfqT=w150-h200" width="150" /></span></div><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Titre : Rose<br />Réalisatrice : Aurélie Saada<br />Genre : Comédie dramatique<br />Date de sortie : 08/12/2021<br />Durée : 1h42<br /></span><span style="font-family: times; text-align: left;">Synopsis :</span><span style="text-align: left;"><span style="font-family: times;"> <span style="background-color: white; color: #0f0f0f; font-size: 16px;">Rose, 78 ans, vient de perdre son mari qu’elle adorait. Lorsque sa peine laisse place à une puissante pulsion de vie lui faisant réaliser qu’elle peut encore se redéfinir en tant que femme, c’est tout l’équilibre de la famille qui est bouleversé...</span></span></span></p><span><br /><span style="font-family: times;">------------------------------------------------------------------------</span><br /><br /><div style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Rose a près de 80 ans, trois enfants, un mari qu'elle aime, et toute sa tête, merci bien. La vie lui est douce. Pas grand-chose à gérer, son mari adoré prend tout en charge. Les enfants ont leurs soucis, c'est sûr, et puis vieillir n'est pas très amusant, mais Rose s'en accommode. Quand on connaît un tel amour, rien ne pèse vraiment longtemps. Seulement un jour, sans que Rose n'ait jamais vraiment considéré cette possibilité, son mari disparaît, et elle se retrouve veuve, livrée à elle-même dans le grand appartement où elle traîne sa sidération, sous les yeux compatissants, puis atterrés, puis exaspérés de son benjamin, qui vit toujours là avec elle. La famille s'agace, voudrait la secouer, mais rien n'y fait, Rose semble s'affaisser petit à petit dans une douleur amorphe, mutique. Mais lorsqu'elle retrouve enfin un souffle, lorsque par miracle, par accident un peu, elle renoue avec une envie de vivre telle qu'elle n'en a jamais connue, son entourage tout entier se rebiffe, se vexe, s'inquiète. On la voulait calme, Rose, pas libre comme ça. On la voulait propre et souriante, mais pas aussi hilare, pas aussi tempétueuse, pas aussi fantasque. On voulait la ranger dans sa case de petite mamie gâteau qui ne déborde pas de son moule, pas la voir virevolter de part en part, sortir le soir, chantonner, balancer leurs quatre vérités à ses enfants autoritaires. On voulait beaucoup de choses pour Rose, mais c'est elle qui désire, désormais.</span></div><div style="text-align: justify;"><br /></div><span style="font-family: times;"><div style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">On n'a pas beaucoup entendu parler de </span><i>Rose</i><span style="font-family: times;">, pas plus qu'on ne l'a vu passer en salles, avec sa distribution toute fugace et toute confidentielle. Le film a pourtant plus d'une qualité à faire valoir, plus d'une fulgurance à partager avec ses spectateurs, et parvient à construire autour de prémisses franchement compliquées à défendre (une protagoniste quasi octogénaire, veuve, sans réelle intrigue, un premier film) une œuvre d'une délicatesse folle. </span>Techniquement, cinématographiquement parlant, le film fonctionne bien, sans non plus réinventer l'eau tiède, mais c'est dans l'émotion qu'il tire son épingle du jeu. La réalisatrice signe une brillante direction d'acteurs, parvient à saisir le spectateur à la gorge par la douleur, la tristesse, la brutalité émotionnelle de certaines scènes, sans jamais en faire des caisses, et signe de vrais moments de grâce (cette scène finale, quelle douceur !). Le film, rythmé, dynamique, s'appuie sur la verve de ses personnages pour être théâtral plus que verbeux, et s'il est bavard, c'est dans le meilleur sens du terme.<span style="font-family: times;"> On pourrait redouter une trame très classique, façon "et soudain son monde s'effondre", avec force gros plans et violons et silences et plans de coupe sur des fleurs tristes ou que sais-je, mais Aurélie Saada se refuse à ça. Le personnage de Rose traverse certes un passage à vide, la narration explore sa perte, son choc, dévoile le deuil dans ses aspects classiques comme dans les plus triviaux (donc les plus touchants) mais le film reste constamment porté par une puissante énergie, celle de l'entourage qui s'inquiète, s'agite, compose avec ses propres névroses ; celle des rencontres qui continuent malgré tout, celle des découvertes et des premières fois que le quatrième âge n'empêche aucunement de connaître ; celle des revirements de situation, des prises de décision. Rose aime, fume, chante, danse, foire, boit, sort, Rose se heurte à une vieillesse qu'elle n'avait pas conscience d'avoir atteinte et qu'elle décide d'investir comme un laboratoire (puisque tout sera bientôt fini, pourquoi ne pas explorer), aux limites d'un monde qui ne lui a jamais paru aussi âpre, mais dont elle découvre avec vertige qu'elle ne l'a jamais vraiment habité non plus. Se rendre dépositaire de ses propres choix, donner corps à ses propres envies, c'est certes s'exposer à des blessures dont elle avait été protégée jusqu'ici, mais c'est aussi et surtout goûter à une joie féroce, inédite, à côté de laquelle elle aurait encore pu passer des années si la mort de son mari ne l'avait pas contrainte à ne plus exister que par et pour elle-même. </span><i>Rose, </i><span style="font-family: times;">plus que l'histoire d'un veuvage ou la simple chronique de la vie d'une octogénaire haute en couleurs, est le récit d'une conquête d'indépendance, un véritable roman d'apprentissage, une proposition d'une fraîcheur et d'un mordant formidable. On dit souvent qu'on peut se réinventer à tous les âges, que la vieillesse n'est pas une condamnation à l'ennui, mais </span><i>Rose </i><span style="font-family: times;">ne se contente pas de ces poncifs, et donne un corps à cette idée, modèle un vrai personnage vivant, avec des désirs, des défauts, des passions, des incohérences, des crises et des rires, des vrais, qui tremblent et qui débordent.</span></div></span></span><p></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Parce que oui, <i>Rose </i>est avant tout, et ce n'est en réalité pas si surprenant qu'on pourrait le penser, un film vraiment très, très marrant. On rit, beaucoup, de toutes les couleurs (jaune, noir, bien sûr, mais on s'accorde aussi de beaux rires tendres, voire carrément un peu niais), en toutes circonstances (lors d'un dîner, d'une scène de drague, d'une dispute), à la faveur de dialogues acérés, de décalages mordants. </span><span style="text-align: left; white-space: pre-wrap;">On danse, on fredonne aussi, avec le beau travail autour de la musique, originale ou non, diégétique ou non, qui berce et transporte l’ensemble des scènes, heureuses comme mélancoliques.</span><span style="font-family: times;"> Le film trouve sa grâce à mi-chemin entre l'autodérision des personnages et leurs peurs sincères, dévorantes, et dépeint quelque chose qu'on voit partout dans la vraie vie et trop rarement au cinéma : des gens qui ne savent pas ce qu'ils veulent, et qui tentent alors d'un peu tout vouloir d'un coup.</span></p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-37986100083172540842021-12-19T11:24:00.019+01:002021-12-22T08:56:05.856+01:00West Side Story de Steven Spielberg [Cinéma]<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em; text-align: center;"><img alt="" data-original-height="1080" data-original-width="731" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhdMNoKSNgtPfUjrojSq7L7crRNuPh0MG0E3IWMM5sD8gQjcWJEWgMbi4H7ebRckQMh9Sgj-GqGwQlMhTtJ5daJ1eW_zUYuEJySeA6wGxgCYpq8TNinV3fI4s3gHhLomPb4z9gRk2FaKaI/" width="162" /></div>Titre : West Side Story<br />Réalisateur : Steven Spielberg<br />Date de sortie : 2021<br />Durée : 2h30<br />Résumé : <span style="background-color: white; color: #4d5156; text-align: left;"><span style="font-family: times;">Le coup de foudre frappe le jeune Tony lorsqu'il aperçoit Maria lors d'un bal en 1957 à New York. Leur romance naissante contribue à alimenter la guerre entre les Jets et les Sharks, deux gangs rivaux se disputant le contrôle des rues.</span></span><br /><br />-----------------------------------------------------------<p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">S’attaquer à une comédie musicale dont la précédente
adaptation relève de l’œuvre culte, c’est une sacrée gageure. Cela dit, quand
on s’appelle Steven Spielberg et qu’on a à la fois l’envie, le talent et les
moyens de son ambition, je ne vois pas pourquoi on irait s'en priver. Clairement, ce brave
Spielberg s’est fait son petit plaisir avec <i>West Side Story</i>, et on ne peut que
s’en réjouir.</p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Ce qui frappe en tout premier lieu avec ce nouveau WSS, c’est
son implacable maîtrise technique. Le film de 1961 a certes conservé une sincérité, un
souffle et une énergie toujours palpables même 60 ans après, mais force est d’admettre
qu’il n’impressionne plus comme il l’a fait à l’époque, et que son rythme comme
son exécution ont vieilli au point que même l’émotion du spectateur peut en être
affectée. En parallèle, la proposition de Spielberg est d’une maîtrise à couper
le souffle : le réalisateur ose toutes formes de lumières, de couleurs, de
valeurs de plan, ficelle des transitions d’une fluidité irréprochable, le tout
servi par un montage brillant précisément parce qu’on ne le remarque pas. Le
plus important, et c’était sans doute l'écueil potentiel le plus redoutable de cette adaptation,
était de soigner les chorégraphies, la dynamique de l'image, le rythme de l’intrigue, et là encore, c’est une
réussite sans nom : la caméra galope, danse, tourbillonne, sait aussi se
poser lorsque c’est nécessaire. Spielberg sait non seulement précisément ce qu’il
veut, mais aussi l’accomplir. Dire qu'il maîtrise le mouvement est un euphémisme : plus que de créer du mouvement, il crée de l'évidence.<o:p></o:p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">La question du casting attire évidemment toutes les attentions - et attentes. Qui pour succéder à la distribution légendaire du film de 1961, à la magnétique Rita Moreno, au lumineux Richard Beymer ? Au-delà d'une espèce de concours à "qui-joue-le-mieux" un peu stérile, il est indéniable que les interprètes 2.0 de WSS offrent une ardeur, un enthousiasme, une sincérité formidables, et surtout, qui leur sont propres. Au lieu de verser dans des tentatives d'imitation condamnées d'avance au ridicule, chaque acteur construit lui-même son propre personnage, distinct de son avatar de 1961 - ceci est d'après tout non pas un remake du film précédent, mais de la comédie musicale originale -, avec ses intonations, ses expressions, ses variations. Rachel Zegler offre à Maria une flamme, une jeunesse, une douceur en un mot prodigieuses, tandis que Riff est plus fin, plus nerveux, Anita plus flamboyante encore, Tony plus adolescent, plus trouble.</p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">De façon générale, c'est ce refus du pastiche, de l'hommage un peu automatique, de la copie qui permet à ce WSS de se distinguer de l'original. Le film assume ses choix parfois audacieux - notamment dans la réorganisation de certains numéros musicaux, créant quelques instants d'ironie dramatique inédite prodigieusement efficace, ou encore dans l'affinement de certaines thématiques, avec une mise à jour politique de certains aspects de l'histoire franchement bienvenue. La version de Spielberg est plus crédible, plus ancrée, sans jamais renoncer à l'aspect fantasque et déconnecté du réel qui fait tout le sel et tout l'intérêt de la comédie musicale. Les chorégraphies de 1961, qui confinaient parfois au ballet, sont remaniées pour un résultat plus organique, plus naturel. Une attention toute particulière est également accordée à la revalorisation de la langue et de la culture portoricaines, avec une réécriture des paroles de certaines chansons, le choix de laisser les personnages parler espagnol sans les sous-titrer, de laisser leur regard, leur parole imprégner le film, ou encore la décision d'engager des acteurs d'origine latino-américaine dans toute leur diversité d'origines et de carnation (on se souvient - avec moult gêne - de la blackface imposée à certains acteurs de 1961). Ces changements, qui pourraient paraître creux, artificiels, voire forcés, sont au contraire proposés avec énormément de justesse et de subtilité, et enrichissent, informent l'histoire au lieu de l'alourdir. Etant donné l'évolution massive des discours autour de l'immigration et du racisme depuis les années 60, et la prégnance du sujet aujourd'hui encore, il était nécessaire que l'adaptation aille au-delà des poncifs un peu paresseux d'un WSS de 1961 qui n'avait guère le temps d'aller au-delà de la surface, et qui, s'il dénonçait bien sûr la violence de cette guerre de clans, ne s'attardait guère sur le contexte dans lequel elle prenait place et sur les enjeux différents auxquels se heurtaient chacun des deux clans. Là où la précédente adaptation avait tendance à se contenter de décrire une guerre de gangs tout court, plutôt qu'une guerre de gangs sur fond de tensions ethniques, la version de Spielberg se propose de raconter toute la complexité du conflit.<br /><br />De façon plus générale, les besoins, les goûts des spectateurs ont évolué (en gros : on est devenus allergiques au cliché et au grandiloquent), et Spielberg trouve le parfait équilibre entre merveilleux, crédibilité (on ne suspend plus son incrédulité aussi facilement en 2021 !), propos politique et licence artistique. Le tout fonctionne à merveille : on se délecte de l'euphorie, de la grandeur qui permettent aux numéros musicaux de donner à voir toute leur féérie et leur irréalisme, tout en étant parfaitement incorporés à une intrigue forte, réfléchie, aux enjeux travaillés, au réalisme renforcé, qui donne au tout une vraie pertinence, une vraie tension. On croit à cette haine entre les deux clans, dont les actes brutaux sont bien moins euphémisés, on croit à l'amour fou et soudain entre Tony et Maria (multiplier leurs interactions, leurs conversations était à ce titre plus que salutaire, étant donné l'aversion croissante du public au stéréotype de l'amour au premier regard), on croit au dilemme moral et à la douleur d'Anita, parce qu'on a vu vivre ces personnages à fond, pour de vrai, dans toutes leurs nuances. Non pas qu'on n'y adhérait pas du tout avec le film de 1961, mais disons qu'il était difficile d'oublier qu'il s'agissait d'une histoire, d'acteurs, et que l'émotion, bien que réelle, restait souvent délibérée, qu'on pouvait en voir les ficelles, là où il est ici plus facile de se laisser entraîner sans rien calculer. </p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Beaucoup de numéros prennent de l'ampleur, de l'épaisseur par rapport au premier film (merci le budget), et on se prend claque après claque, avec des numéros qui changent de tonalité, d'intensité, de teneur par rapport à leurs précédentes moutures. A noter que beaucoup d'entre eux ont été chantés en live, sur le tournage, ce qui confère un grain, un réalisme brut très intéressant au résultat musical. Certaines scènes connaissent une vraie seconde peau (<i>Dear Officer Krupke </i>notamment est incomparable en termes de mise en scène, quelle choré, seigneur, quelle chorégraphie). Là encore, il ne s'agit en rien de diminuer le travail immense qu'ont fourni les équipes de 61 avec des moyens techniques et financiers moindres, mais bon sang, les propositions de 2021, c'est quelque chose. (Ouais, je sais, avec des arguments comme ça, on peut aller se coucher, je sais.)</p><p class="MsoNormal"></p><div style="text-align: justify;">Au-delà de la comparaison donc, du "c'était mieux avant" ou non, l'essentiel, c'est que le film de Spielberg tient debout tout seul, se défend sans avoir à s'appuyer sur des clins d'oeil référencés au passé. Là-dessus, aucun doute à avoir : ce <i>West Side Story </i>est une œuvre cohérente, solide, qui formule sa propre proposition de cinéma, crée sa propre atmosphère, défend sa propre vision du monde. Décors, costumes, arrangements musicaux, tous les curseurs techniques ont été poussés à fond en termes d'exigence et de virtuosité, et le tout parvient à donner davantage d'éléments de contexte et d'approfondissement à l'intrigue sans jamais verser dans un ton explicatif ou bêtement rationaliste comme, au hasard, la plupart des remakes récents de Disney ont pu s'y fourvoyer.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Ce n'est pas un "meilleur film" que celui de 1961. Simplement, je crois, une œuvre qui, dans son contexte, pour des audiences contemporaines, semble plus forte, plus pertinente, et davantage en prise avec les émotions et les réflexions de son spectateur. Un moment à part, qui prouve une fois de plus que faire un remake pour faire un remake ne sert à rien, mais que faire un remake, pourvu qu'on ait un amour sincère de l'oeuvre et un regard foncièrement personnel sur ce qu'elle raconte, ça peut être une sacrée bonne idée. Mention spéciale pour la formidable, incandescente Rita Moreno qui vole chaque seconde qu'elle passe à l'écran, dans un rôle flambant neuf spécialement écrit pour elle, et qui représente aussi bien une vraie, belle plus-value pour l'intrigue qu'un merveilleux symbole en termes de transmission et d'héritage, avec cette actrice de 90 ans dont le combat personnel et politique a marqué toute une génération d'acteurs et d'actrices. Rita, t'es la meilleure. Change pas.</div><p></p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-9611402392928314262021-12-08T16:09:00.007+01:002023-02-06T17:13:23.195+01:00La conversation des sexes de Manon Garcia [Littérature]<p style="text-align: justify;"> <span style="font-family: times;">Titre : La conversation des sexes<br />Autrice : Manon Garcia<br />Editions : Champs (Flammarion)<br />Genre : Essai (Philosophie)<br />Date de parution : 2021<br />Lu en : français<br />Nombre de pages : 300</span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: times;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEixl8wMYL-DA8lPgZJ592nKzpsXH5IaOevzQFwslGbc4d0IUasM6MQ34_NL0ZU-HRtPZaIB8uW4wRPRGVS2mlWEFs6ZzrNe-ZdEphf3Wwo5f3f6Fr6aA_tuMrmuS349KdkONVG7Elqezzo/s456/la+conversation.jpg" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="456" data-original-width="300" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEixl8wMYL-DA8lPgZJ592nKzpsXH5IaOevzQFwslGbc4d0IUasM6MQ34_NL0ZU-HRtPZaIB8uW4wRPRGVS2mlWEFs6ZzrNe-ZdEphf3Wwo5f3f6Fr6aA_tuMrmuS349KdkONVG7Elqezzo/w132-h200/la+conversation.jpg" width="132" /></a></span></div><span style="font-family: times;">Résumé :<span style="background-color: white;"> </span></span><span style="background-color: white; font-family: times;"><span style="font-size: 16px; text-align: left;">L’affaire Weinstein et le mouvement #MeToo ont mis la question des violences sexuelles au premier plan. Depuis, le consentement renvoie naturellement au consentement sexuel et amoureux, envisagé comme un sésame de l’égalité entre femmes et hommes. Pourtant, il est bien difficile à définir, et</span><span style="font-size: 16px; text-align: left;"> </span><span class="details" style="box-sizing: border-box; font-size: 16px; text-align: left;">soulève trois problèmes. Le problème juridique, bien connu de celles et ceux qui suivent l’actualité, peut être résumé ainsi : que faire pour que les cas de viol, d’agression et de harcèlement sexuels soient efficacement punis ? Le deuxième problème est moral : comment penser des relations amoureuses et sexuelles qui ne soient pas fondées sur des normes sociales sexistes et inégalitaires ? Enfin, le problème politique : comment ne pas reconduire les injustices de genre qui se manifestent dans les rapports amoureux et sexuels ?</span></span><p></p><span class="details" style="background-color: white; box-sizing: border-box; font-size: 16px;"><span style="font-family: times;">La magistrale analyse du consentement que propose Manon Garcia revisite notre héritage philosophique, plongeant au cœur de la tradition libérale, mettant à nu ses impensés et ses limites. De John Locke aux théoriciennes féministes françaises et américaines, en passant par Michel Foucault et les débats sur la pratique du BDSM, c’est une nouvelle cartographie politique de nos vies privées que dessine cet essai novateur. Au terme de ce livre, il s’agira en somme, pour reprendre la formule de Gloria Steinem, d’« érotiser l’égalité » plutôt que la domination : en ce sens, le consentement sexuel, conçu comme conversation érotique, est sans doute l’avenir de l’amour et du sexe.</span></span><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">------------------------------------------------------------------------------</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Il y a les livres intelligents, il y a les livres qui vous font vous sentir très intelligent, et puis il y a ceux qui vous rendent intelligents. <i>La conversation des sexes </i>est, à n'en pas douter, un illustre représentant de cette dernière catégorie d'ouvrages.<br /><br />Derrière le titre - volontairement - très large et nébuleux de l'ouvrage se dissimule un passionnant essai sur la question du consentement d'un point de vue philosophique, historique, politique, juridique et intime. Tout au long de ses 250 pages, denses et dépourvues de la la moindre fioriture, Manon Garcia articule avec une mécanique implacable tout le fil de sa pensée, nous cueillant dès les premières pages en démontrant en l'espace de quelques paragraphes à peine combien nous nous trompons collectivement lorsque nous parlons de consentement. Non pas que nous partagions tous une définition erronée (quoique cela se discute, elle y reviendra) : c'est surtout qu'il en existe en réalité de très nombreuses acceptions, parfois très différentes entre elles. Entre le consentement de deux parties signant un contrat juridique, et acceptant à ce titre les droits et obligations établis par ce contrat, et le consentement intime de deux partenaires à des actes sexuels, il y a un monde, non seulement en termes de nature desdits consentements, mais aussi de leurs implications, de leurs limites, de leurs origines, de leurs extensions respectives. Ainsi, c</span><span style="font-family: times;">omme Manon Garcia le montre d'office, les nombreuses interrogations qui nous divisent autour de la question du consentement sexuel viennent, pour beaucoup, d'une </span><b style="font-family: times;">confusion </b><span style="font-family: times;">entre ce </span><b style="font-family: times;">consentement-là, intime et interpersonnel</b><span style="font-family: times;">, d'une part, la </span><b style="font-family: times;">définition juridique du consentement, en droit des contrats notamment,</b><span style="font-family: times;"> d'autre part, ou encore celle que l'on enseigne </span><b style="font-family: times;">en théorie politique</b><span style="font-family: times;">. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Le consentement sexuel n'est en effet pas un consentement juridique : le droit du viol ne fait pas partie du droit des contrats ; le droit pénal ne fait pas partie non plus du droit des contrats. </span><span style="font-family: times;">Le consentement sexuel n'est pas non plus le consentement version théorie politique. En effet, dès lors qu'on consent à vivre dans une société, à un contrat social, en gros, on se soumet à un régime d'obligations, de devoirs. </span><span style="font-family: times;">Le consentement sexuel, lui, crée une autorisation, et non une obligation. </span><span style="font-family: times;">.</span><span style="font-family: times;"><br /></span><span style="font-family: times;">Mais alors, qu'est-il ? <br /><br />Cette imprécision, cette difficulté de définition pose tout un ensemble de questions cruciales : le consentement, est-ce renoncer à une prérogative, autoriser quelqu'un à nous prendre quelque chose auquel il n'aurait pas eu accès autrement, ou bien est-ce l'expression d'un désir positif ? Doit-il s'agir d'un renoncement ou d'une affirmation ? En d'autres termes, <b>est-ce un accord ou un choix ?</b> En droit, cela dépend de la nature du contrat. En politique, c'est clairement un renoncement, </span><span style="font-family: times;">une forme d'abandon à certains droits collectifs en échange du fait de pouvoir vivre en société (on consent à la loi, qui nous limite, mais nous garantit aussi une protection).</span><span style="font-family: times;"> Mais dans le domaine sexuel, alors ? Cette ambiguïté laisse la porte ouverte à tout un tas de méprises dans le domaine intime. Si consentir, </span><span style="font-family: times;">c'est céder temporairement quelque chose à quelqu'un, et si l'on applique cette définition au domaine sexuel, n'est-ce pas quelque part perpétuer l'idée selon laquelle l'homme propose et la femme dispose ?</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Autre exemple de question source de quiproquos dans une société où l'on n'interroge pas vraiment ce qu'est le consentement : <b>le consentement est-il irréversible ?</b> Manon Garcia le montre, en droit, dès lors que le consentement a été donné dans des conditions formellement valides, on ne peut plus le retirer, du moins pas sans passer par certaines procédures, alors qu'il paraît essentiel de défendre une vision du consentement sexuel susceptible d'être réévalué, reconsidéré à tout instant. Or, étant donné qu'on a tendance à utiliser la conception juridique du consentement pour analyser les rapports sexuels, on a encore souvent du mal à accepter l'idée qu'un consentement sexuel puisse être retiré, et on ignore globalement tous quand le consentement sexuel doit être donné, à quelle fréquence il doit être renouvelé, bref, tout un tas d'enjeux à propos desquels on peut bien sûr se faire une opinion plutôt solide dès lors qu'on fait preuve d'un minimum de communication avec son partenaire, mais qui nous laissent bien démunis lorsqu'on essaye de légiférer autour des violences sexuelles. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Plus l'on creuse, plus on comprend combien les impensés autour de la question du consentement sont nombreux. Ainsi, le consentement rend-il l'acte auquel on consent moralement <b>acceptable </b>seulement, ou carrément moralement <b>souhaitable </b>? A-t-il alors la même valeur selon l'une ou l'autre option ? Le consentement est-il d'ailleurs forcément moral ? Peut-on consentir à des actes moralement condamnables ? <br /><br /></span><span style="font-family: times;">D'ailleurs, <b>à partir de quand un consentement est-il valide ?</b> Suffit-il qu'il soit <b>formellement acceptable</b>, bien formulé, pour qu'il soit reçu, ou bien doit-on considérer que l'expression d'un consentement simple ne suffit pas, et qu'il <b>faut s'assurer que ce consentement soit</b></span><span style="font-family: times;"><b> l'expression pleine et entière de la volonté autonome de la personne qui le formule </b>? <br /><i>Ah oui y a de l'enjeu hein, j'avais prévenu.</i></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Le texte navigue avec aisance entre les époques, les auteurs et autrices, les concepts et les enjeux, parvenant à tisser des liens fluides et bienvenus entre ses différents chapitres. Il consacre tout un développement plus que pertinent à la question du BDSM, milieu où le consentement tient une place essentielle, fait l'objet de contrats, et détermine la validité ou non de chaque acte, selon des modalités et normes complètement à part de celles qui ont court dans nos vies quotidiennes. L'autrice s'interroge également longuement quant à l'avenir de nos relations intimes, de la façon dont on reçoit, étudie, sanctionne et prévient les violences sexuelles, sur la pertinence (ou non) du fait de faire dépendre la qualification d'un viol de l'idée de consentement, et de savoir <b>si l'on doit faire peser le critère déterminant sur l'absence de consentement ou au contraire son affirmation.</b> Elle imagine carrément une refondation de nos imaginaires érotiques, va jusqu'à rêver de <b>disqualifier totalement la logique très binaire du consentement (veux/veux pas),</b> dont on s'aperçoit de plus en plus de combien elle peine à expliquer les cas dits "appartenant à la zone grise", dont les protagonistes n'ont ni consenti, ni retiré leur consentement, et face auxquels la justice n'a pas les outils pour trancher.</span></p><p style="text-align: justify;">Manon Garcia a surtout la grande, grande intelligence de démontrer historiquement, sociologiquement, politiquement, <b>comment les femmes ont été privées de la possibilité de se forger une autonomie</b>, ce qui rend dès lors toute conversation autour du consentement partielle, caduque. Dès lors qu'en tant que femme, on apprend à ne pas interroger son libre-arbitre, à se faire "passer après", comment peut-on imaginer se battre à armes égales, avoir le même usage du consentement, pouvoir l'exprimer de la même façon qu'un homme ? Comment peut-on imaginer apprendre à prévenir et punir les violences sexuelles autour d'un concept certes intéressant, mais vis-à-vis duquel nous ne jouissons pas de la même marge, de la même autonomie ? <b>En prouvant brillamment que le consentement n'est pas simplement une donnée de base, </b>un acquis dont on disposerait tous librement et complètement et qu'on serait libre de manier de son plein gré selon les situations, <b>mais bien une compétence, un atout, une faculté dont on ne jouit pas tous au même titre et que l'on ne peut développer et affiner que grâce à des ressources et circonstances adéquates</b>, Manon Garcia pose magistralement les vrais enjeux des débats qui doivent nous accompagner au cours des prochaines années. Il ne s'agit pas vraiment de savoir <i>si elle voulait ou si elle voulait pas</i>, mais <i>si elle était en capacité de dire qu'elle ne voulait pas</i>, voire, <i>si elle était en capacité de savoir elle-même qu'elle ne voulait pas</i>, voire, <i>si elle était en capacité de vouloir tout court. </i>Ah oui. Tout de suite, ça recadre les choses.</p><p style="text-align: justify;">L'idée n'est pas de nous prendre la tête et de nous empêcher d'agir en nous assenant des questions paradoxales à tout bout de champ, mais précisément d'élargir nos possibles, de nous rendre tous enthousiastes à l'idée de construire plus d'égalité, d'érotiser l'égalité comme le disait Gloria Steinem, citée par Manon Garcia. C'est sacrément galvanisant, et surtout, <b>ça rabat complètement le caquet à ceux qui affirment que parler de consentement, de #MeToo et de zone grise va nous conduire à une société puritaine</b> et pudibonde. <b>C'est tout le contraire que l'on cherche à construire dans cet ouvrage : plus d'émancipation, plus de liberté.</b></p><p style="text-align: justify;">Un ouvrage riche à lire et surtout relire, <b>à garder près de soi comme une boussole alors que dans les conversations sur le sujet, les opinions ont tendance à vite s'échauffer avant même que les différentes parties ne se soient assurées d'être en train de parler de la même chose</b>. <i>La conversation des sexes </i>est pétri d'intelligence, de bienveillance, d'ouverture d'esprit, n'assène rien de façon péremptoire, et si certaines questions mériteraient d'être approfondies (par exemple la question de l'exceptionnalité du sexe, abordée mais pas résolue - <i>je dis pas que c'est facile de trancher hein, juste que ça m'intéresse, t'inquiète Manon ton boulot il est impec </i>- : pourquoi le consentement sexuel est-il si distinct des autres ? Qu'est-ce qui nous rend si vulnérables dans un contexte sexuel ? Qu'est-ce qui fait du sexe ce sujet à part, si épidermique ?), on ne peut que saluer le formidable travail de synthèse, de pédagogie et de clarté qu'a fourni l'autrice à ses lecteurs et lectrices. Ruez-vous sur ce bouquin, profitez de sa grande accessibilité et de sa volonté affirmée de s'adresser à tous les publics pour l'offrir au plus de monde possible autour de vous, y compris à des personnes pas forcément susceptibles de s'être intéressées à des questions féministes ou politiques par le passé. La lecture exige de l'attention et du temps, mais en rien un doctorat de philosophie : <b>il s'agit de déclencher une réflexion collective, pas de piéger tout le monde avec d'obscures références théoriques. </b>En un mot : foncez !</p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-4792371452507061392021-12-06T08:00:00.001+01:002021-12-06T08:00:00.180+01:00Last Night in Soho d'Edgar Wright - [Cinéma]<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhKUjoue-e8RkjVfzvTYYouhS4B7CeAM5rImTn-_7x22IEE2S8poBKZQsIPJZ1LAUnYZaDRTsM8avsXNTJh-amBcgPmEFReSehoNnwb02q77gQfQeSjsqQwNq4eEvJZHK2seFEL7VVVleM/s1500/1064328.jpg" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="1500" data-original-width="1013" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhKUjoue-e8RkjVfzvTYYouhS4B7CeAM5rImTn-_7x22IEE2S8poBKZQsIPJZ1LAUnYZaDRTsM8avsXNTJh-amBcgPmEFReSehoNnwb02q77gQfQeSjsqQwNq4eEvJZHK2seFEL7VVVleM/w135-h200/1064328.jpg" width="135" /></a></div><span style="font-family: times;">Titre : Last Night in Soho<br />Réalisateur : Edgar Wright<br />Date de sortie (France) : 26 octobre 2021<br />Durée : 1h56<br />Résumé : </span><span style="background-color: white; text-align: left;"><span style="font-family: times;">Une jeune étudiante en stylisme se découvre capable de se rendre dans les années 1960, où elle rencontre une femme à la beauté éblouissante rêvant de devenir chanteuse. Cependant, le luxe qu'elle découvre n'est pas tout ce qu'il semble être, et les rêves du passé commencent à se transformer en quelque chose de bien plus sombre.</span></span><p></p><p style="text-align: justify;">--------------------------------------------</p><p style="text-align: justify;">Qu'on se le dise : j'ai un énorme problème avec les couleurs, c'est très grave, possiblement l'unique trait de personnalité qu'il me restera d'ici huit mois, j'en suis au stade où je me refuse à sortir si je ne porte pas au moins une couleur vive sur ma personne, je considère qu'il s'agit d'une question de respect de moi et je ne transige pas sur ce principe.</p><p style="text-align: justify;">Bon.<br /></p><p style="text-align: justify;">Cette passion se transcrit dans de multiples domaines, de la photographie à l'écriture, mais aussi et surtout au cinéma, où, je ne vais pas vous mentir, elle oriente et colore (oups) assez souvent mes goûts et mes préférences. Il va donc sans dire que face à des affiches comme celles de Last Night in Soho, additionnées à un message lapidairement et radicalement efficace de mon frère ("Capu, vas-y, y a des couleurs partout"), je n'ai guère eu d'autre choix que de me ruer dans l'une des étonnamment rares salles de Paris à jouer le film (un scandale, au moins).</p><p style="text-align: justify;">Mon verdict esthétique est d'une prévisibilité confondante, mais pas moins enthousiaste : c'est sublime. Le premier tiers du film, diablement prometteur, livre le meilleur de ce à quoi Edgar Wright a habitué son public : montage ciselé, bande-son à s'en pourlécher les babines (auditives), narration ultra efficace, esthétique marquée, choix visuels ingénieux, inventivité de chaque instant, bref, une grosse première demi-heure qui pose le décor avec brio. On s'attache d'emblée au personnage innocent sans être mièvre d'Ellie, qui débarque à Londres pour commencer de prestigieuses études en stylisme et se retrouve bien vite confrontée à la jalousie, à la mesquinerie, à la brutalité aussi, de la ville et de ceux qui y ont leurs marques. A la faveur d'un déménagement inopiné, elle se découvre capable de voyager dans le temps la nuit et d'arpenter le Londres des années 1960, sa période de prédilection, qui l'inspire et l'exalte depuis toujours. Mais si ces explorations nocturnes l'enchantent dans un premier temps, elles s'avèrent bien vite particulièrement éprouvantes pour la jeune fille - tsam tsam tsam. </p><p style="text-align: justify;">On accueille l'irruption de cet élément fantastique avec enthousiasme, <i>Last Night in Soho </i>ayant été vendu comme un film d'horreur, du moins un thriller horrifique. L'intrigue se complexifie alors, multiplie les variations autour du thème du double, de la jumelle, de la grande soeur, et crée un arc d'une grande intensité autour de la rencontre, puis de la fascination d'Ellie pour une jeune femme, Sandie, dont elle est l'ombre et le reflet lors de ses explorations nocturnes dans le passé. Sandie est tout ce qu'Ellie rêve d'être : extravertie, séductrice, talentueuse, douée en chant, en danse, sûre d'elle, affirmée. Elle parcourt les cafés de la capitale dans l'espoir d'être repérée pour ses facultés artistiques, et rêve d'une carrière prestigieuse. Se crée un dialogue exaltant entre Ellie et Sandie, un peu unilatéral certes, mais formateur pour la jeune styliste, qui bascule dans une forme de frénésie créatrice en adoptant l'allure, la coiffure, les goûts musicaux de la jeune chanteuse. Mais bien sûr, la curiosité vire vite à l'obsession, et le rêve se teinte d'aspects de plus en plus inquiétants au fur et à mesure qu'Ellie comme Sandie perdent la main sur leur histoire, et que la ville, ses figures de pouvoir et ses institutions en font leurs pions.</p><p style="text-align: justify;">Le film entre alors dans un tronçon central un peu balourd qui multiplie les jumpscares sans grande intelligence, au point de susciter un rictus las davantage qu'un frisson, et un dénouement sous amphétamines, dense au point qu'on voit presque ses coutures craquer, qui sort les grosses ficelles, les cordages marins dirais-je même, pour clore son intrigue avec la délicatesse que j'ai moi-même lorsque je tente d'emballer un cadeau, c'est-à-dire vraiment très peu. Le ton est sacrément déceptif, notamment parce qu'il se refuse à trancher, et alterne constamment entre le comique, voire le burlesque (sans qu'on sache vraiment s'il est délibéré ou non), le drame (avec des références un peu artificielles à l'histoire familiale douloureuse d'Ellie, ou une insistance pas très subtile sur le calvaire d'une Sandie qui subit la domination des hommes qui régissent le showbiz londonien), l'horreur (et c'est vraiment là que le bât blesse, si Wright tenait à faire un film d'horreur, il fallait y aller bien plus que ça, de façon bien plus assumée, et surtout moins grotesque - les jumpscares font figure de pastiche plus que de réelle intention d'auteur, l'atmosphère n'a pas le temps de devenir effrayante tant le film est bavard, dense, surchargé, et le sentiment de peur n'éclot jamais, bien souvent parasité par l'amusement un peu las d'un spectateur qui est déjà là depuis 1h30 et qui a du mal à redouter ces monstres, présentés de face en éclairage complet dès leur première apparition), et le thriller (un angle pourquoi pas prometteur, mais complètement désamorcé par une décevante scène finale de grand-méchant-qui-raconte-son-plan-dans-les-détails-et-choisit-une-façon-extrêmement-lente-et-détournée-et-stupide-de-tuer-le-héros-alors-qu'en-soi-il-suffisait-de-lui-tirer-une-balle-et-c'était-plié-n'importe-quel-assassin-un-peu-respectueux-du-code-déontologique-de-la-profession-l'aurait-fait-en-tout-cas). Le tout est saupoudré de notes assez malvenues de comédie romantique (le duo est chouette, mais vraiment, il n'a pas sa place dans le film, et quitte à créer une relation amoureuse, il s'agit de la rendre cohérente et crois-moi Edgar Wright personne n'accepterait de continuer à fréquenter et soutenir une quasi inconnue qui commet les actes qu'Ellie commet dans le film et raconte les trucs qu'Ellie raconte dans le film, je veux bien suspendre mon incrédulité mais là vraiment ce degré de confiance aveugle que porte le love interest d'Ellie à sa dulcinée c'est soit de la bêtise soit de la mauvaise foi de scénariste). A choisir, si Edgar Wright avait eu l'excellent goût de me recruter comme consultante (laissez-moi rêver), je lui aurais fortement recommandé d'y aller bien plus franchement dans l'horreur, de couper certains développements mélo pas forcément pertinents, et surtout de suggérer bien davantage, d'en montrer moins. L'ambiguïté "le personnage a-t-il des hallucinations ou s'agit-il bien d'événements paranormaux" est particulièrement complexe à gérer, et le fait que Wright insiste lourdement sur les problèmes de santé mentale récurrents dans la famille d'Ellie n'aide pas franchement à se laisser convaincre de la potentielle dangerosité de la situation, rendant le changement tonal de la fin du film bizarrement incohérent, au point qu'on a le sentiment que l'explication un peu trop facilement rationnelle et pragmatique ne suffit pas à tout résoudre. <br /><br />Le tout reste cela dit sincèrement divertissant, traversé par de vrais moments de grâce, cette image sublime qui sauve réellement l'ensemble et permet au spectateur de rester accroché même dans les escalades de grand n'importe quoi (je mets au défi quiconque d'avoir vraiment peur - et là encore, on peut faire un film d'horreur qui ne fait pas peur, ça peut même être très intéressant et subtil, mais dans ce cas il faut assumer et ne pas chercher à provoquer des sursauts un peu cheap comme il me semble que le réalisateur cherche à le faire, non pas que je veuille faire un procès d'intentions à Edgar Wright attention, il manie extrêmement bien les projecteurs de couleur et ça mérite tout le respect du monde, simplement ses virages à 90 degrés en termes de ton ne me paraissent pas toujours bien aiguillés).</p><p style="text-align: justify;">Reste enfin à commenter le parti pris féministe, du moins antisexiste du film : qu'on se le dise, ce n'est pas fait dans la dentelle, ça n'a pas lu différents essais de différentes théoriciennes de différentes militantes, mais ça n'est pas le lieu et ce serait de la mauvaise foi que de le reprocher à une oeuvre qui, au fond, fait de son mieux pour donner corps et émotion à une oppression véritable, à un système qui se perpétue malgré les années, et pour raconter le sentiment de peur, réel et partagé, que la domination masculine nourrit chez de nombreuses femmes, à des degrés et pour des raisons diverses. De façon générale, je trouve l'idée de femmes retournant la violence des hommes contre eux dans des oeuvres de fiction souvent caricaturale en général dans ce que l'on peut voir sur les écrans, et Edgar Wright ne fait pas figure d'exception avec ses gentils très gentils et ses méchants très méchants, mais dans les tous derniers instants de son grand final d'action, il trouve une forme d'émotion, d'ambiguïté, qui me plaît assez et me paraît finalement relativement juste. Une excellente découverte visuelle, une belle séance de cinéma tout en sensations et en émerveillements, et une histoire parfois un peu bancale ou balourde à laquelle on pardonne sans souci ses raccourcis au vu de sa fraîcheur et de son enthousiasme.</p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-90836900701407205882021-12-03T08:02:00.000+01:002021-12-03T08:02:00.153+01:00De l'autre côté de l'été d'Audrey Diwan - Chronique n°563<p></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href=" " imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="776" data-original-width="500" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi05n3_vGSx77SCkf7gQT6hgwp6szq5rUCH_GPemlH0jpgyRXoaUnoUecAXnGj3GLC4Al2k3Qhp15XhE6Wk6wQKQc5bxs2s1-csWB0lCWGM5PD6-stVqJFvAwYHeeEI4QSx0FauOfzgjX0/w129-h200/9782081210806_1_75.jpg" width="129" /></a></div>Titre : De l'autre côté de l'été<br />Autrice : Audrey Diwan<br />Editions : Flammarion<br />Genre : Contemporain | Drame<br />Date de parution : 09/01/2009<br />Lu en : français<br />Nombre de pages : 250<br />Résumé : <b style="text-align: justify;"><span style="font-family: "Times New Roman",serif;">Une femme, quasi
sexagénaire, isolée, qui souffre de n’être plus la jeune fille désirable
qu’elle a été, propose à un jeune homme de s’installer chez elle pour un an
moyennant rémunération, quitte à détruire tous les fondements sur lesquels
était bâti son quotidien.</span></b><p></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">--------------------------------------------------------------------</p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;">Voilà deux mois que j'ai terminé ce livre et que son histoire, poisseuse, lourde, redoutable, me hante. Voilà deux mois qu'Eugénie ne cesse de se détruire encore et encore dans ma tête, et que les mots d'Audrey Diwan poursuivent leur ronde infernale - et étrangement, si belle.</p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: "Times New Roman",serif;">Eugénie
a 58 ans, un mari, Georges, qui l’a quittée pour une autre, une fille, Hermine,
qui la méprise un peu, sans doute parce qu’elle a très peur de finir comme elle.
Elle fréquente des amies qui l’utilisent tantôt comme faire-valoir, tantôt
comme simple réceptacle à confidences, un corps qu’elle est triste de voir
vieillir et souvent l’impression de faire tapisserie. Elle n’est pas si fade
que cela pourtant, il lui reste une envie réelle de jouir de la vie, de prouver
qu’elle n’en a pas fini avec l’aventure et les sensations, les vraies. Un jour,
lors d’un déjeuner au restaurant avec ses amies Marissa et Laure, son regard
accroche un jeune serveur qu’elle décide d’appeler Arnaud. Peu après, à la
suite d’un énième rappel à son âge, à sa condition de femme vieillissante,
Eugénie retourne au restaurant et, sur un coup de tête, propose à Arnaud de
passer un an avec elle, moyennant rémunération. Elle ne le lui révèle bien sûr
pas, mais le montant qu’elle lui propose représente la totalité de sa fortune
personnelle.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: "Times New Roman",serif;">Tout
d’abord incrédule au point de ne même pas lui répondre, Arnaud comprend
qu’Eugénie est sérieuse. Il finit par accepter l’improbable marché, au prix d’une
compensation mensuelle et d’une somme finale faramineuse une fois les douze
mois de cohabitation écoulés. L'accord se résume en quelques mots : Arnaud passera ses nuits avec Eugénie,
simplement à lui tenir compagnie, sans la moindre ambiguïté sexuelle, et sera
libre la journée.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: "Times New Roman",serif;">L’ambiance
est tout d’abord étrange, fébrile, empreinte de malaise, et Eugénie plonge dans
la panique à l’idée de s’être couverte de ridicule. Petit à petit cependant,
cliente et prestataire s’amadouent, se trouvent des points communs. Eugénie le
désire, mais elle a si honte d’elle qu’elle s’interdit ne serait-ce que de se
formuler cette attirance, et prend l’habitude de dormir dans le salon. Petit à petit, alors que le désir enfle, que le mensonge s'épaissit et que les mystères d'Arnaud s'assombrissent, l'arrangement glisse sournoisement du pacte à l'emprise, sans qu'il ne soit vraiment évident de déterminer qui d'Eugénie ou d'Arnaud manipule le plus l'autre...</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: "Times New Roman",serif;">Sombre,
vénéneux, magnétique, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">De l’autre côté de
l’été </i>entraîne son lecteur dans une ronde hypnotique de destruction et de
désirs coupables, dont le rythme lancinant ne lui laisse aucun répit, et crée
un tunnel émotionnel qui le mène tout droit à un dénouement d’une intensité
remarquable. Le personnage d’Eugénie, fascinant dans sa construction, est une
narratrice formidable, qui raconte tout sans avoir à tout dire, et dont les
compromissions et les mensonges sont d’autant plus saisissants qu’elle ne les
formule jamais vraiment de façon explicite. La quinquagénaire se présente comme
une femme simple dénuée du moindre intérêt, de la moindre qualité remarquable,
mais ce n’est que pour mieux révéler une complexité, une tortuosité, une
sensibilité exacerbée qui font d’elle un pur personnage de littérature, à
mi-chemin entre Emma Bovary, Mrs Robinson et la marquise de Merteuil. Arnaud, lui,
est un Solal des Solals/Julien Sorel fascinant lui aussi, qui se veut
machiavélique, manipulateur même, maître de sa propre vie et capable de dominer
Eugénie comme il l’entend, mais se révèle bien moins assuré qu’il ne le
prétend.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: "Times New Roman",serif;">Chacun
des personnages du récit agit comme révélateur des failles des autres, dans un
jeu de miroirs inversés fascinant et brillamment exécuté : les amies
d’Eugénie révèlent son insécurité, tandis qu’elle-même les met face à leur
vacuité ; Georges réveille la cruauté d’Eugénie, tandis qu’elle expose sa
veulerie, son côté pathétique ; Arnaud prend plaisir à humilier Eugénie et
à moquer sa faiblesse, ses addictions, ses peurs, mais c’est auprès d’elle
qu’il vient trouver son réconfort et, à la fin des fins, un amour vrai.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: "Times New Roman",serif;">La
structure du récit, linéaire certes, n’en est pas moins complexe et
parfaitement orchestrée, avec une vraie générosité de la part de l’autrice qui
livre, scène après scène, de grands moments de tension, d’ambiguïté, de
destruction, de subtilité émotionnelle, et ne s’égare jamais dans la moindre
digression psychologisante. Page après page, elle se maintient dans le
clinique, la chair, la vérité de ses personnages, les creuse couche par couche
et en extrait quelque chose de très simple et de foudroyant : ce sont là
des êtres aussi sublimes que méprisables. Aussi galvaudé que cela puisse
sonner, elle touche à un universel, à une angoisse de mort, à un appétit de
destruction partagé par tous, et qui revêt chez chacun une forme différente. On
assiste, écœuré, époustouflé, au lent saccage d’Eugénie de sa propre existence,
avec le sentiment de voir opérer une métamorphose nécessaire, un chant du cygne
aussi admirable que stérile. Dans la destruction, Eugénie se révèle, accède
enfin aux richesses qu’elle avait étouffées toute une vie durant : son
obstination, sa force d’âme, sa détermination, que ce soit dans la médiocrité
ou dans le balayage de toutes les conventions.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: "Times New Roman",serif;">On
retient de ce roman une plume incroyablement maîtrisée, qui parvient à déployer
des atmosphères vivaces sans jamais se disperser dans des fioritures, et à
allier une structure chirurgicale une mélodie envoûtante. On se souviendra
également de son côté faustien, avec ce pacte initiatique conclu entre Eugénie
et Arnaud, la mécanique tragique qui s’enclenche aussitôt, et le ballet furieux
dans lequel se succèdent les étapes ultérieures de leur relation. A mi-chemin
entre le théâtre, l’épopée et le drame psychologique, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">De l’autre côté de la nuit </i>est un fascinant moment de littérature, qui
invente un monde tout en parvenant à chaque instant à le rendre intelligible et
sensible pour le lecteur. <o:p></o:p></span></p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-1822787649830149862021-11-30T18:14:00.004+01:002021-11-30T18:31:33.864+01:00Pourquoi faire un film en noir et blanc en 2021 ? [Capucinéphile]<p style="text-align: justify;">Vous l'aurez remarqué si vous avez eu la (vraiment excellente) idée de vous rendre à une séance des <i>Olympiades </i>de Jacques Audiard ou de <i>The French Dispatch </i>de Wes Anderson : un nombre intrigant de réalisateurs contemporains semblent se piquer d'affection pour le noir et blanc. Il suffit de jeter un petit coup d'œil au programme des sorties de cette fin d'année pour confirmer cette intuition (<i>Les Olympiades </i>au cinéma actuellement, <i>Passing </i>chez Netflix, ou encore <i>Cm'on Cm'on</i>, <i>Belfast </i>et <i>The Tragedy of Macbeth</i> dont la sortie est prévue incessamment sous peu aux Etats-Unis et/ou au Royaume-Uni).</p><p style="text-align: justify;">Si l'on se tourne carrément vers ce que les années 2010 nous ont offert, on a de quoi en avoir le vertige : depuis le triomphe de l'OVNI qu'était <i>The Artist</i>, on a vu débarquer sur nos écrans la beauté éthérée de <i>Frances Ha</i>, les films d'animation <i>Persépolis </i>et <i>Frankenweenie, </i>les paysages glauquissimes de<i> The Lighthouse</i>, les magnifiques amants de <i>Cold War, </i>ceux, un peu plus chaotiques, de <i>Malcolm and Marie</i>, la version noir et blanc de <i>Parasite</i>, les Frenchies dans <i>Le Sel des larmes</i>, bref, on a de quoi faire.</p><table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><tbody><tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjO-NxI3l9YZrbXZ1-ChjYSi-Fs1XziTWcavh7yvu1LvXfq8pYmmFusMPYWWuN3eUEMBlFhnRnxl0WVv7fnHNwGGsYXLPI12_iPXbHuvxjvXcpxvXzOgklj3qZv0xswqZceX6zW0gLkBio/s1899/Sans+titre+%25286%2529.png" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" data-original-height="534" data-original-width="1899" height="128" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjO-NxI3l9YZrbXZ1-ChjYSi-Fs1XziTWcavh7yvu1LvXfq8pYmmFusMPYWWuN3eUEMBlFhnRnxl0WVv7fnHNwGGsYXLPI12_iPXbHuvxjvXcpxvXzOgklj3qZv0xswqZceX6zW0gLkBio/w455-h128/Sans+titre+%25286%2529.png" width="455" /></a></td></tr><tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">(point commun de ces films... le noir et blanc, c'est vraiment la seule chose)</td></tr></tbody></table><p style="text-align: justify;">Un tel choix peut intriguer : pourquoi se priver de la formidable opportunité qu'offre le cinéma moderne de pouvoir raconter une histoire photoréaliste, avec une image vivante, dont la couleur peut être modulée de mille et une façons pour sublimer ou moduler le ton du récit ? <b>Passer au noir et blanc, n'est-ce pas se tirer une balle dans le pied, un peu comme si du jour au lendemain on décidait de s'éclairer à la bougie pour la beauté du geste ?</b><br /><br />C'est là se méprendre : si d'anciennes générations de cinéastes ont laissé le noir et blanc derrière eux avec soulagement, d'autres redécouvrent aujourd'hui les formidables champs visuels et symboliques que permet d'explorer cette image exigeante, nacrée, toujours empreinte d'un fond de nostalgie, qui exige une construction d'autant plus travaillée de chaque plan, et un éclairage irréprochable. <b>Bien plus variée qu'on ne le pense, l'esthétique noir et blanc a ses codes, ses écueils propres, ses atouts, et que l'avènement du Technicolor n'a en rien rendus obsolètes, et encore moins périmés</b>. Ce choix marquant, toujours signifiant (comme l'ensemble des décisions prises pour un film, d'ailleurs : sachez que tout ce que vous voyez à l'image est délibéré, y compris tel simple sweat-shirt bleu que vous avez à peine remarqué sur tel personnage secondaire, telle pub Pepsi à l'arrière de tel décor, ou tel mouvement que fait tel figurant en passant derrière tel couple de protagonistes. Tout a un sens, du moins une fonction, et croyez-moi quand je vous dis que rien n'est laissé au hasard dans les productions du septième art, où chaque centime du budget se doit d'être dépensé à bon escient et où l'on ne tourne en général que deux minutes utiles par jour). <b>Passer en noir et blanc n'est donc pas une coquetterie, d'autant plus que cela renvoie souvent une image plus recherchée, moins accessible (à tort, je vous le dis), et peut rebuter une partie du public.</b></p><table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><tbody><tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjw2DExtQvnCeRJhkKPeGio1QoJ5swQ5c9UUWGQ13rFvj2InOKc4MAOVmgAeEq5ELb4LOAAUpzA11APGc7xGAY7iFk9r0aFd3u9NPp6zOL9j2dcgemoBX4OaXJPrARgz0hr-GmFKL5XiNM/s1920/Sans+titre+%25284%2529.png" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" data-original-height="1080" data-original-width="1920" height="225" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjw2DExtQvnCeRJhkKPeGio1QoJ5swQ5c9UUWGQ13rFvj2InOKc4MAOVmgAeEq5ELb4LOAAUpzA11APGc7xGAY7iFk9r0aFd3u9NPp6zOL9j2dcgemoBX4OaXJPrARgz0hr-GmFKL5XiNM/w400-h225/Sans+titre+%25284%2529.png" width="400" /></a></td></tr><tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">(<i>Les Olympiades </i>plus beau film cependant)</td></tr></tbody></table><p style="text-align: justify;">Quoi qu'il en soit, le résultat est là : le noir et blanc, c'est emballant. En 2018, un seuil très symbolique, mais notable, est franchi avec la liste des nommés aux Oscars, où l'on trouve <b>pour la première fois depuis les années 1960 plus d'un seul film en noir et blanc</b> - en l'occurrence <i>deux </i>films, <i>Roma </i>et <i>Cold War.</i> Depuis, les occurrences se multiplient, avec pas moins de quatre longs-métrages en noir et blanc présentés au festival de Sundance 2021, avec <i>Passing, The dog who wouldn't be quiet</i>, <i>Faya Dayi </i>et <i>El Planeta.</i></p><p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgG1zDwLK8jFTPjO_sjGv3l5R7XyD1FpPpWnnC2ZPJg_-9doOZqzpGMvCPQuMNi6aZ4fvQgPEH9uX2fKiGyAZN_xBIlSYV1_CYDsE7EULIRdnLIPhxZ5r9OPXoqi9fuWjd92aJmOgej_W4/s1900/Sans+titre.png" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="705" data-original-width="1900" height="149" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgG1zDwLK8jFTPjO_sjGv3l5R7XyD1FpPpWnnC2ZPJg_-9doOZqzpGMvCPQuMNi6aZ4fvQgPEH9uX2fKiGyAZN_xBIlSYV1_CYDsE7EULIRdnLIPhxZ5r9OPXoqi9fuWjd92aJmOgej_W4/w400-h149/Sans+titre.png" width="400" /></a></div><i><br /></i><p></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;"><b>De l'archaïsme au parti pris</b></span></p><p style="text-align: justify;">De 1940 à 1967, l'Oscar de la meilleure photographie (ou <i>Best Cinematography</i> comme disent nos amis anglophones, c'est-à-dire la plus belle image) est<b> scindé en deux catégories</b> : celle de la meilleure photo couleur, et celle de la meilleure photo noir et blanc. Les films ne concourent donc pas dans la même catégorie selon la technique à laquelle ils ont recours, et on a droit à des duos de vainqueurs comme <i>Le Jour le plus long </i>et <i>Lawrence d'Arabie </i>(propre). En 1968 cependant, on en finit avec cette distinction, puisqu'il n'y a, en gros, <b>plus assez de films en noir et blanc pour constituer une catégorie à part digne de ce nom</b>. Le désaveu pour une technique qui n'est plus perçue que comme une contrainte par toute une génération de cinéastes est durable, mais pas éternel. Après un premier frémissement avec <i>La Liste de Schindler </i>de Spielberg en 1993, qui remporte l'Oscar de la meilleur photo alors qu'il était en lice contre toute une panoplie de films couleur, <b>le noir et blanc connaît un triomphe fracassant avec <i>Roma </i>en 2019 et <i>Mank </i>en 2021, qui raflent tous deux le trophée de la meilleure photo au nez et à la barbe de la concurrence</b> - on est donc à tout de même 67% de films en noir et blanc parmi les trois derniers lauréats de cet Oscar, après quasi soixante ans à passer sous le radar. Si vous voulez mon avis, ça n'a rien d'anecdotique. </p><p style="text-align: justify;">Il n'y a pas que les Etats-Unis dans la vie, et ces Oscars ne sont pas qu'une accolade dans le dos à des productions américaines qui s'offrent la lubie d'un choix artistique anecdotique, loin de là. Partout dans le monde, de plus en plus de créateurs et de créatrices s'emparent du noir et blanc de façon assumée, avec dans l'idée de faire de ce parti pris non pas un choix par défaut, mais une opportunité unique de sublimer leur œuvre. Voici un petit panorama, donc, <b>des raisons pour lesquelles un ou une réalisatrice sain d'esprit pourrait avoir envie de passer au noir et blanc en l'an de grâce 2021</b>.</p><p style="text-align: justify;"></p><table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><tbody><tr><td style="text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgUqeFmCrToMO0duCFfG1cEgwCwAGFtndlkgvr9mnhb7z78LVYWWSepX3vur7XVGO4fkMFob6PB9dX659Ey3deQfN_Q1Nl9r6VbYcPm9oJacVR4OSr_7UCZPsXJz8l0EyTOPOGHCRzeLDg/s1920/Sans+titre+%25285%2529.png" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" data-original-height="1080" data-original-width="1920" height="225" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgUqeFmCrToMO0duCFfG1cEgwCwAGFtndlkgvr9mnhb7z78LVYWWSepX3vur7XVGO4fkMFob6PB9dX659Ey3deQfN_Q1Nl9r6VbYcPm9oJacVR4OSr_7UCZPsXJz8l0EyTOPOGHCRzeLDg/w400-h225/Sans+titre+%25285%2529.png" width="400" /></a></td></tr><tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">(<i>Les Olympiades</i> toujours le plus beau ça change pas)</td></tr></tbody></table><p></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;"><b>Par volonté de réalisme, de crédibilité historique</b></span></p><p style="text-align: justify;">Cela peut paraître entrer en contradiction avec le fait que je viens très exactement de plaider quatre paragraphes durant que le noir et blanc est une technique tout aussi contemporaine qu'une autre, cela étant, force est d'admettre qu'elle reste <b>associée dans notre imaginaire collectif à toute une période couvrant, pour être extrêmement large, la seconde moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe</b>. Voir une image en noir et blanc, c'est aussitôt penser Révolution industrielle, Belle Epoque, Années folles, Âge d'or hollywoodien, Grande Dépression, et ça, les artistes ne s'y trompent pas. <i>The Artist, Mank, The French Dispatch</i>, autant de longs-métrages dont il suffit de voir un seul plan pour aussitôt se retrouver, avec une efficacité redoutable, dans l'ère temporelle qu'ils dépeignent. Le noir et blanc, de façon instinctive, quasi pavlovienne, est associé à une idée de nostalgie, de prestige évanoui, d'élégance et de chic aussi, et convoque tout un univers qui peut nourrir et renforcer le propos d'un film. Oser le <i>black and white treatment</i> permet aussi de multiplier les références à d'immenses classiques du septième art comme <i>Casablanca</i>, <i>Citizen Kane</i>, <i>Psychose </i>ou encore <i>Douze hommes en colère </i>avec ingéniosité et aisance, et d'ainsi s'ancrer dans la lignée de tout un glorieux patrimoine cinématographique. De façon assez logique, quand on réalise un film comme <i>Ed Wood </i>de Tim Burton, qui retrace le parcours d'un réalisateur (réputé le plus mauvais de l'histoire, rien que ça), dans les années 50, il est plus qu'approprié d'avoir à l'image quelque chose qui peut directement rappeler les productions du bonhomme à l'époque.</p><p style="text-align: justify;">Mais <b>cette explication, finalement assez pragmatique</b>, si elle peut bien évidemment faire partie de l'ensemble des raisons qui motivent un tel choix, me paraît <b>loin d'être satisfaisante pour qui veut comprendre la démarche de réalisateurs et réalisatrices d'aujourd'hui.</b> On le voit bien, de nombreux films historiques se déroulant à ces époques-là offrent une image en couleur sans le moindre problème d'immersivité. Alors, pourquoi encore le noir et blanc ? </p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;"><b>Par respect d'une œuvre adaptée</b></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;"><span style="background-color: white; text-align: left;"><span style="color: #212529;">A</span><span>utre motif logico-technique, le respect d'une œuvre originale adaptée. </span><i>Persépolis, Sin City </i><span>(1995) ou </span><i>Les Olympiades </i><span>en sont des exemples - chacune étant adaptée d'une bande dessinée ou d'un roman graphique lui-même conçu en noir et blanc. Ainsi, dans le cas des </span><i>Olympiades</i><span>, </span></span></span><a href="https://www.afcinema.com/Paul-Guilhaume-AFC-revient-sur-le-tournage-du-film-de-Jacques-Audiard-Les-Olympiades.html" style="font-family: times;">le chef op du film, Paul Guilhaume, raconte à l'AFC</a> : <span style="background-color: white; color: #212529; font-family: times; text-align: left;">"<i>Le noir et blanc vient vraiment de l’œuvre dont le film est adapté. [...] Je crois [que Jacques] voulait aussi proposer une vision résolument différente de Paris, sans tomber dans une quelconque nostalgie. Filmer le Paris de 2021 mais sans être dans un réalisme prosaïque.</i>"</span><span style="font-family: times;"> Plus pragmatique, Audiard </span><a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/festival-de-cannes/festival-de-cannes-2021-avec-les-olympiades-jacques-audiard-celebre-le-13e-arrondissement-de-paris-quartier-de-melange_4702013.html" style="font-family: times;">lance à France Info</a><span style="font-family: times;"> : "</span><span style="background-color: white; font-family: times; text-align: left;"><i>J'ai beaucoup tourné dans Paris et je trouve que c'est une ville difficile à photographier. Paris, ce n'est pas New York !</i>" <b>En conservant la palette de couleurs d'une œuvre adaptée, on parvient aussi, sur le plan du fond comme de la forme, à rester fidèle à une certaine intention, une certaine atmosphère</b>. </span><span style="text-align: left;">Pour <i>Sin City</i>, il est assez évident que le noir et blanc participe d'une ambiance horrifique, que le comic de Franck Miller avait déjà investie. On a donc, avec cette idée d'hommage et de fidélité au matériau d'origine, un noir et blanc mi-choisi mi-imposé, qui peut être pris à la fois comme contrainte et comme source d'inspiration.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;"><b>Pour le symbole, pour poursuivre une réflexion artistique (Passing)</b></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="background-color: white; text-align: start;"><span style="font-family: times;">Au risque de me répéter, au cinéma, tout sert l'intention du réalisateur ou de la réalisatrice. On ne s'en rend pas forcément compte, mais si le montage est très très nerveux, ça veut dire quelque chose, ça sert quelque chose. <b>Dans le cas du noir et blanc, il en va de même. Passer un film en noir et blanc, c'est loin d'être un simple effet de style.</b> En ce qui concerne le film <i>Passing </i>de Rebecca Hall, par exemple, il s'agissait carrément d'une façon de pousser à bout le propos du film, de créer une forme de symbole, d'aller même chercher du côté du concept. Faire un film sur les personnes noires, les personnes blanches et les personnes noires qui se font passer pour blanches, c'est déjà sacrément intéressant, mais un film sur les personnes noires, blanches, noires et blanches, le tout en noir et blanc, c'est plus qu'intrigant. "<i>Ca m'a fait l'effet d'une illumination. Il ne s'agissait pas simplement d'un choix stylistique, mais d'un choix conceptuel</i>", explique la réalisatrice, Rebecca Hall au festival de Sundance </span></span><a href="https://nofilmschool.com/four-good-reasons-shoot-black-white-sundance">d'après des propos rapportés par la No Film School</a><span style="background-color: white; text-align: start;"><span style="font-family: times;">. "<i>J'ai fait un film à propos du colorisme. Or, le noir et blanc aspire toute la couleur</i>."</span></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;"><b>Le noir et blanc, un retour à l'essentiel</b></span></p><p style="text-align: justify;">Le retour au noir et blanc, c'est aussi <b>le refus des fioritures, le choix de se concentrer sur l'action, sa lisibilité, sa délimitation</b>. Un tel choix débarrasse l'image<span style="text-align: left;"> de l'agitation et de la distraction que peut constituer la couleur. On n'a pas le droit à l'erreur, mais on va droit au but.</span><span style="text-align: left;"> </span>Compo irréprochable, efficacité des mouvements et des transitions, c'est là l'argument plaidé par Marjane Satrapi, l'autrice de <i>Persépolis</i>, adapté depuis en film, en noir et blanc bien sûr. A l'époque, le noir et blanc s'était imposé à elle,<span style="background-color: white; font-family: times; text-align: left;"> "</span><span style="text-align: left;"><i>parce que [ses] histoires sont souvent très bavardes, et si le dessin est lui aussi très bavard, cela peut devenir excessif</i>". Elle ajoute : "<i>J’essaie d’obtenir une harmonie, je mise sur l’expression et préfère zapper le reste, les choses vraiment secondaires.</i>"</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="text-align: left;">Et on le voit : sur un plan en noir et blanc, où on n'a en réalité que les formes, les objets et les personnages à observer, <b>niveau composition, ça ne pardonne pas.</b> On a moins de repères, moins d'ancrages avec le monde réel, alors il s'agit d'avoir l'image la plus marquante, la plus efficace possible, ce qui sert bien souvent la force de frappe du récit.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-size: medium;"><b>Le noir et blanc comme solution à des contraintes techniques</b></span></p><p style="text-align: justify;"><b>Les caractéristiques les plus matérielles du noir et blanc peuvent aussi pas mal aider des réalisateurs avec de petits pépins pratiques. </b>Le lissage de l'image propre au noir et blanc a ainsi été carrément bienvenu pour des films comme <i>Elephant Man </i>de David Lynch, où les gros gros effets de maquillage passaient bien mieux en noir et blanc qu'en couleur. On peut aussi avoir des films qui mélangent les formats, comme <i>Good Night Good Luck</i>, qui comporte des archives télé et a choisi de passer au tout noir et blanc pour unifier l'ensemble du film. Enfin, on a des histoires plus incongrues, comme celle de <i>Raging Bull</i>, un film à l'origine censé être tourné en couleur, mais dont le réalisateur (Scorcese rien que ça) s'est avéré détester le rouge des gants de boxe du protagoniste, bien trop vif à ses yeux. La solution ? Plus de couleur du tout. C'était moins fati-gant, j'imagine.</p><p style="text-align: justify;"><b><span style="font-size: medium;">La versatilité de l'image en noir et blanc</span></b></p><p style="text-align: justify;">Enfin et surtout, le noir et blanc, <b>c'est une image infiniment plus diverse et subtile qu'on ne pourrait le croire</b>. Il n'existe <b>pas un seul noir et blanc uniforme, bien loin de là </b>- je veux dire, vous avez vu vous-même la quantité de filtres noir et blanc sur Instagram et le rendu <i>puissamment </i>différent qu'ils permettent d'obtenir ! Un noir et blanc, ça peut être brutal, doux, plein de grain âpre et râpeux, onctueux, un peu passé, nacré, fumeux, très contrasté, charbonneux, mélancolique, dramatique, vieillot, extrêmement moderniste, mystérieux, aveuglant, bref, tout un spectre de possibilités furieusement enthousiasmantes pour un photographe ou un cinéaste qui voudrait travailler tout un ensemble d'atmosphères dans une même œuvre de façon subtile, pas forcément visible pour le spectateur. Admirez plutôt :</p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjo40Cpn6OhWQEDjnrnF24xNEKOtgLgJ8VIqEK8tBGWlW7x50X4dj45BRM5B_tCXDJiW8ONUoJ_7Nd0ihSIVivDrae6xxfEWopS1kxxCZuC7nIkXq4Qq1Yxc1hRigpCbxCVLDTtII6_iJA/s1900/Sans+titre+%25282%2529.png" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" data-original-height="637" data-original-width="1900" height="134" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjo40Cpn6OhWQEDjnrnF24xNEKOtgLgJ8VIqEK8tBGWlW7x50X4dj45BRM5B_tCXDJiW8ONUoJ_7Nd0ihSIVivDrae6xxfEWopS1kxxCZuC7nIkXq4Qq1Yxc1hRigpCbxCVLDTtII6_iJA/w400-h134/Sans+titre+%25282%2529.png" width="400" /></a></div><table align="center" cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="margin-left: auto; margin-right: auto;"><tbody><tr><td style="text-align: center;"><img border="0" data-original-height="1015" data-original-width="1902" height="214" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEj5EhDImvLcGkzBpO76-pSDp0CxhITE6I3XLlSyfERPlpSW4-hXb-VB-01JQ-Uiek9VZ2VEThW0GMTpWrXEbXorJbfygrBKfXrogT166MgYU3h1D6xvbopvDh6enXtAWZ2uDGj6EeHaoSg/w400-h214/Sans+titre+%25283%2529.png" style="margin-left: auto; margin-right: auto;" width="400" /></td></tr><tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">(à titre d'exemple, tous ces plans viennent du même film - si si, promis, tout ça vient de <i>Mank</i>, promis)</td></tr></tbody></table><p style="text-align: justify;">Pour toutes ces raisons, le noir et blanc peut être perçu comme<b> l'essence même de ce qu'est la contrainte créative, cette apparente limite qui va en réalité ouvrir la voie à tout un champ de possibles nouveaux</b>, à tout un tas d'opportunités artistiques dont on n'aurait pas eu connaissance autrement. Songez vous-mêmes à cet inimitable frisson que vous avez ressenti face aux grands classiques en noir et blanc que vous avez pu voir, les Kubrick, les Fritz Lang, les Capra. Bien au-delà du simple pastiche, les films contemporains en noir et blanc s'emparent de tout le poids symbolique de ses œuvres, et remanient et réinventent une technique qu'il serait trop facile de croire obsolète, pour lui faire refléter toute la complexité, la richesse et l'intransigeance de notre époque. C'est un appel au mythe, <b>quelque chose d'instinctif et d'immémoriel, quelque chose d'à la fois très traditionnel et très subversif, </b>comme le retour du format 4/3 par exemple (un futur article qui sait). Et ça, ça a de quoi nous enthousiasmer. Le noir et blanc fait parfois face à pas mal de résistances : <i>La Haine </i>de Kassovitz a aussi été tourné en couleur pour une diffusion télé (le diffuseur y tenait), mais face à l'enthousiasme du public pour le noir et blanc, c'est cette dernière version qui est s'est imposée pour la postérité. Quant à <i>La Fille sur le pont </i>de Patrice Chéreau, c'est encore plus fameux : les producteurs tenant mordicus à ce que le film soit en couleur, contrairement à ce que souhaitait le réalisateur, celui-ci a eu la sardonique idée de <i>faire exprès </i>de filmer avec des couleurs peu harmonieuses, voire franchement rebutantes, pour que la production n'ait d'autre choix que d'accepter le noir et blanc. Que voulez-vous, le cinéma, c'est pas un monde de Bisounours. On n'a pas toujours carte blanche.</p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-34788333883951326672021-11-27T07:46:00.001+01:002021-11-27T07:46:16.247+01:00La bête en elles de Camille Lysière - Chronique n°562<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Titre : La bête en elles<br />Autrice : Camille Lysière<br />Genre : Contemporain | Drame<br />Editions : Eyrolles Editions<br />Date de parution : 2021<br />Lu en : français<br />Nombre de pages : 274<br />Résumé : </span><span style="background-color: white; text-align: left;"><span style="font-family: times;"></span></span></p><div class="separator" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em; text-align: center;"><span style="font-family: times;"><img border="0" data-original-height="500" data-original-width="336" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgqvFsgjcH-kRHKB2JhtqatiVyOpm6qEv9Xv8FMYLfGCnMJRYNciBAul_IieEYyg-wVNxqoChO_Z_WTLSI6F8RHnjwPF1us43KhpPZf6sfUKmTItSXhRnAJWQsw-usDObUOh6_nJIMB9Kg/w134-h200/la+b%25C3%25AAte.jpg" width="134" /></span></div><span style="font-family: times;">Le bac en poche, Marie quitte sa province pour prendre un job d'été à Paris. Tous les possibles s'offrent à elle. Elle sera journaliste peut-être comme Olivier, l'ami de son père qui l'héberge avec sa femme pendant son séjour. L'homme se montre froid et distant d'abord. Puis il finit par lui prêter attention et Marie se réjouit de leurs tête-à-tête complices dans son bureau. Leur belle relation pourtant dérape.</span><p></p><span style="background-color: white; font-family: times;"><div style="text-align: justify;">Quand Olivier s'invite dans sa chambre, elle se débat, mais cela ne suffit pas. Marie est dévastée. Aurait-elle séduit Olivier sans le vouloir ? Alors elle se tait. Elle étouffe sa honte et sa douleur qui font grossir la bête en elle. Marie n'est pas seule. Elle vit en 2009 ce que d'autres jeunes femmes de 17 ans comme elle ont vécu en un autre temps.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Claudine en 1937, Isabelle en 1973 et Amandine en 1990. Traversant les époques, ce roman saisissant nous donne à lire la même histoire : le tragique et l'arbitraire du viol qui vient briser les destins.</div></span><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">--------------------------------------------------------</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Il devient compliqué, après un temps, de s'investir dans ou même de s'intéresser à des romans autour des violences sexuelles lorsqu'on a déjà collecté tant et tant d'informations à ce sujet qu'on a le sentiment d'en avoir fait le tour, pire, de lui être devenu insensible, ou alors de ne plus éprouver que de la lassitude ou de l'abattement face à toute nouvelle tentative de relance de débat ou de réflexion à ce propos. Parler de viol et d'agressions sexuelles, c'est essentiel, bien sûr, mais aussi délicat, épuisant et désespérant quand on a côtoyé ces histoires-là d'un peu trop près, et face aux films, romans et reportages qui tentent chacun à leur façon, souvent avec les meilleures intentions du monde, de les raconter, de les dénoncer, voire d'imaginer de nouvelles façons de les combattre, ça mène souvent à une forme d'amertume, d'impression de répétition, d'enlisement. La dénonciation, c'est bien, mais vient un moment où ça ne suffit plus.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Pour toutes ces raisons, j'ai eu tendance à éviter les dernières parutions plus ou moins grand public, plus ou moins à succès, qui tournaient autour de ces thématiques-là. Parce que je suis fatiguée des discours, des prises de position, de la proclamation de vérités éminemment légitimes et nécessaires mais dont la récurrence souligne avec une grande cruauté l'aisance qu'on a à les ignorer, à les désamorcer. Et puis, parce que je suis une contradiction sur pattes et que les promesses qu'on se fait à soi-même sont faites pour être contournées, mes yeux sont tombés sur la couverture de <i>La bête en elles</i>, une sortie récente dont je n'avais absolument jamais entendu parler et que j'ai voulu lire précisément pour cette raison, parce que je me disais que ce texte-là, bon ou mauvais, aurait au moins le mérite d'être un peu frais, un peu inédit, un peu exclusif en tout cas car confidentiel, et que je pourrais en penser ce que bon m'en semblerait à l'abri de tout battage médiatique ou de tout besoin de l'ancrer dans une démarche militante. C'était juste un roman qui parlait de <i>ça</i>, et puis on verrait.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;"><i>La bête en elles</i> ne fait pas d'effets de style, ne s'épanche pas dans de grandes dissertations politiques, ne s'épuise pas en lyrisme révolté, pas plus qu'il ne tente, en gros, de réinventer l'eau tiède. C'est l'histoire de quatre femmes, Marie, Amandine, Isabelle et Claudine, qui ont chacune dix-sept ans en 2009, 1990, 1973 et 1937 respectivement, et qui partent chacune passer un été un Paris, hébergées par des amis de leurs parents tandis qu'elles occupent un job d'été pour se constituer des économies. C'est une histoire connue, et c'est toujours la même histoire.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Si vous avez la chance et le bonheur de me fréquenter, vous savez que j'aime le style, les petites trouvailles, le panache littéraire. Rien de tout cela ici, mais une grande sobriété, qui jamais ne verse dans la fadeur, mais se contente de décrire, raconter, et comprendre. <i>La bête en elles </i>n'est pas un manifeste politique ou un précis militant, mais un roman qui jamais ne dévie de son intention originelle et trouve dans cette détermination, dans cette constance, une force qui fait tout son intérêt et toute sa valeur. Il se donne une mission, raconter le traumatisme vécu par ces quatre jeunes femmes, sa quasi immuabilité dans le temps, sa cyclicité, le silence qui l'entoure et comment on s'en remet, comment on s'invente au-delà de la violence. C'est tout, c'est déjà énorme, et c'est réussi.</span></p><p style="text-align: justify;">Le roman obéit à une construction à la fois très déroutante et très simple, qu'il ne me semble pas avoir jamais rencontrée par le passé. L'intrigue est unique, mais répartie entre les quatre héroïnes, qui prennent le relais chacune leur tour et reprennent le récit là où la précédente l'avait laissé, avec les spécificités de son époque comme unique variation, laissant le lecteur libre d'imaginer à quoi les péripéties décrites auraient pu ressembler dans les trois autres temporalités. Ce choix intrigant est surtout le moyen, assez explicite mais exécuté avec une vraie subtilité, de suggérer dans une cruauté terrible ce dont on se doute mais dont on peine parfois à se rendre compte : peu importe, au fond, que les violences soient commises par un Alphonse ou un Olivier, que les jeunes filles mettent des jupes longues ou des shorts déchirés, que dehors ce soit la guerre ou l'avènement de la société de consommation. Les abus et relations de pouvoir demeurent. Peu importe que la fille passe ses soirées à écouter le poste de radio ou à scroller Facebook. On n'a pas besoin de le savoir pour comprendre que ce qu'elle vit dans sa chair relève d'une horrible histoire, invisibilisée et répliquée depuis des siècles. On éprouve une forme de vertige certain, de frustration aussi, à laisser dans l'ombre les trois protagonistes dont on n'entend pas la voix lors d'un chapitre donné, de devoir se contenter d'apparitions seulement de chacune, d'hériter au fond d'un récit composite, de fragments assemblés en patchwork, qui forment un récit complet. On aurait envie de rendre à chacune de ces filles son intégrité, mais c'est précisément de cela que les privent les violences : leur condition de sujet. Devenant des purs instruments du récit, les filles se confondent les unes derrière les autres, deviennent interchangeables, avec une grande brutalité dont le lecteur prend toute la mesure petit à petit, au fil du récit, alors qu'il s'aperçoit avec tristesse et désarroi qu'il s'est mis à les confondre. Ne vaut-il pas mieux que ça ? Mais comment faire pour faire de chacune une personne propre ? Comment permettre aux victimes d'exister autrement que dans la superposition de leurs témoignages ? Comment récupérer un "je" qui n'appartienne qu'à soi lorsque l'on doit charrier avec soi une histoire de domination et d'emprise ? La réponse donnée par l'autrice me semble particulièrement intéressante, aussi bien en tant qu'outil romanesque qu'en tant que prise de position politique : en partant, en démissionnant, en s'excluant de ce récit injuste, de cette violence exercée par le roman qui exige et impose d'entrer dans le cadre d'une <i>intrigue</i>, avec tout ce que ce mot a d'objectifiant et d'instrumentalisant. Nos quatre jeunes femmes, si elles veulent s'inventer par et pour elles-mêmes, se dissocier des autres victimes, cesser d'appartenir à ce grand tout informe qui ne leur profite en réalité en rien, qui n'est qu'une illusion de solution, alors il leur faut partir. Clore le chapitre, rejeter cette façon-là d'être raconté, cette tentative de compilation des témoignages qui crée un grand vertige, une grande émotion, certes, mais ne propose pas de solutions. J'aime cet aveu de faiblesse que fait le roman lui-même, j'aime qu'il joue, finalement, avec les attentes du lecteur, qui s'imagine en lisant les premières pages que l'autrice s'apprête à raconter une histoire d'injustice dénoncée, de lutte politique et féministe, pour découvrir petit à petit que non, ici comme partout ailleurs, la masse implacable du silence, de la honte et du tabou va priver ces quatre héroïnes de la réparation à laquelle elles ont pourtant droit. Parler, raconter, c'est bien, mais ça ne suffit pas. La réinvention des vies se joue ailleurs. Où ça ? Le roman ne le dit pas, il ne prétend pas le savoir. Il le suggère, à demi-mot, à travers le bonheur et la libération que trouvent certaines des quatre protagonistes dans la force du collectif et l'énergie de l'activisme, mais les réponses définitives doivent encore être trouvées. Voilà donc ce que propose <i>La bête en elles </i>: un retournement très intelligent des codes du roman, des attentes du lecteur, de la paresse qui nous pousse à croire parfois que raconter l'histoire suffit, qu'on peut faire confiance à d'autres pour porter nos voix, que ça s'arrête là. Eh bien non, et <i>La bête en elles </i>le montre par ses mécanismes narratifs même. Ca, c'est sacrément méta. Pour le reste, le récit lui-même est bien mené, bien exécuté, mais ne tutoie pas les sommets d'émotion ou de tension que peuvent cultiver d'autres oeuvres. C'est un bon roman, mais son intérêt réside à mon sens davantage dans sa démarche que dans son exécution. Sa lecture vaut le détour, pour l'expérience unique qu'elle propose, davantage que son contenu romanesque en lui-même. Un drôle d'objet littéraire, qui m'aura sacrément fait cogiter quant au rôle que peut jouer la fiction dans nos luttes politiques... </p><p style="text-align: justify;"><br /></p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-42314267201247402712021-11-25T08:00:00.071+01:002021-11-25T08:00:00.165+01:00Bordeterre de Julia Thévenot - Chronique n°561<p>Titre : Bordeterre<br />Autrice : Julia Thévenot<br />Editions : Editions Sarbacane<br />Date de publication : 04/03/2020<br />Genre : Fantastique | YA<br />Nombre de pages : 512</p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href=" " style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="955" data-original-width="600" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEi8Bfe14QtuzWZQw33YkBTY8Tqzo2Xf1tRBHBJ8UiKQEMEW0qne8AgEz8TnTjBHutZzlDHHcbQ6HUJD68SZkv7_Wullbmf5g_gCvssJxbEAOHyLc8-9Wob2Lv2T9m-EW9oWb7yPCU0wWKA/w126-h200/bordeterre-600x.jpg" width="126" /></a></div><span style="text-align: justify;">Résumé : </span><span style="font-family: times; text-align: justify;"><span style="background-color: white;">Inès, 12 ans, est le genre à castagner ceux qui cherchent des embrouilles à son frère, Tristan, autiste de 16 ans. Tristan lui, est plutôt du genre à regarder des deux côtés avant de traverser. Mais ce jour-là, il ne parvient pas à retenir sa sœur qui, courant après son chien,</span></span><span style="background-color: white; font-family: times; text-align: justify;"> bascule dans un univers parallèle. Bordeterre. C’est le nom de cette ville, perchée sur une faille entre deux plans de réalité. Les gens qui y tombent ne peuvent plus la quitter. On y croise des gamins qui chantent pour faire tourner un moulin, des châtelains qui pêchent des cailloux, des ferrailleurs rebelles qui font tirer leurs caravanes par des poules… et des créatures étranges. </span><span style="background-color: white; font-family: times; text-align: justify;">Inès, par nature, est ravie. Elle explore, renifle le derrière de Bordeterre avec une joie souveraine, comme le chien qu’elle a suivi. Tristan est plus inquiet : il y a quelque chose de pourri dans cette ville.</span><p></p>-------------------------------------------------------------<p></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: "Times New Roman",serif; font-size: 12pt; line-height: 115%; mso-bidi-font-size: 11.0pt;">Inès,
12 ans, s’est toujours sentie investie d’un devoir de protection envers son
grand frère, Tristan, 16 ans, adolescent autiste en décalage constant avec son
monde. Lorsque tous deux basculent tout à coup dans une dimension parallèle où
tout leur étranger, la petite fille se croit plus responsable que jamais de ce
grand frère doux et rêveur. A Bordeterre, nom du territoire où ils ont
débarqué, tout est intense, hostile, sublime et inquiétant. Les êtres humains
fraîchement débarqués, dits de première génération, y sont transparents, tandis
que d’autres, dont les parents ou grand-parents vivaient déjà ici, sont
d’apparence normale. La plupart des Bordeterriens sont meuniers ou paysans, tandis
que les plus puissants vivent dans un château, où Tristan et Inès sont hébergés,
comme tous ceux qui surgissent du Second Plan (nom donné aux Bordeterriens à
notre monde, tandis que le leur est désigné comme le Premier Plan). </span><span style="font-family: "Times New Roman", serif; font-size: 16px;">Echappant à tout ce qu'ils croyaient savoir du monde, les lois de Bordeterre les bousculent, mettent en danger, et fascinent surtout. Difficile pour de tout petits humains comme eux de trouver leur place dans ce lieu où l'on pêche des quartz dans un lac mystérieux où seuls les dénommés Cordistes sont habilités à plonger, où l'on Chante pour invoquer des objets, des biens, des forces motrices, mais où pratiquer cette magie en-dehors des normes régies par la loi expose les habitants à l'intransigeance des Fléreurs, petites créatures à trois yeux chargés de réguler le Chant coûte que coûte.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: "Times New Roman",serif; font-size: 12pt; line-height: 115%; mso-bidi-font-size: 11.0pt;">Après s'être fait inoculer une potion d'amnésie, frère et sœur sont séparés. Inès,
prise pour un garçon par un jeune seigneur local, Philadelphe Saint-Esprit, se
voit rebaptisée Ignace, et devient par un concours de circonstance apprentie Cordiste, plongeuse d'élite chargée de récolter les précieux quartz qui permettent de Chanter. </span><span style="font-family: "Times New Roman",serif; font-size: 12pt; line-height: 115%; mso-bidi-font-size: 11.0pt;">Tandis
que Philadelphe (surnommé Adelphe), s’occupe de l’éducation d’Ignace, nouvelle
coqueluche de Bordeterre, Tristan est ballotté de rencontre en rencontre
jusqu’à devenir proche d’une petite poignée de rebelles, de réfractaires et de
vagabonds à la tête d’un journal clandestin, désireux de renverser un régime corrompu
bâti sur d’insupportables injustices. L’élite locale, qui détient le monopole
de la récolte et de la vente des quartz, pratique des tarifs exorbitants qui aliènent les
travailleurs et lui garantissent un contrôle social implacable. En réaction à cette
situation, les rebelles s’activent pour faire de leur
journal, <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Le Débordement</i>, l’élément
déclencheur d’une grande révolution. </span><span style="font-family: "Times New Roman", serif;">Commence pour Ignace une impressionnante mission de double espionnage, qui la verra se battre, grandir, s'affirmer, tandis qu'autour d'elle, Bordeterre tout entière connaît un féroce mouvement d'émancipation, de révolte, et qui sait, peut-être même de libération.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: "Times New Roman",serif; font-size: 12pt; line-height: 115%; mso-bidi-font-size: 11.0pt;">Bordeterre
est un roman extrêmement dense, géométrique même dans sa structure, à l’intrigue linéaire bien menée, très rythmée,
avec une clarté et une fluidité d’autant plus remarquables que les péripéties
sont nombreuses et les scènes d’action très agitées. </span><span style="font-family: "Times New Roman", serif; font-size: 12pt;">Le
ton est vif, animé, enlevé, les péripéties sont diverses et toujours
divertissantes, les décors sont rendus avec beaucoup de détails convaincants et
la mythologie de Bordeterre, ses lois et son univers constituent tout un monde
parallèle extrêmement plaisant, au système magique certes un peu flou dans sa caractérisation, mais par lequel on se laisse embarquer avec enthousiasme. Le roman adopte une narration
très visuelle, très cinématographique, et multiplie les scènes et symboles mémorables : créatures magiques, Lacs
d’outre-tombe, paillettes incrustées sur la peau, palais, pierres précieuses
magiques, il y a là de quoi créer tout un imaginaire, pictural et sensoriel, à
la croisée des univers de Philip Pullman, Christelle Dabos, Miyazaki et
Tolkien.</span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: "Times New Roman", serif; font-size: 16px;">La plume est pétillante, l</span><span style="font-family: "Times New Roman", serif; font-size: 16px;">es images convoquées par l'autrice servent le récit sans jamais l'alourdir, et participent à l'élaboration d'une atmosphère fantastique irréelle, éthérée, à la frontière entre le conte, le merveilleux et la fantasy. Sur le plan du style, du souffle du récit, le texte bénéficie indéniablement de son humour, des piques que s'échangent les personnages, du contraste entre la candeur de certains et la roublardise d'autres, de l'énergie au cordeau des dialogues. L'autrice a cela dit recours à quelques effets de style parfois un peu aléatoires</span><span style="font-family: "Times New Roman", serif; font-size: 16px;"> (notamment des retours ligne qui peuvent sembler un rien arbitraires ou artificiels), mais qui ne sont pas non plus déplaisants et contribuent à nourrir le sentiment d’étrangeté, d’émerveillement, propre à l'histoire. </span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: "Times New Roman",serif; font-size: 12pt; line-height: 115%; mso-bidi-font-size: 11.0pt;">Petit
bémol peut-être sur la caractérisation d’Inès et Tristan : la maturité
d’Inès est très fluctuante, et la petite fille se comporte tantôt comme une
vraie femme, tantôt comme une adolescente impulsive, tantôt comme une enfant.
Tristan, quant à lui, est certes présenté comme autiste, mais cela ne se
traduit presque que par des bégaiements et une aversion au contact des
physiques, des traits qui ont de plus tendance à s’estomper après les premiers
chapitres. Tous deux restent bien sûr attachants, mais ils ne sont pas vraiment
les figures les plus marquantes du récit, servent surtout de prétexte au
déclenchement des péripéties, et pourraient gagner en solidité et en cohérence
pour concrétiser leur potentiel, réel, de protagonistes à part entière. De façon générale, c'est peut-être du côté des personnages que le récit manque parfois un peu d'équilibre : certains personnages au potentiel romanesque très intéressant (Aïssa, Ruphaël, Tristan) peinent à trouver leur rôle dans l'intrigue au-delà de quelques interventions ponctuelles et souvent un peu instrumentales, sans que, cela dit, cela n'empêche le lecteur de suivre leurs péripéties</span><span style="font-family: "Times New Roman", serif; font-size: 16px;"> avec plaisir et curiosité. En parallèle, des personnages comme Adelphe, Inès et Alma prennent énormément de place, empiétant sans doute sur l'espace dont auraient pu jouir d'autres protagonistes aux problématiques et dilemmes différents, qui auraient pu créer des contrastes avec les atermoiements amoureux et familiaux d'Adelphe ou le côté petit espion d'Inès.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman",serif; font-size: 12pt; line-height: 115%; mso-bidi-font-size: 11.0pt;">Bordeterre</span></i><span style="font-family: "Times New Roman",serif; font-size: 12pt; line-height: 115%; mso-bidi-font-size: 11.0pt;"> est dans l’ensemble un roman réussi, plein de
promesses remplies et de belles surprises. L’intrigue, très dense, pourrait
sans doute gagnée à être encore clarifiée, notamment en rationnalisant un peu
les rôles des différents personnages, dont les arcs ont parfois tendance à
s’éparpiller, mais le tout fait néanmoins preuve d’une remarquable créativité,
d’une belle fraîcheur et d’un vrai enthousiasme dans l'écriture et la façon de présenter les multiples facettes de l'univers créé ici. Julia Thévenot se pose en véritable conteuse, avec un profond et très appréciable sens du détail marquant, une narration visuelle irréprochable et une grande capacité à mêler l'humour au romanesque. Une belle découverte !<o:p></o:p></span></p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-7738651831769041312021-11-22T08:04:00.067+01:002021-11-22T08:49:42.774+01:00Il faut qu'on parle de Kevin de Lionel Shriver - Chronique n°560<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href=" " style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img alt="" data-original-height="635" data-original-width="400" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhmUcPCnEVf7RGlY_s90LTx08hLg61Fh0rEYlMe0aO3KZOLSveVYhSyGcbWFHpkCHHmFC_9fAU41Dhfrisyx5Z8giQS_20CUzbn3CdNT5hKV5DQTEJg4F2aTLBCGCQu_bhKHsRTsFQftHE/" width="151" /></a></div><span style="font-family: times;"><span>Titre : Il faut qu'on parle de Kevin<br />Autrice : Lionel Shriver<br />Genre : Drame | Contemporain<br />Editions : Belfond<br />Lu en : français<br />Traduit par : Françoise Cartano<br />Nombre de pages : 492<br />Date de parution : 07/09/2006<br />Résumé : </span><span style="color: #292929; text-align: left;">À la veille de ses seize ans, Kevin Khatchadourian a tué sept de ses camarades de lycée, un employé de la cafétéria et un professeur. Dans des lettres adressées au père dont elle est séparée, Eva, sa mère, retrace l’itinéraire meurtrier de Kevin.</span></span><p></p><p style="background-attachment: initial; background-clip: initial; background-image: initial; background-origin: initial; background-position: initial; background-repeat: initial; background-size: initial; border: 0px; box-sizing: border-box; color: #292929; margin: 0px 0px 15px; outline: 0px; padding: 0px; text-align: justify; vertical-align: baseline;"><span style="font-family: times;">Elle se souvient qu’elle a eu du mal à sacrifier sa brillante carrière pour devenir mère. Qu’elle ne s’est jamais faite aux contraintes de la maternité. Que dès la naissance elle s’est heurtée à un enfant difficile. Que l’arrivée de Celia, petite sœur fragile et affectueuse, n’a fait que creuser le fossé entre mère et fils. Qu’elle aura passé des années à scruter les agissements de Kevin sans voir que son ambivalence envers lui n’avait d’égale que la cruauté et la malveillance du rejeton. Et, quand le pire survient, Eva veut comprendre : qu’est-ce qui a poussé Kevin à commettre ce massacre ? Et quelle est sa propre part de responsabilité ?</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">------------------------------------------------------------</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">D'un point de vue strictement technique, et si l'on s'en réfère à mes meilleures indications statistiques, j'ai mis plus d'un mois à achever <i>Il faut qu'on parle de Kevin</i>, et j'ai même dû m'y reprendre à trois reprises pour dépasser les deux chapitres initiaux. Voilà qui n'est pas de très bon augure quant à la qualité de l'ouvrage, me direz-vous. Et pourtant.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Si j'ai mis plusieurs semaines à <i>entamer</i> vraiment le livre, ce n'est en aucun cas dû à sa qualité, assez étourdissante soit dit en passant. Non, si j'ai éprouvé pour ce récit une espèce de répulsion initiale, un inconfort, voire une quasi incapacité à me plonger dans ce qu'il esquissait en introduction, c'était purement et simplement parce que c'était trop bien.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Alors.<br />Je vous entends, là, déjà, me dire, mais enfin Capucine, tu es stupide ou quoi, les livres trop bien on adore ça nous, hein, et je vous dirai absolument, vous avez raison, mais là, dans ce cas très particulier, <i>Il faut qu'on parle de Kevin</i>, on est sur du trop bien limite douloureux.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Je ne suis résolument pas de ceux qui doivent, de façon très compréhensible, parfois faire une croix sur certaines lectures trop éprouvantes, violentes ou saisissantes, bien au contraire : j'ai un principe en littérature, plus c'est glauque, mieux j'aime. La sordide histoire de la mère de Kevin, adolescent incarcéré pour avoir assassiné sept de ses petits camarades de lycée, plus un employé de la cafétéria et sa prof de littérature (on est sur un cas), aurait donc instantanément dû capter mon goût pour l'insoutenable et l'irréparable, mais son incisivité, son âpreté, et surtout l'épouvantable et prodigieuse intelligence avec laquelle Lionel Shriver la raconte et la dissèque, ont été un gros coup de parpaing dans ma petite figure. Chaque paragraphe se reçoit, se digère, chaque chapitre est un roman en soi, et l'ouvrage entier d'une densité et d'une intensité assez incomparables. Rarement ai-je été confrontée à un tel degré d'analyse, à une telle exhaustivité dans le décortiquage d'un personnage et des tensions, secrets et ressentiments qui phagocytent sa famille. Rarement ai-je été frappée à ce point par l'exactitude des termes choisis par un ou une écrivaine, rarement ai-je été saisie à la gorge à ce point par l'injustice, l'horreur ou l'irréparabilité d'une situation. Voilà pourquoi il m'a fallu me casser un peu les dents sur ces chapitres introductifs, me laisser atteindre par la violence du propos, presque en rejeter ce bouquin si méchant, si noir, si empli de malheur et de regrets et de médiocrité, avant d'enfin l'embrasser et m'enfiler les 400 pages qu'il me manquait comme une course dont chaque kilomètre m'aurait autant éprouvée qu'exaltée.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Ce qui bouleverse, dans <i>Il faut qu'on parle de Kevin</i>, c'est l'amertume, le réalisme de cette mère simplement pragmatique face au désastre qu'est sa vie. On pourrait sans doute la trouver cynique, et en effet, il y a de cela dans la froideur parfois amusée avec laquelle elle analyse ses actions des vingt dernières années, mais elle n'est pas que cela, bien sûr, ce serait trop facile autrement. Non, Eva n'est pas blasée, elle souffre, encore, au très premier degré, et le raconte lettre après lettre à un ex-mari qui ne lui répond pas. Elle compose, souvenir après souvenir, une confession implacable, dont on ne saurait dire si c'est envers sa narratrice ou son destinataire qu'elle est le plus impitoyable. Le texte, poisseux, étouffant, ne verse cependant jamais dans la facilité, la méchanceté gratuite, et certainement pas le manichéisme. On pourrait imaginer (et comprendre) qu'Eva se contente de décrire Kevin comme l'enfant mutique, puis l'adolescent brutal, provocateur et malveillant qu'il est, mais quelque chose d'infiniment plus ambigu surnage toujours dans le portrait qu'elle en brosse, un refus, bouleversant parce qu'indicible et incompréhensible, de le condamner tout à fait, de le haïr tout à fait, quand bien même la tentation en est immense. Eva s'accroche, et les 500 pages qu'elle passe à raconter Kevin sont la preuve ultime du fait qu'elle ne consent pas et ne consentira sans doute jamais à lâcher ce fils qui lui a pourtant brisé tout ce qu'elle avait réussi à constituer en garanties de son bonheur : son mariage heureux, son boulot galvanisant, ses voyages, sa vie à Manhattan, son insouciance. Ce n'est pas de l'aveuglement, encore moins un amour maternel inconditionnel, mais un besoin de comprendre, un refus d'abandonner, une injonction aussi, parce qu'elle est la mère de cet enfant et que personne ne l'autorisera jamais à l'oublier, en somme, un maëlstrom de besoins et passions contradictoires dans l'entremêlement desquels naissent parmi les questionnements les plus brutalement juste qu'il m'ait été donné d'affronter à propos de la maternité, de la famille, de la filiation, de la loyauté, de la transmission, de la trahison, du rejet, du devoir et de la faute. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Autant j'ai davantage pleuré face à un écran de cinéma qu'au cours de toutes les séances de psychothérapie de ma vie (et croyez-moi, c'est déjà beaucoup), autant les ouvrages capables de m'arracher de vraies larmes de stupeur, de peine ou de colère ne sont pas légion, et <i>Il faut qu'on parle de Kevin </i>en fait partie. Face à ces derniers chapitres, dont les pages, lourdes et solennelles, constituent un moment de lecture d'une immersivité assez inégalée, j'ai plissé les yeux comme si isoler les lignes une à une pouvait en diminuer l'impact, j'ai tourné les 100 dernières pages dans une espèce de transe littéraire comme on a rarement la chance d'en connaître. Lire ce roman est tout sauf une promenade de santé, mais bon sang, qu'est-ce que c'est bien.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Lionel Shriver a du génie, vraiment, dans la façon dont elle semble accommoder le lecteur pour mieux retourner ses préjugés contre lui au chapitre suivant, dans son art de créer l'évidence dans la surprise, dans la maestria de l'intrigue qu'elle compose et du rythme savamment étudié auquel elle abat ses cartes, chacune plus tranchante que la précédente. C'est un ouvrage qui demeure, un ouvrage qui n'assène pas ses réponses, vu les démons qui continuent de torturer sa narratrice pour le moins biaisée, voire pas toujours fiable, mais dresse un personnage redoutablement complexe, redoutablement convaincant (comment, en tant qu'auteur, parvient-on à inventer une telle vie avec de tels détails, une telle complétude de pensée, un tel don pour rendre compte des nécessaires contradictions qui forment la personnalité du personnage sans jamais laisser naître la moindre incohérence ? Je ne me l'explique pas), dont la voix désabusée mais pas désarmée fait naître autant de frissons que de questions chez un lecteur, pour le coup, franchement sonné. Un épouvantable, formidable roman.</span></p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-15663872195157962662021-11-20T07:42:00.002+01:002021-11-20T07:56:43.337+01:00Les Magnétiques de Vincent Maël Cardona - [Cinéma]<p></p><div class="separator" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em; text-align: center;"><img border="0" data-original-height="1080" data-original-width="810" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiLiHFEQUF6wFRvRsXdl2Aqez80xTESVPsfQzHDT8r87J5NcDfU7cYZbf48Zm8ArwNJbuXzhqY0NsvNYoGWVrv58MGsLz7kLD6-r2J9b3kZ5-P6NnLgVcy6MFm9T3zYxhOIL2Q5lYKwJaU/w150-h200/les+magn%25C3%25A9tiques.jpg" width="150" /></div><span style="font-family: times;">Titre : Les Magnétiques<br />Réalisé par : Vincent Maël Cardona<br />Genre : Drame<br />Date de sortie : 17/11/2021<br />Avec : Thimothée Robart, Marie Colomb...<br />Synopsis : <span style="background-color: white; color: #333333;"><span>Une petite ville de province au début des années 80. Philippe vit dans l’ombre de son frère, Jérôme, le soleil noir de la bande. Entre la radio pirate, le garage du père et la menace du service militaire, les deux frères ignorent qu’ils vivent là les derniers feux d’un monde sur le point de disparaître.</span></span></span><p></p><p><span style="background-color: white; color: #333333;"><span style="font-family: times;">------------------------------------------------------------------</span></span></p><p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">C’est l’un des plus beaux films français de l’année et vous
n’en avez probablement pas entendu parler. <i>Les Magnétiques</i>, premier long-métrage
de Vincent Maël Cardona, est un film formidable, sur lequel semblent n’avoir
travaillé que des personnes qui savent pertinemment comment rendre un film plaisant
et captivant, déterminées à <i>raconter une histoire </i>dans tout ce que cette
expression a de plus excitant et galvanisant, et dont la maîtrise technique est
éblouissante – voire inexplicable – quand on sait qu’il s’agit d’un premier
film.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Fait rare et ô combien appréciable, aucun plan ne se
contente d’être purement fonctionnel, et la photo est d’une absence totale de
paresse ou de facilité : chaque image porte la marque d’une intention, chaque
situation est filmée avec pertinence et surtout une inventivité rare (à combien
de reprises tombe-t-on en arrêt face à une rue, un visage, une voiture, une
main que l’on n’aurait jamais pensé à filmer ainsi et qui, pourtant, à l’œil de
Cardona, semble s’imposer et n’exister que pour être capturée de cette exacte
façon par une caméra ?). Au rythme quasi étourdissant d’une idée par
seconde, le film révèle une photographie prodigieuse, balance une quantité industrielle
de plans à s’en tatouer la rétine qu’on a aussitôt envie d’imprimer et d’afficher
sur les murs de sa chambre. A travers un fabuleux travail du grain pellicule,
des couleurs primaires (ces jaunes aigus, tranchants, un peu verdâtres, ces
beaux bleus turquoise la nuit, ces rouges profonds, quel plaisir visuel !),
le film rend un hommage enthousiaste mais tout sauf éculé à l’esthétique
eighties, avec juste ce qu’il faut de créativité et de modernité pour ne pas
tomber dans un simple pastiche ou un cocktail nostalgisant et clairement
insincère à la <i>Stranger Things</i>. Pour le dire très simplement : il n’y
a pas un plan à jeter, pas un seul, et cette maturité dans le filmage intrigue
autant qu’elle réjouit.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">L’intrigue, qui repose sur le passage à l’âge adulte de son
personnage principal, sa relation avec son brillant frère aîné, l’éclosion de
son premier amour, le déracinement auquel l’oblige son service militaire,
trouve son juste équilibre entre originalité et sincérité, et touche à des
émotions brutes, indescriptibles, qui déclenchent ce genre de vérité
bouleversante et pas si fréquente au cinéma, qui touche sans qu’on puisse (s’)expliquer
pourquoi. Ça parle de nostalgie, de perte, d’irréversible, d’adolescence
laissée derrière soi, d’amours abîmées, de passion, de passion beaucoup, de
transmission, de radio, de cassettes, et de musique, évidemment. Ça en parle sans
posture, avec un mélange de fièvre et d’acceptation qui m’a, en tout cas,
pulvérisée de beauté et de tristesse.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;"><i>Les Magnétiques </i>est enfin un film sacrément bien
écrit : pour le dire ainsi, il y a juste ce qu’il faut, et rien d’autre.
Les dialogues disent ce qui doit être dit sans bavardage, sans surplus, témoignent
d’un humour formidable, et les silences sont aussi riches que de longs
discours. Le scénario travaille l’évolution des personnages avec une subtilité inouïe :
ce n’est que dans la toute dernière scène, qui opère une forme de rétrospective
sur l’ensemble du film, que l’on se rend compte tout d’un coup de la lente et
profonde métamorphose qu’a notamment connue le personnage principal. Rien n’est
jamais martelé, rien n’abêtit ou n’infantilise le spectateur, qui se trouve par
là même formidablement valorisé, mis en confiance : c’est lui qui rassemble
les pièces, s’empare des sous-entendus, repère des symboliques, sans que jamais
la narration n’ait à les lui pointer du doigt ou à lui rappeler à l’oreille :
« T’as vu comme je suis un film intelligent, t’as vu, t’as vu ? »
Il n’y a, je crois, guère d’expérience plus plaisante pour un public de cinéma
que celle d’avoir l’impression que c’est lui qui « fait » le film, en
tout cas qui s’en fait sa propre interprétation, et <i>Les Magnétiques </i>y
parvient avec brio. Le personnage principal, Philippe, connaît un vrai récit d’apprentissage
dont on ne prend conscience de l’ampleur qu’une fois parvenu à son aboutissement,
et le film manifeste une pudeur, une retenue non seulement très compatibles
avec l’époque du récit, mais profondément satisfaisantes, car bien sûr, tout ce
qui n’est pas dit n’en résonne qu’avec davantage de force.</span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">Un (long) mot enfin sur le fascinant travail du son que le
film opère, avec ses personnages passionnés de radio, son mixage impeccable, sa
sensorialité, sa façon de donner exactement la juste place aux souffles,
hésitations, mots mâchés, mastications, pour rendre l’expérience d’autant plus
immersive sans jamais virer à la caricature ou à la coquetterie. Le film se
pique même de construire quelques scènes en un mot anthologique, d’une maîtrise
immense, où les doigts de Philippe deviennent platines, son monde orchestre
symphonique et ses cassettes partition chaotique, pour créer de sublimes bulles
de musique, de bruit et de rêve où les mots chahutent les mélodies jusqu’à
donner naissance à de pures parenthèses de plaisir, de rêve et de beauté. La
bande originale du film complimente à merveille l’intrigue, et loin de servir
le récit, elle le porte et le scande, avec là encore une merveilleuse sélection
de titres des années 1980 qui n’a rien de la citation balourde et dont chaque
morceau s’intègre au film de façon organique, naturelle, bienvenue. On regrette
presque de voir le film s’achever tant on se sentait bien dans son univers,
dans cette petite ville de province que chacun connaît par cœur, avec ses rues
où il semble avoir plu même lorsqu’il n’a pas plu, le bar un peu miteux où l’on
se sent bien quand même, et cette gare, cette gare surtout, où l’on s’est tous
arrêtés avec un pincement au cœur, un long soupir d’ennui et un peu de vague à
l’âme, dans les autres lieux que la caméra explore, les rues du Berlin encore
sectorisé, les champs où la jeunesse des personnages flamboie lors de soirées d’anthologie,
les chambres d’adolescents envahies par les câbles et les platines où les rêves
se racontent sur les ondes.<o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">A mi-chemin entre la rétrospective et la chronique, l’hommage
et le pur kif de créateur, on a tant l’impression d’une œuvre très personnelle
que d’un film avant tout désireux d’être généreux avec son spectateur, qui l’accompagne
dans son visionnage sans jamais forcer l’émotion. Les acteurs sont prodigieux,
l’amertume de l’histoire saisit à la gorge sans plomber, la fin en un mot
parfaite (quel sommet d’émotion !), le rythme soigneusement orchestré, et si
l’histoire peut parfois sembler prévisible, du moins classique, c’est qu’elle
ne s’attache pas tant à réinventer l’eau tiède qu’à être <i>juste</i>, et c’est
bien plus rare et bienvenu qu’on ne peut le penser. <o:p></o:p></span></p>
<p class="MsoNormal" style="text-align: justify;"><span style="font-family: times;">C’est un chouette film. Un sacrément chouette film. C’est
plaisant, c’est beau, c’est joli, c’est triste, c’est tellement fluide, c’est
tellement léger. Unique frustration : on en aurait voulu encore plus, des scènes
comme ça, rien qu’une seule scène supplémentaire de radio, dans la continuité
de ce passage prodigieux où Philippe se laisse submerger par sa passion, sa
sensibilité et ses intuitions musicales pour composer la plus belle déclaration
d’amour qu’on a vue au cinéma depuis longtemps. Oui, vraiment, on en aurait voulu
encore. Mais on le sait, et le film nous le rappelle : rien ne sert de
vouloir trop répéter les moments évanouis, aussi beaux aient-ils été. Il vaut
mieux se les rappeler et les chérir plutôt que de trop chercher à les
reproduire, au risque de les dénaturer.</span><o:p></o:p></p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-9871402984129642272021-08-21T18:51:00.006+02:002021-08-21T18:52:16.997+02:00Le coeur synthétique de Chloé Delaume - Chronique n°559<p style="text-align: justify;"><br /></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"></div><span style="font-family: georgia;"><span style="clear: right; color: #455a64; float: right; font-family: georgia; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="600" data-original-width="409" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgcElWRnjqccKmRHUp3s_OcA2l05j1zaAzsZhBbX1MPulRQG39DGL0deseLa2kdJGtHAGwvV2AQvGN1HMy2Coxmz1-nfoDON-O5dVsTqqPUsh1xWM3LQiIGKIVaOjcEWUzZwPgEMo0or9s/w136-h200/142545_couverture_Hres_0.jpg" width="136" /></span>Titre : Le Coeur Synthétique<br />Autrice : Chloé Delaume<br />Genre : Contemporain<br />Date de parution : 2020<br />Editions : Seuil<br />Nombre de pages : 208<br />Résumé : Adélaïde vient de rompre, après des années de vie commune. Alors qu’elle s’élance sur le marché de l’amour, elle découvre avec effroi qu’avoir quarante-six ans est un puissant facteur de décote à la bourse des sentiments. Obnubilée par l’idée de rencontrer un homme et de l’épouser au plus vite, elle culpabilise de ne pas gérer sa solitude comme une vraie féministe le devrait. Entourée de ses amies elles-mêmes empêtrées dans leur crise existentielle, elle tente d’apprivoiser le célibat, tout en effectuant au mieux son travail dans une grande maison d’édition. En seconde partie de vie, une femme seule fait ce qu’elle peut. Les statistiques tournent dans sa tête et ne parlent pas en sa faveur : « Il y a plus de femmes que d’hommes, et ils meurent en premier. »</span><p></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">-----------------------------------------------------------</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">Chaque lecteur a ses tropismes, pour ne pas dire ses obsessions : en ce qui me concerne, j'aime les héroïnes à la dérive, les récits très introspectifs bourrés d'adjectifs et d'images, et les histoires d'amitiés féminines. En ce sens, <i>Le Coeur Synthétique </i>est à peu près la quintessence de ce qui me touche et m'inspire. <br /><br />Le roman, dont la rythmique mélodieuse, presque lancinante, a quelque chose de la chanson, avec sa scansion régulière et ses refrains entêtants, et cueille son lecteur dès ses premières pages, tout en délicatesse. En se mettant immédiatement au niveau de son héroïne, dans une volonté de raconter ses pensées et son ressenti plutôt que de les analyser, l'autrice montre tout de suite sa volonté de ne manifester aucune forme de jugement à son encontre. Pas de fausse candeur non plus, juste un regard informé, apaisé. On est simplement avec Adélaïde, et on éprouve la vie à ses côtés, le vertige de cette rupture toute fraîche dont elle ignore si elle la rend davantage heureuse ou anxieuse, cet appartement plus petit, cette conscience nouvelle d'avoir vieilli. Très vite, on s'avise du monde dans lequel Adélaïde évolue, la maison d'édition où elle travaille, son groupe d'amies très parisiens, et cette unique réelle source de détresse dont elle s'accable : son célibat, et sa peur de le voir durer à jamais maintenant qu'elle se trouve à l'aube de la ménopause.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">L'humour niché partout dans le texte rend le tout particulièrement plaisant à suivre, et permet d'éviter les deux défauts dont le roman aurait pu souffrir : d'une part, une éventuelle moquerie gratuite de cette héroïne amoureuse de l'amour prête à tout pour trouver un nouveau conjoint, et d'autre part, le pathos, l'écueil de la surdramatisation. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">En effet, si Adélaïde vit sa situation comme une tragédie, il serait indigeste pour le lecteur de la lui présenter comme telle au premier degré, et D</span><span style="font-family: georgia;">elaume parvient à merveille, par son ton enlevé et images malicieuses, à faire de la très lyrique première partie un grand moment de rire plutôt qu'un mélo, sans jamais entraver le sentiment d'empathie du lecteur envers Adélaïde. Le recours à l'ironie, au cynisme et aux analogies taquines se combine à merveille aux métaphores un peu lyriques et aux descriptions des états d'âme d'Adélaïde, et permet au roman de trouver son équilibre entre émotion et lucidité. Ainsi,</span><span style="font-family: georgia;"> si jamais l'autrice ne se moque du désespoir de son héroïne (bien au contraire), elle arrive à en montrer tout le côté disproportionné et infondé. Tout en affirmant la légitimité qu'Adélaïde a à se sentir abandonnée, elle montre bien qu'il est insensé de sa part de croire qu'une vie sans homme équivaudrait à une pure damnation. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">L'autre piège donc aurait été de simplement descendre le personnage, de la présenter comme une vieille folle, et là encore, l'écueil est évité. C'est précisément ce refus de tout jugement, de toute aigreur, qui rend le roman touchant. Au fil du roman, Adélaïde remet les choses en perspective, s'endurcit, grandit aussi, et cela ne se fait pas aux dépens du côté tendre et empathique du roman. L'autrice s'attache à prendre chaque personnage pour ce qu'il est, homme, femme, âgé, jeune, séduisant, ou pas, à le montrer dans ce qu'il a de ridicule (parce que tout le monde l'est un peu parfois) mais aussi dans ses qualités, dans ses fragments (aussi minimes soient-ils parfois) de beauté et de sincérité. On voit défiler les maris d'avant, les copains de maintenant, les amies de toujours et les plans qui n'aboutiront jamais, sans aucune forme de colère gratuite ou de cynisme un peu facile. Tout le monde est perdu, certains s'y prennent avec résolument moins de classe et de gentillesse que d'autres, mais l'ensemble des personnages a droit à sa place pour s'exprimer, et est considéré de la façon la plus juste possible. Cet équilibre a quelque chose de furieusement plaisant, et nourrit tout au long de la lecture l'intérêt que l'on peut avoir pour le récit.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">L'écriture est évidemment sublime, avec de très belles incursions dans un registre quasi-poétique, et une gestion tout à fait satisfaisante du rythme de l'intrigue, qui suit une structure assez simple mais très entraînante, et se dévore presque d'une traite. On remarque et salue surtout la façon dont le récit se détourne petit à petit de son motif initial, la séduction et le couple, qui ne s'avère être qu'un prétexte pour rencontrer enfin le sujet véritable de l'histoire : l'amitié, féminine notamment, et le soulagement qu'il y a à réaliser que l'amour n'a pas à être romantique ou conjugal pour être inconditionnel ou salvateur, qu'on peut se réaliser suivant différents modèles, différentes modalités, et que le tout est de rester lucide quant à ses besoins et ce que l'on a envie, ou non, de concéder.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">Une très belle lecture donc, portée par un second degré constant, un aspect burlesque assez réjouissant, une fougue certaine, pas très étonnante quand on connaît les prises de position féministes (et salutaires !) de l'autrice, en bref, un roman éminemment bienveillant, qui rit de ses personnages sans les humilier. Le besoin d'Adélaïde de se recaser à tout prix n'est pas ridicule, il ne vient pas de nulle part, il est sociologiquement construit - </span><span style="font-family: georgia;">ce que Delaume souligne avec piquant et dérision. Loin de la dépeindre comme une vieille chouette en mal d'amour, </span><span style="font-family: georgia;">le roman s'attache à la suivre avec une grande justesse dans son parcours de redécouverte d'elle-même, et déconstruire avec elle l'ensemble des normes qui l'empêchent d'explorer seule ce qu'elle désire vraiment. Qu'on se le dise, ça reste très parisiano-parisien, avec des héroïnes qui n'ont guère que leur vie sentimentale comme préoccupation dans la vie, mais on pardonne assez facilement au texte, qui n'a pas pour prétention d'avoir d'autre sujet que celui-ci précisément, et le décortique avec un vrai talent.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;"><br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;"><br /></span></p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-89407794765169924272021-07-23T18:15:00.006+02:002021-07-23T18:15:58.602+02:00Les Revenants de Laura Kasischke - Chronique n°558<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgcDvRJlqqD1fazQt9nars0gQQEgcVbqHbY2brJzPySX3V-8CaS30C7CZordfLyW5RSmds9qXJj-aaX9oLw9wsNPBbgJPJcOTuQGn5-ccsdC4qdgQffaOq68eaEmgIM6jKh30GSvy4V5Hk/s1192/les+revenants.jpg" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="1192" data-original-width="753" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgcDvRJlqqD1fazQt9nars0gQQEgcVbqHbY2brJzPySX3V-8CaS30C7CZordfLyW5RSmds9qXJj-aaX9oLw9wsNPBbgJPJcOTuQGn5-ccsdC4qdgQffaOq68eaEmgIM6jKh30GSvy4V5Hk/w126-h200/les+revenants.jpg" width="126" /></a></div> <span style="font-family: georgia;">Titre : Les Revenants<br />Autrice : Laura Kasischke<br />Genre : Contemporain<br />Editions : Christian Bourgois<br />Date de parution : 2011<br />Traduit par : Eric Chedaille<br />Lu en : français<br />Nombre de pages : 590<br /><br />Résumé : <span style="background-color: white; color: #1b1b1b; text-align: start;">Élève brillante, Nicole était douce et sociable. Elle meurt subitement dans un accident terrible.</span><br style="-webkit-font-smoothing: antialiased; -webkit-tap-highlight-color: rgba(0, 0, 0, 0); background-color: white; box-sizing: border-box; color: #1b1b1b; margin: 0px; padding: 0px; text-align: start; text-rendering: auto;" /><span style="background-color: white; color: #1b1b1b; text-align: start;">À l’automne suivant, tandis qu’un nouveau semestre commence, Craig, l’ancien petit ami de Nicole est renvoyé de l’université médiocre où il était entré par relations. Tenu pour responsable de la mort de Nicole mais relâché faute de preuves, il ne parvient pas à surmonter le drame, ne cesse d’y repenser et a l’impression de voir Nicole partout.</span><br style="-webkit-font-smoothing: antialiased; -webkit-tap-highlight-color: rgba(0, 0, 0, 0); background-color: white; box-sizing: border-box; color: #1b1b1b; margin: 0px; padding: 0px; text-align: start; text-rendering: auto;" /><span style="background-color: white; color: #1b1b1b; text-align: start;">Perry, son colocataire, était dans le même lycée que Nicole. Lors d’un séminaire sur la mort par Mira Polson, professeur d’anthropologie, il fait part de ses interrogations et de ses doutes quant à la disparition de la jeune fille. De son côté, Shelly Lockes, unique témoin de l’accident, conteste la version officielle, selon laquelle Nicole, baignant dans une mare de sang, n’aurait pu être identifiée que grâce à ses bijoux.</span><br style="-webkit-font-smoothing: antialiased; -webkit-tap-highlight-color: rgba(0, 0, 0, 0); background-color: white; box-sizing: border-box; color: #1b1b1b; margin: 0px; padding: 0px; text-align: start; text-rendering: auto;" /><span style="background-color: white; color: #1b1b1b; text-align: start;">La rumeur enfle à Godwin Hall, précipitant Craig, Perry, Mira et Shelly au cœur d’un ténébreux mystère qui va transformer leurs vies pour toujours: se pourrait-il que, trop jeune pour mourir, Nicole soit revenue ?</span><br /><br />----------------------------------------------------------------------<br /><br />Ils sont rares, les livres qui hantent vraiment. On sort souvent le mot comme ça, pour faire plaisir, exprimer un ressenti un peu fuyant, parler d'une vague réminiscence, d'une légère empreinte mentale que le récit a pu produire. Mais la hantise, la vraie, la profonde fracture qu'un roman peut provoquer en quelques dizaines de pages seulement, elle est rare, et lorsqu'elle se produit, on ne peut vraiment pas la rater. <i>Les Revenants </i>m'en a provoqué, et pas qu'une seule.</span><div><span style="font-family: georgia;"><br /></span></div><div><span style="font-family: georgia;">Ecrire un roman sur un deuil peut être perçu comme une démarche sacrément éculée, déjà épuisée par de brillants auteur.ice.s, contemporains ou non (je pense notamment à Joan Didion et son inoubliable <i>Année de la pensée magique</i>, mais aussi le tout récent <i>Avant que je n'oublie </i>d'Anne Pauly, ou encore, et promis après j'arrête, <i>Le Livre de ma mère </i>d'Albert Cohen), mais Laura Kasischke a ici une idée bien particulière en tête. Il s'agit en effet de décrire les conséquences du décès tragique d'une jeune étudiante dans une université de la côte Est américaine, mais pas seulement. Au-delà du deuil de ses amis, de ses connaissances, et des angoisses que sa disparition déclenche, c'est la réalité même de la mort qui s'invite dans l'existence de son entourage, proche ou non, et va projeter 500 pages durant ses questionnements, sa puissance et sa rudesse dans leur quotidien. Permanence, rémanence, absence de sens, résilience, autant de totems, de peurs, d'objets de révérence, autour desquels les protagonistes de ce roman vont tourner, quitte à se découvrir, se perdre ou s'abîmer. Entre une professeure d'anthropologie spécialiste de rites funéraires, un jeune homme ravagé de culpabilité, un autre très paumé, et une femme isolée, à la marge, que cet événement concerne bien plus directement qu'il n'y paraît, on voit se construire sous nos yeux tout un spectre de sensibilités plus ou moins mises à vif par la disparition de Nicole, par lequel on n'aura de cesse d'être captivé, horrifié, ému parfois.<br /><br />L'autrice fait preuve d'une intelligence analytique proprement remarquable, avec des portraits psychologiques d'une précision telle qu'ils en deviennent presque douloureux. Rien n'échappe à son regard sur ses personnages, ni leur orgueil, ni leur côté un peu présomptueux dans le cas des jeunes adultes, ni leur hypocrisie. Capable de nous les présenter comme les plus purs des protagonistes, elle ne prend que davantage de plaisir à ébrécher leur parfait petit portrait de héros respectable, sans qu'on n'en vienne jamais non plus à les mépriser. Au contraire : plus on les découvre compromis, plus leur affliction immaculée s'avère teintée de gris, et plus on se prend d'intérêt pour leurs atermoiements, plus on se prend de passion pour les apparences formidablement trompeuses du roman, plus on attend, quelque part, de voir par quels mensonges, par quels arrangements ces personnages parviendront (ou non) à s'en sortir. </span></div><div><span style="font-family: georgia;"><br /></span></div><div><span style="font-family: georgia;">La structure des <i>Revenants</i> est assez époustouflante : roman long, dense, on en voit à peine défiler les pages tant chaque chapitre arrive à point nommé et s'ancre parfaitement dans la dynamique globale du récit. Les allers-retours dans la chronologie du roman, aussi complexe soit-elle, sont toujours faciles à suivre sans jamais pour autant être appuyés par de trop évidentes contextualisations, et Laura Kasischke a l'intelligence de doser avec sagacité et parcimonie les différentes révélations dont son récit est émaillé. Plus que happé, le lecteur est aussi, au fond, un peu berné : tout d'abord persuadé que l'on vient d'entamer une sorte de drame ou de roman contemporain classique, on se trouve très vite incapable de définir le genre de l'ouvrage dans lequel on a plongé le nez, tour à tour héritier du fantastique, du thriller ou de la sociologie, avec des accents de roman noir, paranormal et pur roman psychologique, le roman emprunte le meilleur de tous les genres, et se révèle d'une complexité et d'une richesse bien trop importantes pour ne se satisfaire que d'un seul d'entre eux. Le récit joue avec son lecteur, le rassure dans ses convictions pour mieux l'écrabouiller au retournement suivant, et parvient à mener de front son intrigue, son émotion, son propos social et global et sa portée littéraire. Parce qu'il est rare, vraiment, de découvrir un livre qui parvienne à ce point à concilier le fond et la forme, une profonde exigence dans son traitement de son sujet, une vraie ambition artistique et sociale, et dans le même temps un respect du lecteur, de son moment de lecture, de son envie d'être agrippé, diverti par le récit. On est aussi captivé que choqué, mobilisé qu'accompagné, et le roman devient expérience plus que simple histoire à laquelle on se trouve être exposé. </span></div><div><span style="font-family: georgia;"><br /></span></div><div><span style="font-family: georgia;">J'achèverai enfin ce retour (enthousiaste) en saluant la façon avec laquelle l'autrice raconte l'université, ses dysfonctionnements, sa (non) communication, le culte des apparences qui peut y sévir tant du côté des étudiants que de l'administration ou de l'équipe pédagogique, la violence avec laquelle elle institutionnalise certaines normes, l'émancipation formidable dont elle peut aussi être le théâtre, la complexité des liens sociaux qui s'y nouent, bref, le creuset des passions et des ambitions (et des déceptions parfois) qu'elle devient souvent. Sans être cynique, le propos est très réaliste, assez terrible à vrai dire, avec ces personnages obsédés par leur réputation, leur image, leur condition, mais sans non plus occulter des considérations morales et éthiques qui continuent de les tourmenter. Le livre, là-dessus, servi par sa plume radicale, sa lucidité fabuleuse et son absence de toute forme de niaiserie ou de bavardage, parvient à créer un cadre de réflexion plus que marquant. </span></div><div><span style="font-family: georgia;"><br /></span></div><div><span style="font-family: georgia;">Il n'y a donc pas à hésiter un instant : jetez-vous sur ce récit ambigu, qui créera en vous un malaise assez unique, son intrigue allergique aux poncifs, capable de briser toutes vos attentes, certes conclue par un dénouement moins subversif et plus classique que ce que le reste de l'ouvrage pourrait suggérer, mais malgré tout satisfaisante, et surtout, au fond, bien moins importante que l'expérience, troublante et presque belle, que l'on vit tout au long du chemin narratif qui y mène. <i>The journey, the destination</i>, tout ça. (Avant de vous laisser, attention toutefois, on est ici face à un roman dur. Veillez peut-être à ne pas le lire en plein épisode dépressif, m'est avis que ça ne serait pas franchement une très bonne idée. Mais bon, après, vous faites ce que vous voulez, vous vous connaissez mieux que moi)</span><br /><p></p></div>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-61813738197513196282021-05-01T18:33:00.001+02:002021-05-01T18:33:37.636+02:00La Dormeuse de Catherine Rolland - Chronique n°557<p style="text-align: justify;"></p><div class="separator" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em; text-align: center;"><img border="0" data-original-height="1149" data-original-width="736" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgrqCbl4Eqa7ZrND-zgnLqCQjVJcQ80eWHTY-887dFCchW2neKCerxtcEYu8xjbUE2GvFToljAg5iEtyVIUBA5nSf9cu8dqa6n5QrTkMCW5V0pYrhIipDVSDNZIo4_ckTCEsdfDAcdSdBo/w128-h200/la+dormeuse.jpg" width="128" /></div> <span style="font-family: georgia;">Titre : La Dormeuse<br />Autrice : Catherine Rolland<br />Genre : Fantastique<br />Editions : Okama<br />Nombre de pages : 492Date de parution : 2021<br />Résumé : <span style="color: #1b1b1b;"><span style="background-color: white; text-align: start;">Une écrivaine aveugle engage une auxiliaire de vie pour écrire son dernier roman. Une jeune fille, revenue d'entre les morts, retourne à Pompéi pour chercher les clefs de son passé. Un savant et son neveu, un riche commerçant amoureux d'un esclave, une petite fille enjouée et son inséparable chiot mènent une existence paisible et routinière en baie de Naples, au pied d'une montagne nommée Vesuvio. Trois époques différentes. Des destins qui s'entremêlent. Une aventure sans précédent. P</span><span style="background-color: white; text-align: start;">arviendront-ils à empêcher une tragédie qui a déjà eu lieu?</span></span><br /><br />-------------------------------------------------------------<br /><br />Lorsque Sofia est engagée comme auxiliaire de vie de son écrivaine préférée, on la prévient certes que la vieille dame est dotée de ce qu'on peut appeler un sacré caractère, mais cela ne l'empêche pas de tomber des nues lorsqu'elle découvre combien Marie Montero est véritablement quelqu'un d'assez acariâtre, si ce n'est profondément aigri. Qu'à cela ne tienne, Sofia tient au job, alors elle s'applique, fait de son mieux, et finit par atteindre une forme de relation à peu près fonctionnelle avec la romancière, au point que celle-ci, rendue aveugle par l'âge, fait de Sofia sa scribe attitrée. Marie a en effet un ultime roman à raconter, une fiction, 100% fiction, comme elle tient à le rappeler à une Sofia qui note souvent les similitudes troublantes que le parcours de l'héroïne de cette nouvelle histoire présentent avec l'historique de vie de Marie. Séance d'écriture après séance d'écriture, tandis que Marie s'accroche à son histoire de fiction et que Sofia copie le tout avec diligence, des pans de vérité s'alignent, des questions troublantes se posent, et la tête de l'auxiliaire de vie s'emplit de tout un tas d'hypothèses plus ou moins mystiques, toutes plus ou moins liées à l'histoire de l'éruption du mont Vésuve à Pompéi, en août 79...<br /><br /><i>La Dormeuse </i>est un roman prometteur dans sa structure, son ambition narrative, ses thématiques, et il faut lui reconnaître un vrai travail de recherche et une solide connaissance des enjeux, notamment historique, que son intrigue lui fait aborder. La reconstitution du Pompéi de 79 est franchement convaincante, le concept même autour duquel s'articule le récit plutôt plaisant, et l'autrice parvient à mener le tout de façon cohérente sur 500 pages. Le problème, c'est que le tout manque quelque peu de distinctivité, d'audace, que ce soit sur le fond ou la forme : la plume en elle-même reste très descriptive, ne s'autorise pas vraiment de petites tentatives de style, sert son intrigue plus qu'elle ne l'incarne et la sublime, et si elle est tout à fait fluide, elle ne va pas non plus marquer le lecteur ou l'emporter dans une émotion particulière. La structure en elle-même est quelque peu déséquilibrée : on passe beaucoup, beaucoup de temps dans les premières dizaines de pages avec Sofia et Marie, dans une narration pas franchement très folichonne où l'on aligne un peu les poncifs dans l'attente de la vraie intrigue, puis le déclenchement des allers-retours entre passé et présent, avec des séquences dans le passé bien plus intéressantes que la narration présente, au point qu'on a pratiquement envie de sauter les pages consacrées au point de vue de Sofia. L'intrigue située à Pompéi est en effet clairement la force de l'histoire, et suscite un véritable intérêt des centaines de pages durant, jusqu'à ce que son dénouement assez prévisible se fasse deviner, après quoi on assiste à un final efficace mais pas si original, à l'exécution un peu déséquilibrée, et qui laisse un arrière-goût quelque peu bancal, tant ce dénouement semble avoir été précipité, d'autant plus quand on le compare à l'introduction particulièrement lente.<br /><br />Il s'agit donc d'un roman semé de bonnes intuitions, qui témoigne d'une vraie méticulosité et d'une construction plutôt entraînante, qu'on lit avec facilité une fois le premier tiers dépassé, mais qui reste assez classique dans sa facture comme dans son exécution, et qu'on aurait aimé voir prendre davantage de risque tant au niveau de son écriture que de son intrigue et surtout de ses personnages, dont les histoires d'amour n'ont rien de réellement distinctif, et encore moins d'attachant, et semblent relever d'outils de narration plus que de relations réellement incarnées. Dommage... </span><p></p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-23302791232073772432021-04-07T10:06:00.007+02:002021-04-07T10:06:34.651+02:00Roses à crédit d'Elsa Triolet - Chronique n°556<p style="text-align: justify;"></p> <span style="font-family: georgia;">Titre : Roses à crédit<br />Autrice : Elsa Triolet<br />Editions : Gallimard | Folio<br />Date de parution : 1959<br />Lu en : français<br />Nombre de pages : 313<br />Résumé :<span style="background-color: white;"> <span id="freeText17883718061070206858" style="text-align: left;"><div class="separator" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em; text-align: center;"><img border="0" data-original-height="512" data-original-width="311" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEixWWUH9VIxuOVBz7MQwvWaLAxFncY4SXV7SGXPXlUJr8yJn58OSzx0jYXFWq5SimTAks8Bu_VgqndrkvONTpJIryWNkaRX3kAw5Is2cCoCSlHJvYC3j_uuuIAlmuwX3KYxfKEiPh0q4_8/w121-h200/roses+%25C3%25A0+cr%25C3%25A9dit.jpg" width="121" /></div>La nature a beaucoup donné à Martine, les hommes peu.<br />Elle est belle, elle a le rare don d'aimer. Mais à notre âge de nylon, elle est venue au monde dans des conditions de l'âge de pierre. Aussi le confort moderne, le cosy-corner, seront-ils son premier idéal, et le métier de manucure parmi les miroirs et les parfums d'un salon de coiffure suffit à ses rêves de beauté. Elle est en cela semblable à des millions d'êtres. Daniel Donelle, l'amour de Martine, est déjà au-delà de cet idéal électroménager. Rosiériste, touché par l'aile de la science, il rêve à un rose nouvelle qui aurait la forme de la rose moderne, et le parfum inégalable de la rose ancienne. Un jour, Daniel créera la rose parfumée Martine Donelle, mais elle ne sera plus un hommage qu'à la souffrance.</span><span style="text-align: left;"> </span></span><br /><br />-----------------------------------------------------------------<br /><br />L'idée d'un roman de la société de consommation pourrait paraître un rien éculée, si ce n'est carrément cliché. Il en va de même avec un personnage féminin prisonnier de son foyer, des apparences : vu, vu et revu me dira-t-on, et on n'aurait pas tort en soi, si ce n'est qu'on parle ici de <i>Roses à crédit</i>, un roman aux thématiques certes devenues bien plus fréquemment analysées par la suite, mais dont le propos était encore formidablement précurseur à l'époque, dont l'ironie et le cynisme constant en font un texte toujours aussi captivant, et dont l'apparente simplicité cache un récit toujours aussi vif et piquant de nos jours.<br /><br /><i>Roses à crédit </i>suit le fil de l'existence de Martine, petite fille puis jeune femme élevée dans une certaine précarité, petit à petit introduite (mais de loin) à un monde de confort et d'immédiateté qui, bien au-delà d'une simple convoitise, lui inspire une espèce de révérence quasi-religieuse. Très vite, au fur et à mesure de sa longue éducation mercantile, Martine aiguise ses ambitions, et laisse même sa soif de possessions devenir la condition nécessaire à son épanouissement personnel. Tout, il lui faut tout, elle qui n'a rien eu et ne jouit encore que de si peu, des meubles, parfums, vêtements, crèmes et vernis, tout, elle aura tout, puisque ça lui est permis, entre crédits à la consommation, emprunts plus ou moins formalisés, promotions et paiements fractionnés, alors elle ne se prive de rien, tout est trop beau pour elle mais elle s'en moque bien puisqu'on le lui vend quand même : twin-set, mobilier, cocotte-minute et machine à laver, pourquoi pas robot ménager tant qu'on y est, la vie devient combinaison magique faite de rouages mécaniques et de bibelots qui s'imbriquent, et Martine, au milieu de cet amoncellement de choses qui ne lui appartiennent qu'en théorie, elle devient franchement extatique.<br /><br />C'est sans compter sur la petite rengaine de la dette, chanson sournoise au refrain crescendo qu'on ne reconnaît que trop tard. Très vite, Martine sombre, écope comme elle peut mais finit toujours par replonger à coups de petites avances et autres combines improvisées. Elsa Triolet donne à son héroïne un regard agressif, plastique, ultrasensoriel, une espèce de sensibilité ultime à la couleur, à la forme, à la valeur de ce qui l'entoure, et le texte devient à cet égard assez hypnotique, pour ne pas dire carrément vertigineux.</span><p></p><p style="text-align: justify;"><b><i><span style="font-family: times;">"Sur le papier glacé, lisse, net, les images, les femmes, les détails étaient sans défauts. Or, dans la vie réelle, Martine voyait surtout les défauts... Dans cette forêt, par exemple, elle voyait les feuilles trouées par la vermine, les champignons gluants, véreux, elle voyait les tas de terre du passage des taupes, le flan mort d'un arbre déjà attaqué par le pivert... Elle voyait tout ce qui était malade, mort, pourri. La nature était sans vernis, elle n'était pas sur papier glacé, et Martine le lui reprochait."</span></i></b></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">L'histoire reste marquée par une certaine simplicité, un côté "tragédie des temps modernes" à l'issue facile à deviner et à la dégringolade plutôt classique, mais qui garde à chaque instant quelque chose d'hypnotique, de magnétique, tant on est effaré par les errements de Martine, en même temps troublé par l'envie malsaine qu'on a de la voir aller au bout de son obsession, et enfin presque irrité par les réflexions de son mari Daniel, homme pragmatique, raisonnable et rigoureux qui se désole de la voir se corrompre ainsi, et voudrait la voir renoncer à tous ses colifichets. On sait bien qu'il a raison, bien sûr, mais voilà, l'autrice parvient à remuer nos propres pulsions mercantiles, et on a bien du mal à lutter contre cet appétit capitaliste qui nous donne envie malgré nous de voir comment Martine s'apprête à être terrassée par sa fièvre acheteuse.</span></p><p style="text-align: justify;"><i><b><span style="font-family: times;">"Que pouvait-il contre l'idéal électro-ménager de Martine ? C'était une sauvage devant les babioles brillantes. Elle adorait le confort moderne comme une païenne, et on lui avait donné le crédit, anneau magique des contes de fées que l'on frotte pour faire apparaître le démon à votre service. Oui, mais le démon qui aurait dû servir Martine l'avait asservie. Crédit malin, enchantement des facilités qui comble les désirs, crédit tout puissant, petite semaine magicienne, providence et esclavage. Daniel se sentait battu, bêtement battu par des objets. Sa Martine-perdue-dans-les-bois convoitait follement un cosy-corner."</span></b></i></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">Si l'intrigue est parfois un peu simple, sa prose en elle-même est franchement convaincante, assez simple mais d'une efficacité fulgurante, avec un mélange très troublant de douceur et de cruauté, des piques d'autant plus brutales que maquillées en narration fleurie. Le récit arrive toujours assez bien à jongler entre cynisme et naïveté affectée, pour un résultat vraiment marquant, à mi-chemin entre l'instantané d'une époque révolue, le documentaire acide et aiguisé, la romance légère et le conte de fées déréglé. On y frissonne, on s'y étourdit, on y vit agacement, tendresse et amertume, et on en sort comme plongé dans une espèce de gueule de bois post-shopping, avec un vague sentiment de honte un peu satisfaite et franchement pas reluisante, et une certaine envie de se plonger dans la méthode de Marie Kondo et autres théories minimalistes. C'est franchement réussi, et ça mérite votre attention à n'en pas douter.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="color: #1b1b1b; font-family: georgia;"><span style="background-color: white; text-align: start;"></span></span></p><blockquote><span style="color: #1b1b1b; font-family: georgia;"><br /></span></blockquote><p></p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-51476172821209920362021-03-27T18:37:00.005+01:002021-03-27T18:46:23.966+01:00Le féminisme ou la mort de Françoise d'Eaubonne - Chronique n°555<div class="separator"></div><p style="text-align: justify;"> <span style="font-family: georgia;">Titre : Le féminisme ou la mort<br />Autrice : Françoise d'Eaubonne<br />Genre : Essai<br />Editions : Le passager clandestin<br />Lu en : français<br />Date originale de publication : 1974</span></p><span style="font-family: georgia;">Date de publication de l'édition actuelle : 2020<br />Nombre de pages : 319<br /></span><div style="-webkit-font-smoothing: antialiased; border: none; box-sizing: inherit; line-height: 1.476; margin-bottom: 1.25em; margin-left: 0px !important; margin-right: auto; margin-top: 0px !important; max-width: 100vw; overflow-wrap: break-word; padding: 0px; width: 730.75px; word-break: break-word;"><span style="background-color: white; font-family: georgia;">Résumé : <span style="text-align: left;"><div class="separator" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em; text-align: center;"><img border="0" data-original-height="500" data-original-width="347" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgxNNAqalSjveeXx94wadE1qk5PBZqwmQlpwT68dcb9_J6zqYphMO_2-BIt82dhRGJx74OzgOrH4JxOOg7VIl1QvzixIo6SN0Q4kYt2IwKD9Af6raDslQY5oE9tjJ90Wa8NKfzA6QWh1jc/w139-h200/le+f%25C3%25A9minisme+ou+la+mort.jpg" width="139" /></div>En faisant du capitalisme patriarcal le dénominateur commun de l’oppression des femmes et de l’exploitation de la planète, Françoise d’Eaubonne offre de nouvelles perspectives au mouvement féministe et à la lutte écologiste. Pour empêcher l’assassinat généralisé du vivant, il n’y a aucune alternative sinon l’écoféminisme.<br /></span>C’est le féminisme ou la mort.<br />Longtemps inaccessible, ce texte devenu référence est introduit par deux chercheuses et militantes. À l’aune de leurs engagements et d’une lecture croisée de ce manifeste visionnaire, Myriam Bahaffou et Julie Gorecki soulignent les ambiguïtés de ce courant en pleine résurgence et nous proposent des pistes pour bâtir un écoféminisme résolument radical, intersectionnel et décolonial.</span></div><p></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;"><br />-------------------------------------------------------------</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;"><i>Le féminisme ou la mort</i> fait partie de ces textes qu'en tant que personne très sensible aux luttes féministes (juste un peu) ayant de nombreuses connaissances très sensibles aux luttes féministes, j'ai entendu citer environ un quintillion de fois, généralement assorti d'un commentaire du style "c'est vraiment une référence, faut que je le lise". De mon côté, grâce à la réédition toute récente de ce texte effectivement pionnier mais finalement assez méconnu, paru en 1974, c'est désormais chose faite. Ma lecture fut à la fois très plaisante et très frustrante : si l'intérêt du texte est évident d'un point de vue historique, certains de ses passages ont franchement mal vieilli, quand d'autres sont au contraire d'une pertinence rare. Il s'agit donc de prendre le texte pour ce qu'il est, d'en apprécier certains éclairs de génie assez bluffants, pour ensuite (pourquoi pas) se tourner vers des ouvrages écoféministes plus récents qui ont su poursuivre la réflexion plus que précurseure de D'Eaubonne. <br /><br />On peut fractionner l'essai en trois parties, grosso modo. La première est de façon assez amusante à la fois la plus lucide et la moins surprenante des trois, étant donné qu'elle consiste en une synthèse acide, martelée et particulièrement bien ficelée des raisons pour lesquelles le féminisme existe et est nécessaire, avec un état des lieux de la condition féminine dans les années 70 dont on constate avec une certaine amertume qu'il peut encore, à (très) peu de chose près, parfaitement décrire la situation actuelle. Pour qui est déjà un peu renseigné sur le sujet, il y a donc assez peu de nouveauté, mais cela pourrait par exemple constituer une introduction très efficace pour un public plus novice.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">La deuxième partie est, quant à elle, la plus critiquable</span><span style="font-family: georgia;"> et sans doute la plus instructive, de façon inattendue. Françoise d'Eaubonne y dresse une sorte de panorama </span><span style="font-family: georgia;">de l'ensemble des victoires, obstacles et objectifs du féminisme des années 70, avec des focus successifs sur l'ensemble des régions du monde, mais aussi des comparaisons entre régimes capitalistes et communistes (eh oui, en 74, l'URSS était loin de la fin de parcours), et c'est sans doute là qu'on se confronte à ce que lui reprochent le plus les deux autrices contemporaines qui préfacent le texte, à savoir une difficulté à intégrer et représenter d'autres points de vue et d'autres vécus que le sien, et une perspective qui reste malgré tout très occidentalo-centrée (avec en plus de ça certaines prises de position sur divers sujets, notamment une posture abolitionniste assez péremptoire vis-à-vis du travail du sexe, qui posent parfois question). La pensée féministe a beaucoup, beaucoup évolué depuis l'époque d'Eaubonne, et ça se sent. Il ne s'agit donc aucunement de faire un procès d'intention à l'autrice, mais simplement de constater que certains éléments de son propos ont vieilli. Comme elle l'analyse elle-même, le féminisme ne peut se limiter à une seule perspective, mais en bonne représentante d'un courant universaliste encore très très majoritaire à l'époque (pour les néophytes : on oppose en général le féminisme universaliste, qui estime en gros - je schématise - qu'il existe une manière unique et universelle de lutter pour les droits des femmes et une seule définition du progrès féministe, aux féminisme intersectionnel, qui estime que le vécu et les besoins de chaque femme peuvent énormément différer en fonction d'autres paramètres - identité de genre, race, classe, orientation sexuelle, etc. -, et que la lutte et les discours féministes doivent donc être adaptés à chacune), d'Eaubonne peine à intégrer davantage de diversité à son propos.</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">La troisième partie, enfin, est celle qui fait véritablement le sel du récit, celle qui lui donne toute sa pertinence, à la fois d'un point de vue historique, puisqu'elle est le fondement de la pensée écoféministe, à une époque où personne ne défendait encore pareil point de vue. L'approche de Françoise d'Eaubonne est particulièrement plaisante et pertinente en ce qu'elle est véritablement globale, et ne verse ni dans le simple réformisme ("il faut donner plus de droits aux femmes et tout ira mieux"), ni dans la tendance un peu spiritualisante qu'on peut observer à l'heure actuelle (le féminin sacré, Gaïa, la mère nature, les femmes un peu essentialisées comme proches de la nature, tout ça). L'argument de Françoise d'Eaubonne est limpide : l'exploitation effrénée, destructrice et en un mot injuste de l'environnement est une conséquence du patriarcat (elle utilise plutôt le terme "phallocratie", mais soit, on s'entend Françoise), les femmes et les minorités sociales en sont les premières victimes, et de simples mesures palliatives ne permettront certainement pas d'y remédier. Au-delà de la "révolution", il s'agit de lancer une profonde "mutation" de notre façon d'envisager l'économie, le travail, les relations humaines et sociales, sans quoi le genre humain court tout droit vers la destruction, les plus fragiles en premier évidemment. A ce titre, le propos de l'autrice était inédit à l'époque, et reste encore aujourd'hui plus que pertinent, à l'heure où l'on voit se multiplier les manifestes écoféministes et où il n'a jamais été aussi urgent de penser la justice sociale et climatique. Il ne s'agit pas de dire "les femmes savent mieux faire" ou "il suffirait de mettre des femmes à la tête des Etats pour que ça s'arrange", mais de poser les bases d'une réflexion holistique, ambitieuse et politique capable de repenser l'iiiintégralité de notre fonctionnement actuel avant qu'il n'ait eu tout à fait raison des ressources dont on a besoin pour survivre.</span><br /><br /><i style="font-family: georgia;">Le féminisme ou la mort</i><span style="font-family: georgia;"> est donc, sans aucun doute, un texte très riche qui mérite amplement d'être découvert, même (et surtout ?) dans ses aspects un peu dépassés. C'est un texte assez remarquable dans sa capacité à poser les bonnes questions, ne pas s'excuser d'énoncer ses constats et ses conclusions avec clarté, véhémence et ambition, et surtout à titiller la curiosité d'un ou d'une lectrice qui aura du mal à ne pas avoir envie de poursuivre la réflexion une fois le dernier chapitre achevé. A découvrir !</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;"><br /></span></p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-21070413529072251452021-03-05T09:00:00.000+01:002021-03-05T09:00:13.530+01:00Laissez-nous la nuit de Pauline Claviere - Chronique n°554<p style="text-align: justify;"> <span style="font-family: georgia;">Titre : Laissez-nous la nuit<br />Autrice : Pauline Claviere<br />Genre : Contemporain<br />Editions : Grasset<br />Date de parution : 2020<br />Nombre de pages : 587<br />Lu en : français</span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: georgia;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhVIyHJTK0t5YEx9P1wRH8O7MEX0YV9b4ypT603MhTF0pIzXNEYDtDCLt53eaqzY5wsVO5vtcpxEemaFjfWHvxx_ooN6s69-sxvGUgLK5mUqbab80tRutZO53SzpBfIDJfKzPhYJdqXfDQ/s882/laissez-nous+la+nuit.jpeg" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="882" data-original-width="600" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhVIyHJTK0t5YEx9P1wRH8O7MEX0YV9b4ypT603MhTF0pIzXNEYDtDCLt53eaqzY5wsVO5vtcpxEemaFjfWHvxx_ooN6s69-sxvGUgLK5mUqbab80tRutZO53SzpBfIDJfKzPhYJdqXfDQ/w136-h200/laissez-nous+la+nuit.jpeg" width="136" /></a></span></div><span style="font-family: georgia;"><div style="text-align: justify;">Résumé : <span style="background-color: white; color: #1b1b1b;">Pour Max Nedelec, la cinquantaine, patron d'une imprimerie en difficulté, tout bascule un matin d'avril , quand des policiers viennent sonner à sa porte. C'est le printemps, une douce lumière embrasse son jardin. Un bordereau perdu, des dettes non honorées, beaucoup de malchance et un peu de triche. La justice frappe, impitoyable. Max Nedelec quitte le tribunal et ne rentrera pas chez lui.</span></div><span style="background-color: white; color: #1b1b1b;"><div style="text-align: justify;">Vingt-quatre mois de prison ferme : il s'enfonce dans la nuit. Là-bas, le bruit des grilles qui s'ouvrent et se ferment marquent les heures ; là-bas, on vit à deux dans 9 mètres carrés ; là-bas, les hommes changent de nom et se déforment. Bienvenue aux âmes perdues et retrouvées.</div></span></span><span style="font-family: georgia;"><br />-----------------------------------------------------------------<br /><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">C'est toujours chouette de lire un premier roman, surtout un gros pavé comme ça, on a de quoi faire de vraies découvertes, se confronter à des plumes, des voix, des thématiques nouvelles.</div><div style="text-align: justify;">C'est toujours chouette aussi, parce que c'est là qu'on est le plus pris au dépourvu parfois, qu'on se laisse surprendre, qu'on voit ses attentes vraiment détournées.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><i style="font-style: italic;">Laissez-nous la nuit </i>a été, à ce titre, une jolie découverte, surtout étant donné qu'il s'agit du premier roman d'une journaliste. Attention, je vais partir dans de (très) larges généralisations, mais de la part des journalistes écrivains, on a souvent droit à des romans très lissés, avec une façon d'écrire parfois très fonctionnelle, des personnages réduits à des types et des thématiques très conventionnelles. Rien de tout ça ici : Pauline Claviere s'indigne, s'émeut, s'énerve, et emporte ses lecteurs avec elle dans un long texte bouillonnant où la thématique de l'incarcération a été étudiée avec soin et exigence, où l'intrigue possède de nombreuses et riches ramifications, et les personnages sont décrits avec minutie et une certaine intelligence sociologique.</div></span><div style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;"><br /></span></div><div><div style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">Le roman avait donc tout pour me plaire, mais voilà, il s'agit là d'un texte qui a les défauts de ses qualités (je sais, c'est terriblement galvaudé comme formule, promis, c'est à peu près justifié, enfin, je crois). En gros, à force de trop vouloir tout dire d'un coup, de vouloir marquer l'esprit du lecteur, et peut-être l'époque aussi, le roman erre, se répète, en fait trop, perd en intensité et en puissance à force de multiplier les descriptions, analyses, ressassements et autres boucles mentales psychologisantes. Certains passages, parfois séparés de quelques pages ou quelques chapitres seulement, se ressemblent de façon confondante, certains constats du début du roman sont les miroirs des conclusions auxquelles l'histoire aboutit, et force est d'admettre qu'on a souvent le sentiment de traîner, voire de piétiner, dans une intrigue dont les enjeux sont clairement posés dès ses tous premiers instants, et qu'on ne verra guère évoluer dans son développement. Le propos de Pauline Clavière est fort, juste, mais malheureusement affaibli dans son exécution par la façon dont elle le ressasse et peine à le renouveler. Le texte n'est pas non plus aidé par sa longueur, près de 600 pages, avec un rythme qui pèche : le début, in medias res, est marquant, brutal même, mais il perd vite de sa poigne et de sa pertinence au fur et à mesure qu'il retombe vers quelque chose de plus lourd. La première moitié du récit est notamment vraiment longue, avec des personnages-concept qui existent davantage par les longues descriptions que l'autrice en fait plutôt que par leur chair, leur esprit, leurs idées, le tout n'étant pas aidé par une action qui ne démarre jamais franchement.</span></div><span style="font-family: georgia;"><div style="text-align: justify;">Le roman souffre enfin d'une difficulté au niveau de son point de vue : on est censé partir du personnage central de Nedelec comme repère, appui et protagoniste, mais l'autrice le campe dans un rôle d'observateur, de témoin très passif et finalement assez inaccessible qui le rend très distant pour le lecteur.</div></span></div><div style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;"><br /></span></div><div><div style="text-align: justify;"><i style="font-family: georgia;">Laissez-nous la nuit </i><span style="font-family: georgia;">est donc un texte ambitieux dans son propos, porteur d'une vraie qualité, d'un travail, d'un engagement, mais qui reste malheureusement bien trop dans l'analyse, le concept et la théorie, sans jamais vraiment s'engager sur le terrain de l'émotion. La détresse, la colère et la combativité des personnages restent très abstraites, impalpables, et il nous est difficile d'oublier en tant que lecteur qu'on est face à des pages de papier, et rarement, hélas, se laisse-t-on porter par ce récit ambitieux mais trop désincarné. Une jolie tentative, et une autrice douée qui a certainement de belles choses à offrir, mais un premier roman encore perfectible.</span></div><div><span style="font-family: georgia;"><br /></span><p style="text-align: justify;"><br /></p><p></p></div></div>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-55850670699233531062021-03-03T09:59:00.002+01:002021-03-03T09:59:12.845+01:00Le Vallon des Lucioles d'Isla Morley - Chronique n°553<p style="text-align: justify;"> <span style="font-family: georgia;">Titre : Le Vallon des Lucioles<br />Autrice : Isla Morley<br />Genre : Historique<br />Editions : Seuil<br />Traduit par : Emmanuelle Aroson<br />Lu en : français<br />Nombre de pages : 480</span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: georgia;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhn2GtsxkdZc82vF-viJTAhxwyNadgAq9l7Z8PBzaLj74dg1AygMiv9OcUQ3S66my9w2fOVfsNtdPJtffRI9lFOCahB7Ng3JA08Uh_v9Vv_z_720f4riWI8vqzLu39D0XOxrac2KOVdp1A/s499/le+vallon.jpg" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="499" data-original-width="330" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhn2GtsxkdZc82vF-viJTAhxwyNadgAq9l7Z8PBzaLj74dg1AygMiv9OcUQ3S66my9w2fOVfsNtdPJtffRI9lFOCahB7Ng3JA08Uh_v9Vv_z_720f4riWI8vqzLu39D0XOxrac2KOVdp1A/w133-h200/le+vallon.jpg" width="133" /></a></span></div><span style="font-family: georgia;">Résumé : <span style="background-color: white; color: #1b1b1b; text-align: start;">1937, Kentucky. Clay Havens et Ulys Massey, deux jeunes photographe et journaliste, sont envoyés dans le cadre du New Deal réaliser un reportage sur un coin reculé des Appalaches.</span><br style="-webkit-font-smoothing: antialiased; -webkit-tap-highlight-color: rgba(0, 0, 0, 0); background-color: white; box-sizing: border-box; color: #1b1b1b; margin: 0px; padding: 0px; text-align: start; text-rendering: auto;" /><br style="-webkit-font-smoothing: antialiased; -webkit-tap-highlight-color: rgba(0, 0, 0, 0); background-color: white; box-sizing: border-box; color: #1b1b1b; margin: 0px; padding: 0px; text-align: start; text-rendering: auto;" /><span style="background-color: white; color: #1b1b1b; text-align: start;">Dès leur arrivée, les habitants du village les mettent en garde sur une étrange famille qui vit au cœur de la forêt. Il n’en faut pas plus pour qu’ils partent à leur rencontre, dans l'espoir de trouver un sujet passionnant. Ce qu’ils découvrent va transformer à jamais la vie de Clay et stupéfier le pays entier. À travers l'objectif de son appareil, se dévoile une jeune femme splendide, Jubilee Buford, dont la peau teintée d’un bleu prononcé le fascine et le bouleverse.</span><br /><br />----------------------------------------------------------------------</span><p></p><p style="text-align: justify;"></p><p class="MsoNormal" style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-size: 12.0pt; line-height: 107%;"><span style="font-family: georgia;">Clay et Ulys sont deux jeunes
journalistes malmenés dans leurs ambitions par un contexte économique loin de
leur être favorable : en gros, quand on est jeune et qu’on travaille dans
la presse des années 30 aux Etats-Unis, pour manger, mieux vaut mettre ses
convictions de côté. A vrai dire, s’ils arrivent encore à travailler, c’est
surtout grâce au prestige d’un prix Pulitzer passé, et leurs reportages sont
plus alimentaires qu’engagés. C’est donc dans un état d’esprit assez résigné
que les deux comparses se rendent à Chance, Kentucky, un obscur petit village serti
dans les Appalaches, dans l’espoir d’y trouver de la matière pour un reportage.
L’endroit s’avère clairement déstabilisant pour eux, si ce n’est hostile,
notamment en raison du comportement des habitants, qui semblent mis à vif par
la présence d’individus mystérieux vivant quelque part dans un coin encore plus
reculé, le Vallon des Lucioles. Il n’en faut pas plus pour que les deux journalistes
voient dans cette étrange rumeur l’objet d’un reportage : tous deux se
mettent alors en quête de ces intrigants inconnus, dans une quête qui les pousse
bien vite à reconsidérer leur définition de leur métier, si ce n’est de ce qu'ils entendent par le terme "humanité".</span></span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-size: 12.0pt; line-height: 107%;"><span style="font-family: georgia;">Eh ouais.<o:p></o:p></span></span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-size: 12.0pt; line-height: 107%;"><span style="font-family: georgia;">Rien que ça.</span></span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;"><i><span style="font-size: 12.0pt; line-height: 107%;">Le Vallon des Lucioles </span></i><span style="font-size: 12.0pt; line-height: 107%;">a pour lui une intrigue solide, bâtie
de façon très structurée, et dont les retournements suscitent immédiatement un
intérêt fort auprès du lecteur. On lui reconnaîtra également un côté très
entraînant, une fluidité, des personnages très efficaces qu’on se plaît vite à
suivre, mais voilà, le roman pêche sur d’autres plans, notamment son rythme, et
sa prose quelque peu décevante. La première moitié du récit est en effet d’une
lenteur qui lui permet certes de construire une véritable atmosphère, mais qui
va paralyser le rythme de l’intrigue au point de lasser quelque peu, avant une
deuxième moitié certes bien plus dense mais qui manque aussi d’équilibre, avec des
ellipses qui auraient pu être mieux introduites, un dénouement si rapide qu’il
en devient saccadé, et des thématiques très pertinentes qu’on aurait aimé voir
plus développées. Quelle frustration, après deux cents ou trois cents pages de longues
descriptions et d’effets d’annonce dont on devine assez bien les retombées, de
voir l’intrigue tant attendue se dérouler aussi vite et de façon aussi convenue !
Les enjeux posés dans la première partie sont certes développés, mais avec bien
moins d’ampleur qu’on l’aurait espéré, et je crois sincèrement que le roman
aurait gagné à repenser sa structure pour donner plus de respiration à ses péripéties
centrales.</span></span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-size: 12.0pt; line-height: 107%;"><span style="font-family: georgia;">L’autre élément de déception a sans conteste
été la traduction : on devine en filigrane un texte anglophone plutôt
riche, mais cela ne se retranscrit malheureusement pas dans la traduction, où
le vocabulaire choisi est plutôt pauvre, les dialogues très écrits, au point qu’ils
peinent à paraître naturels, et les constructions et autres images littéraires
plutôt galvaudées.</span></span></p>
<p class="MsoNormal" style="margin-bottom: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-size: 12.0pt; line-height: 107%;"><span style="font-family: georgia;">Qu’on ne s’y trompe pas, le tout se
lit avec une vraie aisance et constitue une bonne parenthèse d’immersion aux
personnages forts et à la narration fluide, mais il est assez décevant de
constater qu’une histoire au potentiel aussi fort se résume hélas à une sorte
de romance assez prévisible aux enjeux très vite désamorcés, et aux payoffs
assez faiblards au vu de ce que la première partie avait laissé augurer. On lit
<i>Le Vallon des Lucioles </i>sans déplaisir, mais on est en droit de se
demander ce qu’il nous en restera une fois le roman terminé. L’action est bien
là, mais elle arrive après un tel nombre de pages qu’il est presque « trop
tard » pour s’y impliquer émotionnellement, et on parcourt cette histoire
avec une sincère curiosité, mais sans réel impact affectif, d’autant plus qu’elle
n’est pas exempte de certains tropes narratifs un peu lassants.</span><o:p></o:p></span></p><span style="font-family: georgia;"></span><p></p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-30671750455793594342021-01-21T16:52:00.007+01:002021-01-21T17:04:50.466+01:00Einstein, le sexe et moi d'Olivier Liron - Chronique n°552<p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;"> Titre : Einstein, le sexe et moi<br />Auteur : Olivier Liron<br />Editions : Alma Editions<br />Genre : Contemporain<br />Date de parution : 2018<br />Nombre de pages : 189</span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: georgia;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgRq3rp5h0V6HSr-0SS2uUCwYncGlMH4s4bMroKJPQc3qHIKIfUB1oET9kEl10zV3xuAoXy7F8y4z9Fj9ePlRf4dRUKyQe-xQf-4JSIBSd86LItuyDKCF1akbWLxaWte0qx3kaJIVedgWc/s1082/einstein+le+sexe+et+moi.jpg" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="1082" data-original-width="800" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgRq3rp5h0V6HSr-0SS2uUCwYncGlMH4s4bMroKJPQc3qHIKIfUB1oET9kEl10zV3xuAoXy7F8y4z9Fj9ePlRf4dRUKyQe-xQf-4JSIBSd86LItuyDKCF1akbWLxaWte0qx3kaJIVedgWc/w148-h200/einstein+le+sexe+et+moi.jpg" width="148" /></a></span></div><span style="font-family: georgia;"><div style="text-align: justify;">Lu en : français</div><div style="text-align: justify;">Résumé : <span style="color: #1b1b1b;"><span style="background-color: white;">« Je suis autiste Asperger. Ce n’est pas une maladie, je vous rassure. C’est une différence. Je vais vous raconter une histoire. Cette histoire est la mienne. J’ai joué au jeu télévisé Questions pour un champion et cela a été très important pour moi. »</span></span></div><span style="color: #1b1b1b;"><div style="text-align: justify;"><span style="background-color: white;">Nous voici donc en 2012 sur le plateau de France 3 avec notre candidat préféré. Olivier Liron lui-même est fort occupé à gagner ; tout autant à nous expliquer ce qui lui est arrivé. En réunissant ici les ingrédients de la confession et ceux du thriller, il manifeste une nouvelle fois avec l’humour qui est sa marque de fabrique, sa très subtile connaissance des émotions humaines.</span></div></span><br />-------------------------------------------------------------<br /><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Il y a peu de choses aussi passionnantes que les intérêts très spécifiques des gens autour de nous, de leurs lubies, obsessions et autres passe-temps personnalisés, toutes ces occupations abstraites, étranges, voire inutiles pour certains, qui constituent la vocation d'autres personnes, et revêtent à leurs yeux un sens d'autant plus précieux qu'il leur est propre. Elles sont si belles, ces histoires, si fortes, si vivantes, elles nous rappellent à un sentiment de satisfaction tout particulier, et <i>Einstein, le sexe et moi </i>en brosse une illustration mémorable. </div><div style="font-style: italic; text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Ce roman est en effet peut-être l'un des témoignages les plus drôles et touchants de cette joie rare que l'on tire de l'accomplissement de nos objectifs les plus intimes, les plus bizarres et les plus précieux, cette béatitude qui se passe d'orgueil pour exister, ces challenges dont on triomphe avec extase peu importe qu'on ait droit à un public ou non. C'est l'histoire d'Olivier, jeune doctorant en lettres féru de botanique et de poésie, qui s'apprête à affronter le Super Champion en titre de l'émission <i>Questions pour un champion </i>après des mois, des mois et des mois de féroce entraînement lors de méticuleuses sessions de préparation. Il a carrément passé tout son été à réviser, avaler l'intégralité du Wikipédia français et seriner en boucle les noms latins des moindres plantes qu'il croisait. C'est une question de fierté, peut-être, de passion surtout, d'ambition certainement, une tentative de se trouver, de mieux s'aimer, d'être compris et respecté à la hauteur de ce qu'il incarne. </div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">C'est un peu une revanche, certes, le triomphe discret d'un jeune homme dont l'enfance et l'adolescence ont été marquées par le rejet et la marginalité, mais c'est plus doux que ça, bien plus réjouissant qu'une vengeance bête et basique, c'est une exultation, un profond accomplissement, l'odyssée d'une vie condensée en une heure d'émission enregistrée. On y trouve des anecdotes diverses et variées sur l'état de la science contemporaine, d'étourdissantes digressions pratico-techniques au sujet de la notice biographique de Julien Lepers, la transcription d'une finale de <i>Questions pour un</i> <i>Super Champion</i> datée d'il y a neuf ans déjà, de splendides instants de contemplation, des variations sur la vie sentimentale du narrateur, et autres pépites mémorables concernant Einstein, l'autisme Asperger, les filles dont on tombe amoureux comme un camion nous roulerait dessus et l'œuvre romanesque de Dostoïevski. Ca vole, ça virevolte même, ça rebondit et ça se répond, c'est rythmé par une plume qui n'est jamais aussi belle que lorsqu'elle parle de dépression, jamais aussi attendrissante que lorsqu'elle s'attarde sur des précisions archéologico-historiques, et jamais aussi hilarante que lorsqu'elle s'attache à décrire les moindres petits détails de cette fameuse émission de <i>Questions pour un Super Champion </i>qu'Olivier a vécue comme le point cardinal de sa jeune vingtaine. </div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">C'est beau, en fait, c'est beau parce que ça ne cherche pas à prouver quoi que ce soit, à justifier que oui, vraiment, une émission comme ça, diffusée à dix-huit heures sur France 3, ça peut changer une vie. C'est un texte qui se contente de montrer, avec une sincérité affolante de justesse, une plume vibrante de rythme, de trouvailles et de spontanéité, et un rythme fabuleux qui ne laisse guère le choix que de dévorer le roman d'une traite, que chacun est légitime à choisir sa propre rédemption, qu'il existe des victoires partout, et que n'importe qui peut devenir, par le truchement d'un jeu télé, d'un discours ou d'une escapade, le héros d'une soirée, et de sa propre vie au passage.</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">On se gorge avec délices de ce texte fourmillant d'arborescences, confessions et autres descriptions survoltées, on embrasse avec fascination la curiosité, la perplexité et l'enthousiasme de ce narrateur fantastique, qu'on ne considère pas un instant comme un weirdo, un geek ou un freak, mais comme un passionné dont les intérêts deviennent, le temps d'un roman (et qui sait, peut-être au-delà encore), un peu les nôtres par contagion, et à qui cette finale offre un magnifique exorcisme de la honte, de la colère et du ressentiment que lui ont légué des années de harcèlement, moqueries et brimades passées. Oui, c'est vraiment réjouissant de le voir transformer ce bagage-là, par la poésie, le jeu, la compétition et l'érudition en un formidable récit de reconquête de soi. </div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;"><span style="background-color: white; text-align: left; white-space: pre-wrap;">Un fabuleux, étourdissant et enivrant concentré de savoir, de poésie et d'érudition, un récit parcouru de pirouettes plus qu'hilarantes, de divagations spontanées et de très belles parenthèses contemplatives. On est bien, dans la tête d'Olivier Liron.</span></div></span><p></p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-56669398019960169202021-01-04T09:00:00.000+01:002021-01-04T09:00:04.528+01:00The Blazing World de Siri Hustvedt - Chronique n°551<p style="text-align: justify;"> <span style="font-family: georgia;">Titre : The Blazing World<br />Autrice : Siri Hustvedt<br />Genre : Contemporain<br />Date de parution :<br />Editions : <br />Lu en : anglais</span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: georgia;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhzMl4v0dFQprMKDg2-H8eNIBzMSMluFJa93c8OuR_uYE0mnbxSAxtcdM9vsbyS-ES5NrqeU4T2Pdubik18rxAxIS1e-8nknUkf_jOF7MPVfwu81WetQ7SVc0rvgZkkqXJ6-SfrH8__C4I/s1000/the+blazing+world.jpg" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="1000" data-original-width="647" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhzMl4v0dFQprMKDg2-H8eNIBzMSMluFJa93c8OuR_uYE0mnbxSAxtcdM9vsbyS-ES5NrqeU4T2Pdubik18rxAxIS1e-8nknUkf_jOF7MPVfwu81WetQ7SVc0rvgZkkqXJ6-SfrH8__C4I/w129-h200/the+blazing+world.jpg" width="129" /></a></span></div><div style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;"><span style="text-align: left;">Nombre de pages : 379<br /></span><span style="text-align: left;">Résumé : </span><span style="background-color: white; text-align: left;"><span style="color: #181818;">Hustvedt tells the provocative story of the artist Harriet Burden. After years of watching her work ignored or dismissed by critics, Burden conducts an experiment she calls Maskings: she presents her own art behind three male masks, concealing her female identity.</span></span></span></div><span style="font-family: georgia;"><span style="color: #181818;"><br style="background-color: white; text-align: left;" /><span style="background-color: white; text-align: left;">The three solo shows are successful, but when Burden finally steps forward triumphantly to reveal herself as the artist behind the exhibitions, there are critics who doubt her. The public scandal turns on the final exhibition, initially shown as the work of acclaimed artist Rune, who denies Burden’s role in its creation. What no one doubts, however, is that the two artists were intensely involved with each other. As Burden’s journals reveal, she and Rune found themselves locked in a charged and dangerous game that ended with the man’s bizarre death.</span></span></span><p></p><p></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">------------------------------------------------------------------------<br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">Existe également en français</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">Titre : Un monde flamboyant<br />Editions : Actes Sud | Babel</span></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><span style="font-family: georgia;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEifuRoYNTQW1VCqVyVehAQZuy4ICGBLajtuotbJJZy8-ZZNZwJ1GRvJ_5qvH6vtxXS-pTaKlSKlywik1BTiZolQH0ayDK5yNJxapYGDqOUd_WPcevTn0XYxUhyphenhyphensusFQRp3FZRPYeXY4d8w/s1675/un+monde+flamboyant.jpg" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="1675" data-original-width="1012" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEifuRoYNTQW1VCqVyVehAQZuy4ICGBLajtuotbJJZy8-ZZNZwJ1GRvJ_5qvH6vtxXS-pTaKlSKlywik1BTiZolQH0ayDK5yNJxapYGDqOUd_WPcevTn0XYxUhyphenhyphensusFQRp3FZRPYeXY4d8w/w121-h200/un+monde+flamboyant.jpg" width="121" /></a></span></div><span style="font-family: georgia;">Traduit par : Christine Le Boeuf<br />Résumé : </span><span style="background-color: white; text-align: left;"><span style="color: #1b1b1b; font-family: georgia;">Après sa disparition, une artiste plasticienne, Harriet Burden (dite "Harry"), méconnue de son vivant, fait l'objet d'une enquête menée par un professeur d'esthétique auprès de tous ceux qui, de près ou de loin, l'ont côtoyée de son vivant.</span></span><p></p><span style="background-color: white;"><div style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;"><span style="color: #1b1b1b;">Cet envoûtant thriller intellectuel qui a pour théâtre les milieux de l'art redistribue avec brio les thèmes chers à Siri Hustvedt dans son oeuvre de fiction comme dans ses essais, et constitue une inoubliable plongée dans les arcanes de la création comme de l'âme humaine, explorées ici par une romancière sans conteste au sommet de son art.</span></span></div></span><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">------------------------------------------------------------------------</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">Harriet Burden en a bavé. On peut même dire qu'elle a tout donné. Pour réussir, pour s'exprimer, se faire connaître, se battre contre les limites posées par ses proches, son environnement et ses contemporains, faire triompher d'une façon ou d'une autre ses idées et la forme qu'elle leur donne.<br />A sa mort, le constat semble clair : elle a tout l'air d'avoir échoué. Sa production artistique est restée particulièrement méconnue tout au long de sa vie, on s'est en général intéressé à elle plus pour son mari que pour elle-même, et ses deux enfants mènent des vies tout à fait détachées de la sienne sans fusion remarquable.<br /><br />Mais voilà, une étude universitaire ambitieuse s'empare alors de l'artiste disparue, à la lumière de révélations particulièrement croustillantes : Harriet (autosurnommée Harry dans une tentative assumée de brouiller les frontières du genre et de s'inventer au-delà des limites qu'on voudrait lui imposer) aurait eu recours à trois hommes pour se faire passer pour les créateurs d'oeuvres à elle, dans une sorte d'expérience sociale visant à prouver l'existence d'un biais genré et sexiste empêchant les femmes d'accéder à la notoriété aussi facilement que les hommes. La tentative d'Harriet semble avoir été fructueuse, puisque les trois séries d'oeuvres ont connu un succès critique et un accueil bien supérieurs à tout ce qu'elle a pu connaître en son nom propre. Seulement, comme on le découvre petit à petit, la combine d'Harry n'est pas allée sans encombres, notamment lorsque l'un des trois hommes de paille a cessé de jouer le jeu de son éminence grise. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">Le roman revient donc, au moyen d'un ensemble de documents divers et variés datant d'époques encore plus diverses et variées, sur la mise en place, le déroulement et l'héritage de la supercherie d'Harry, avec un talent, une inventivité et une tension de tous les instants. On obtient ainsi une </span><span style="font-family: georgia;">sorte d'enquête constituée d'entretiens, d'extraits de journaux et de témoignages, format très bien exploité qui parvient à maintenir en éveil la curiosité du lecteur tout au long de l'intrigue. De plus, le roman ne s'arrête pas à l'histoire d'Harriet et de ses trois complices (au demeurant très intéressante et bien menée), mais pousse encore au-delà, évoque l'art, sa définition et son utilité, la critique, les jugements qu'on formule et ceux qu'on ferait mieux de garder, la transmission, l'héritage et toutes ces traces qu'on a si souvent très très très envie de laisser. <br /><br />Harry surtout constitue le coeur du récit, personnage fascinant aux facettes multiples et incandescantes, </span><span style="font-family: georgia;">parfaitement acariâtre, parfaitement ambitieuse et parfaitement touchante, pétrie d'ambition, d'impatience et de théories à prouver. On la découvre sous ses moindres visages, de son érudition limite arrogante à son besoin désarmant d'obtenir l'amour et la reconnaissance de son milieu (un peu, rien qu'un peu), et si on se dit dans les premiers instants qu'on va vraiment avoir du mal à s'y attacher, on se retrouve trois cents pages plus tard, en dépit de sa condescendance, de son surintellectualisme, de son intransigeance et de son côté sacrément obtenu, sincèrement attaché à cette figure fascinante, décrite avec une telle justesse, une telle précision et une telle variété de points de vue par Siri Hustvedt qu'on serait tenté de croire Harriet réelle ou inspirée d'une figure historique (et pourtant non, elle reste fictive).</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">L'oeuvre est dense, exigeante, construite sur un solide bagage théorique, parcourue de références artistiques, critiques, psychanalytiques, offre un panel de personnages d'une exhaustivité folle, des bizarres, des génies, des méchants, des sincères, des naïfs et des grands curieux, parvient à recréer de façon plus que saisissante le milieu artistique new-yorkais et le soumet à une analyse captivante au prisme du genre, de la classe, de l'origine ethnique et du politique. L'autrice parvient de façon à la fois très poussée mais malgré tout accessible à suggérer l'immense, ineffable complexité des intrications entre la famille, l'intimité, la carrière, l'image publique, la sexualité, la créativité, les peurs, les talents et les lubies de tous ses personnages, avec un équilibre certain, facilité par la succession des formats, voix et points de vue qu'offre l'ouvrage. </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">Le tout est très complexe, ne nous y trompons pas, et il ne s'agit vraiment pas d'un roman qu'on peut dégainer comme ça dans le métro pour en grapiller les pages deux par deux, mais il n'a rien non plus de prétentieux ou d'arrogant : peu importe qu'on ne saisisse pas la moitié des références brandies par son héroïne à la lisière du ridicule, on est quand même inclus, élevé et inspiré par cette histoire, ébloui par le talent, la force, l'intelligence et la rouerie d'Harriet, qui arrive tout de même à se jouer de <i>tout son monde sans jamais le révéler de son vivant</i> (n'est-ce pas la victoire ultime ?), et se bat contre la société et le système qui l'ont invisibilisée en lui retournant ses propres armes. On se retrouve à aimer plus que tout cette femme qu'on avait commencé par trouver imbue d'elle-même et assez vaine, ses enfants qu'on trouvait faibles devenant de plus en plus humains et pertinents, et son objectif en apparence assez simpliste voire immature touchant carrément au génie, avec ces doubles et triples manipulations particulièrement jouissives à voir se dérouler. Un roman rare, après lequel on a du mal à passer à d'autres textes, tant il parvient à créer son univers propre, sa grammaire unique et son atmosphère électrisante. C'est un sacré incendie que <i>The Blazing World</i>, une oeuvre puissamment féministe, érudite et concrète, galvanisante à plus d'un trait. Brillant !</span></p>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-1838254514657834543.post-49000425647290993852021-01-02T17:40:00.007+01:002021-01-02T17:40:54.874+01:00Bilan du mois [Décembre 2020]<p style="text-align: justify;"> <span style="font-family: georgia;">Bonjour à toutes et tous !</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">Le mois de décembre fut tour à tour chaotique, tempétueux, apaisé, surchargé, miraculeux, anxiogène à souhait ou encore apathique, semé de remises en question, détours intérieurs et autres révélations inopinées. J'ai lu (pas autant que je ne l'aurais souhaité), écrit, réfléchi à ce que je voulais écrire, arrêté d'écrire, pris du temps pour réfléchir, j'ai essayé de sortir (quand c'était autorisé), j'ai eu froid (parfois), j'ai rêvé de l'an dernier (et de la neige à Montréal), j'ai mangé des patates douces pour me réconforter (et vous êtes heureux de le savoir), et puis j'ai relativisé (entre autres grâce à la fiction, c'est bien ce qu'elle nous permet). </span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">J'ai toujours eu énormément, énormément (je veux bien dire par là : énormément) de mal à m'autoriser à ne pas être productive, à lâcher prise, à laisser le temps passer sans aussitôt culpabiliser de ne pas le mettre au profit d'une quelconque entreprise. Ces dernières semaines, je m'y suis essayée, juste un peu, comme ça, juste voir, respirer sans compter, patienter sans attendre. Si vous m'autorisez une petite pépite de conseil en cette période de transition, la voici : dégagez-vous de vraies périodes sacralisées de néant. C'est fou ce que c'est réparateur.<br /></span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">Voici donc après cet instant de philosophie de comptoir édifiant (que voulez-vous, je n'ai pas résisté à la tentation de bavasser), le bilan de mes huit lectures du mois !</span></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: inherit; font-size: medium;">Le coup de cœur du mois...</span><br /><span style="font-family: georgia;"></span></p><div style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia;"><img border="0" data-original-height="512" data-original-width="320" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjsNUV8LfWL1Hi3E_1R5aGNRNZc_XQX10HMn-a5BbuYC_m8b7QY8PMmpQEG6z-c79WvsA9gmkbHC96m2EmRxSf5GSX3jW9HqQkJ4VSLvcGm92IvMXkGtMJFAvJFSbQGRYQxgvKe-hBCaDA/w125-h200/ce+que+je+ne+veux+pas.jpg" width="125" /><img border="0" data-original-height="512" data-original-width="320" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhxEgTXyVeuVlmBKNIY2DaHvnaZ4S1rdRl_vTWLr-HNDbe-DbLPRFj9-0nLWCp_iAcJXBRPCwFcjvAZ3WhFsyO3xnNwvczNg8_D7IwBNXO3WOYWQoeGfmzLQbfWXUmIinRhjuNNaFcB3dQ/w125-h200/le+co%25C3%25BBt+de+la+vie.jpg" width="125" /></span></div><span style="font-family: georgia;"><div style="text-align: justify;"><i>Ce que je ne veux pas savoir</i> et <i>Le Coût de la vie </i>de Deborah Lévy : on a vu passer ces deux jolis livres colorés un peu partout en librairie (et pour cause, ils ont reçu rien de moins que le prix Fémina étranger, ça va, sympa), et c'est entièrement justifié. Ces deux très courts ouvrages autobiographiques, chacun consacré à un épisode marquant de la vie de leur autrice, offrent des incursions aussi saisissantes qu'exigeantes dans l'intériorité de l'écrivaine, qui évoque sa condition de femme, d'Occidentale, d'épouse, d'artiste et de mère, ses désillusions, ses chamboulements, ses remises en question, sans faux effet de pathos artificiel, de complaisance ou d'autocentrisme. C'est l'autobiographie dans tout ce qu'elle peut avoir d'inspirant et de touchant : un récit qui ne cherche pas à être autre chose que ce qu'il est, qui ne prétend pas donner de leçons sur la vie, mais qui ne va jamais non plus se refermer sur lui et a quelque chose de bouleversant dans son honnêteté, sa puissance, et sa capacité à dire énormément en très très peu de mots, de phrases ou de pages. Très recherché, très riche et très beau dans sa simplicité !</div></span><p></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: inherit; font-size: medium;">J'ai adoré...</span><br /></p><div style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia;"><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhzMl4v0dFQprMKDg2-H8eNIBzMSMluFJa93c8OuR_uYE0mnbxSAxtcdM9vsbyS-ES5NrqeU4T2Pdubik18rxAxIS1e-8nknUkf_jOF7MPVfwu81WetQ7SVc0rvgZkkqXJ6-SfrH8__C4I/s1000/the+blazing+world.jpg" style="clear: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" data-original-height="1000" data-original-width="647" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhzMl4v0dFQprMKDg2-H8eNIBzMSMluFJa93c8OuR_uYE0mnbxSAxtcdM9vsbyS-ES5NrqeU4T2Pdubik18rxAxIS1e-8nknUkf_jOF7MPVfwu81WetQ7SVc0rvgZkkqXJ6-SfrH8__C4I/w129-h200/the+blazing+world.jpg" width="129" /></a></span></div><i style="font-family: georgia;">The Blazing World</i><span style="font-family: georgia;"> de Siri Hustvedt (</span><i style="font-family: georgia;">Un Monde Flamboyant</i><span style="font-family: georgia;"> en VF) : alors là, on est sur un sacré roman, pas si épais que ça mais vraiment dense, sorte d'enquête constituée d'entretiens, d'extraits de journaux et de témoignages, revenant sur l'existence d'une artiste aujourd'hui disparue dont on a découvert après la mort qu'elle avait eu recours à trois hommes de paille pour faire passer ses oeuvres comme les leurs, ce qui avait permis à son travail d'enfin rencontrer le succès, prouvant ainsi aux yeux de l'artiste le sexisme prégnant dans le milieu artistique new-yorkais où elle évolue. Le roman ne s'arrête pas à l'histoire de cette supercherie (au demeurant très intéressante et bien menée), mais va bien évidemment au-delà de son intrigue, brossant une héroïne parfaitement acariâtre, parfaitement ambitieuse et parfaitement touchante, pétrie d'ambition, d'impatience et de théories à prouver, évoque l'art, sa définition et son utilité, la critique, les jugements qu'on formule et ceux qu'on ferait mieux de garder, la transmission, l'héritage et toutes ces traces qu'on a si souvent très très très envie de laisser. Passionnant !</span><br /><div style="text-align: left;"><div style="text-align: center;"><img border="0" data-original-height="2048" data-original-width="1242" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEg5ZO5uVOVDG9y9jbARj2sBtMgkh34FKQ8Na4enEfcUtbxJgNU5gOFOvUOx2uw270ur8q2-DTi2eSuZfd7xV1QTTL74OOdppH2I_BujTajZYyFqLeTdFdnSOSo2RkUIwpgJhhzgFKpX1uw/w121-h200/th%25C3%25A9r%25C3%25A8se+et+isabelle.jpg" width="121" /></div><i style="font-family: georgia; text-align: justify;">Thérèse et Isabelle</i><span style="font-family: georgia; text-align: justify;"> de Violette Leduc : j'aime Violette Leduc passionnément, je n'aurai de cesse de le répéter ici jusqu'à ce que son nom circule enfin davantage dans les listes des meilleurs auteurs et autrices du vingtième siècle en France, et je le ferai avec joie, en plus de ça. </span><i style="font-family: georgia; text-align: justify;">Thérèse et Isabelle </i><span style="font-family: georgia; text-align: justify;">arrive en même pas deux cent pages à créer une relation d'une intensité folle entre ses deux héroïnes, et à donner à voir avec un talent fou et des images d'une beauté sans commune mesure tout ce que peut être, représenter, évoquer et susciter la passion amoureuse, en faisant sans aucun doute l'un des ouvrages les plus originaux, saisissants et mémorables que j'ai pu lire ces derniers mois. </span></div><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: inherit; font-size: medium;">J'ai beaucoup aimé...</span><br /></p><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><img border="0" data-original-height="512" data-original-width="310" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjCsIqI9LUheYT8YZ7rfAXBcA1eEPTpttd17VvGZbzqj8syvQAsJPacZNSqOnOOPcfOpGsGz15HMRPsgn_pPBcyh_UzwuOCBCi5LPkHERk6PQebr8EYIYivOzDBL0rW4VrOTi3Xns_SgOI/w121-h200/l%2527idiot.jpg" width="121" /></div><span style="font-family: georgia;"><i>L'Idiot </i></span><span style="font-family: georgia;">de Fédor Dostoïevski : sacré pavé tout de même (en même temps, on parle de littérature russe), qui aurait vraiment gagné à subir certaines coupes (notamment dans ses digressions la plupart du temps pas très marquantes), mais dont les personnages sont décrits avec une rare vivacité, l'intrigue menée avec une ironie délicieuse et bien maintenue tout au long du récit, le propos lui-même illustré par tout un ensemble de scènes tour à tour comiques, cocasses, épiques et tragiques, dans une histoire vivace et exigeante dont on retient de nombreux passages pour leur couleur, leur rythme, leur humour et leur ambition. Très belle lecture !</span><p></p><div style="text-align: center;"><span style="font-family: georgia;"><img border="0" data-original-height="512" data-original-width="311" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgoR9QuS9kltWpLpsairg_CsItNUec7Vp3NsM5m_MSimtNUSGIHr_iTsSlL04QlPlVN_Q5xEnEDFq6Ogjz8YEG9gPhqedov9zi-lCWfkb7GqtbObV1uq76u2BG0jCDS1C-OyhDFBjsZN90/w121-h200/mrs+dalloway.jpg" width="121" /></span></div><span style="font-family: georgia;"><div style="text-align: justify;"><i>Mrs Dalloway </i>de Virginia Woolf : difficile (quasi impossible) d'exprimer comme ça au débotté un avis critique un tant soit peu original sur ce roman à propos duquel pas mal d'analyses sacrément développées ont été délivrées, mais allons-y tout de même : c'est là un texte pour le moins flottant (forcément, il est la démonstration de force ultime de son autrice, Virginia Woolf, qui a passé toute sa vie à développer la technique narrative du <i>stream of consciousness</i>, c'est-à-dire le flux de conscience, soit une façon particulièrement fluide, en apparence décousue mais en réalité très travaillée, de retranscrire le cours des pensées d'un personnage). On s'y laisse porter sans trop savoir où l'on finira par échouer, au gré des déambulations de Clarissa Dalloway, femme d'âge mûr de la bonne société londonienne tout affairée à organiser une réception, dont les pensées, rencontres et autres instants de méditation rythment ce beau roman d'accents tantôt ironiques, tantôt las, tantôt mélancoliques, tantôt émerveillés. On y dissèque l'ennui, tout ce qu'il charrie, et la façon dont on peut parfois s'en contenter, les apparences et ce qu'elles peuvent apporter, le conformisme et ce qu'il en coûte de ne pas y adhérer. La lecture peut parfois avoir un vrai côté frustrant, à force d'effleurer tant et tant de personnages et de problématiques sans pouvoir forcément s'y appesantir, mais il y a aussi une forme de jubilation à se contenter de tout laisser couler, d'observer ces personnages fatigués de vivre qui n'ont jamais rien compris à ce qu'ils faisaient dans la vie mais le font si bien et avec une telle efficacité qu'ils y trouvent presque (presque) une forme d'apaisement. </div></span><p></p><p style="text-align: justify;"><span style="font-family: georgia;">J'ai bien aimé...</span></p><span style="font-family: georgia;"><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><img border="0" data-original-height="499" data-original-width="304" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEiESS8d4WlCYYKLW9_zDiqbfpSEXfBCKfMB9-nO2sfDA7EbbxqlopbzzdCvhnmqvnEVvmmv88UpsOfRFXufVRr6m09KCP6epmbUp86NN36zykl3nMtqzk3MAJ9duWUF1Ai26B_7j-iBfIA/w122-h200/heureux+les+heureux.jpg" width="122" /></div></span><span style="font-family: georgia;"><div style="text-align: justify;"><i>Heureux les heureux</i> de Yasmina Reza : une lecture qui commençait (très) fort avec trois ou quatre premiers chapitres fulgurants d'efficacité, monologues intérieurs particulièrement mémorables, vissés à des personnages aussi désagréables qu'immédiatement amusants, mais voilà, l'ouvrage dérive ensuite vers des intrigues bien plus convenues et des observations bien moins corrosives (oui oui, le mariage c'est souvent très amer, les gens sont aigris et tout le monde ment, oui, oui voilà), et force est d'admettre qu'on referme le roman avec moins d'enthousiasme que dans ses premiers chapitres. Le texte garde un certain nombre de vraies fulgurances cela dit, et mérite le détour ne serait-ce que pour ses premières pages (cette scène au supermarché, c'est du génie, vraiment).</div></span><div style="text-align: left;"><div style="text-align: center;"><img border="0" data-original-height="454" data-original-width="310" height="200" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjpja0oxKiDPzsk7-fTNExMoWzzKzrHo0p1pxCSrkYwwwGbvQkpmLGkXqheRuSsHyaVV94rgkqAP06P3_MwnlR2AQVNJTQCIu0rsPEbmWY5pXMs8x6qx3WgrVK3SAOHC8nwMJpRLq0qXx4/w137-h200/de+grandes+ambitions.jpg" width="137" /></div><span style="font-family: georgia; text-align: justify;"><div style="text-align: justify;"><i style="font-style: italic;">De</i><i> Grandes ambitions</i> d'Antoine Rault : un roman que j'ai pris un plaisir certain à lire au cours de ces journées poreuses et flottantes qui s'écoulent entre Noël et le Nouvel An, avec son intrigue-fleuve, son ensemble choral de personnages principaux aux destins entrecroisés et sa plume très descriptive sans accroc, mais auquel je dois reconnaître qu'il manquait un peu d'acidité, d'audace ou de noirceur pour me laisser une impression vraiment marquante. Tout est bien mené, bien décrit et bien orchestré (ce qui vaut d'être relevé étant donné la taille du pavé et le nombre des personnages), mais voilà, tout ça reste très (très) classique dans le déroulé de la narration, sans grande surprise au niveau de la caractérisation et de l'évolution des personnages, et surtout sans réel parti pris narratif ou théorique quant à l'intrigue en elle-même (l'auteur décrit les vies, ambitions et compromissions de ses héros et héroïnes, dans ce qui relève finalement plus de la chronique que d'une réelle fiction engagée ou engageante). Lecture divertissante donc, mais qui aurait pu être tellement plus marquante avec un peu moins de descriptions et un peu plus d'invention !</div><div style="text-align: justify;"><br /></div><div style="text-align: justify;">Sur ce, excellent mois de janvier à vous !</div></span></div>Capucinehttp://www.blogger.com/profile/09647473670821833631noreply@blogger.com0